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Quand le droit fait l’école buissonnière. Pratiques populaires de droit
PATRICIA HUYGHEBAERT et BORIS MARTIN, éditions Descartes, 2002
janvier 2003, par
PATRICIA HUYGHEBAERT et BORIS MARTIN, tous deux membres du réseau Juristes-
Solidarité, nous offrent un ouvrage au titre nostalgique en ce retour de
vacances : Quand le droit fait l’école buissonnière. Toutefois, le sous-
titre vient immédiatement préciser ce qui aurait pu apparaître obscur :
pratiques populaires de droit. Le contenu du livre ne dément ni
l’invitation à la promenade ni la promesse d’une visite des droits en acte.
En trois parties, les auteurs nous proposent une relecture du " phénomène
juridique " (Revisiter le droit), une présentation illustrée de son terrain
le plus proche des populations (De nouveaux lieux, outils et acteurs pour
penser et vivre le droit autrement), et pour finir un examen des pratiques
populaires réinterprétées par le droit (Les populations concernées
s’approprient le droit).
Dans une première partie, les auteurs esquissent un panorama des
reconstructions critiques du droit réalisées par les juristes eux-mêmes,
mais plus encore par les sociologues et les anthropologues du droit
(Jacques Faget, André-Jean Arnaud, Michel Alliot, Etienne Le Roy...). Dans
ce but, ils montrent l’ambivalence du droit qui se présente comme
impersonnel et juste alors qu’il participe au maintien d’un ordre social et
à la prédominance d’une frange de la population à l’exclusion des plus
démunis (aide à la Justice qui ne touche pas ceux qui en ont le plus
besoin). En conséquence, c’est à une réappropriation du droit que les
auteurs invitent tous les citoyens, par une prise de conscience de leurs
droits subjectifs et par une utilisation des opportunités offertes par le
droit établi à leur profit. Cette incitation se réclame de démarches
militantes qui ont montré que, grâce à une bonne connaissance des problèmes
concrets et un investissement juridique il était possible de vaincre les
professionnels du droit sur leur propre terrain : les actions juridiques
paysannes contre les propriétaires bailleurs par exemple.
Les deux parties suivantes se veulent plus proches de la pratique. Elles
mettent en scène les rapports concrets du droit et des individus qu’il
touche ou qui le créent. D’un côté, on voit des exemples d’appropriation du
droit et les bienfaits qui en résultent, y compris sur la stabilisation de
groupes en recherche de démocratie (notamment dans les pays des suds) :
sensibilisation aux dangers et à l’illégalité de l’excision en Afrique,
occupation de terrains et construction en groupe pour solliciter des
facilités de crédit soumises à des conditions pécuniaires en Amérique du
sud... De l’autre sont présentées les formes alternatives de droit, tant
dans la recherche de résolution des litiges (au sein des prud’homies pour
les pêcheurs de la Méditerranée) que dans l’établissement de règles
adaptées (interférances des droit coutumier et étatique en Afrique),
autrement dit les manifestations du pluralisme juridique. Ce livre, placé
sous les auspices du réseau Juristes-Solidarité, pêche par le flou de ses
objectifs. Faire connaître l’action de Juristes-Solidarité est éminemment
louable et le travail de cette structure n’appelle que des critiques
positives. Mais l’ambition des auteurs est plus large, il s’agit de faire
connaître les résultats de son travail et, par-là, de nourrir et susciter
la réflexion sur le droit. On peut à ce propos s’interroger sur la
pertinence de la présentation : pourquoi envisager la relecture du
phénomène juridique avant l’exposition des expériences de terrain alors que
la théorie se nourrit essentiellement des constats ampiriques, c’est du
moins ce que nous avons cru pouvoir comprendre de l’ouvrage. Plus
fondamentalement, en dépit de notre accord général sur la lecture critique
du droit, l’apport des réflexions ne nous semble pas évident. Sans insister
sur des lacune théoriques pardonnables (comment recourir à la revendication
de droits subjectifs ou de l’homme sans en remettre en cause la pertinence
alors que les auteurs professent opportunément une méfiance à l’égard de
l’universalisme), il faut se demander si l’ouvrage apporte de réelles
innovations théoriques, ce n’est pas sûr.
Ce livre n’est donc pas un élément central de la réflexion critique sur le
droit. Il peut être bien plus car il a d’autres qualités. Il mêle
heureusement plusieurs registres, théorique et pratique, plusieurs points
de vue. Les théoriciens y trouveront les exemples qui leur manquent trop
souvent tandis que les praticiens puiseront une mise en perspective de leur
quotidien. Quant à la formation des juristes, elle peut fortement
s’enrichir de cette lecture : admirable mise en garde aux étudiants de
première année de droit, cet ouvrage leur donnera à voir, grâce à un accès
facile, combien leurs devanciers sont éloignés des pratiques populaires et
à quel point certains d’entre eux, à l’insu même de leur plein gré,
colportent la parole des nantis faute d’avoir trouvé un canal d’accès à la
voix des exclus. Par le droit aussi, il faut chercher à faire en sorte que
tous s’expriment et participent à la vie de la cité : il s’agit moins de
relayer la parole de la France d’en bas que de susciter sa propre action
afin qu’elle s’élève.