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Les Verts : la fin d’un cycle et ses raisons

vendredi 9 janvier 2009, par André Gattolin

L’histoire des Verts montre comment la reprise des thématiques du tiers-mondisme et de l’anti-nucléaire ont prévalu à l’émergence des thèmes de l’écologie politique en France, dans les années 70. André Gattolin, spécialiste des médias, ancien directeur des études et actuellement en cours de rédaction d’une thèse sur l’activisme et le "hoax" revient sur la façon dont le parti écologiste a perdu ces thèmes et son substrat environnementaliste, sans pour autant réussir à renouveler ses soutiens au sein des nouvelles formes d’activisme. Conséquemment, il estime que le "tout-électoralisme" qui occupe Les Verts depuis des années serait à l’origine de la perte d’une base sociale et militante qui lui serait nécessaire pour devenir une force politique importante.

En 1974, l’écologie fit une entrée remarquée sur la scène politique française grâce aux 1,32 % obtenus par René Dumont à l’élection présidentielle. À l’époque, la mouvance écologiste, déjà florissante aux Etats-Unis, était encore balbutiante en Europe. En France, on se préoccupait fort peu des questions environnementales : le pays vivait dans l’état de choc (pétrolier) et pleurait la fin de trois décennies de croissance élevée de la production industrielle et de la consommation des ménages.

Mai 2007, la candidate des Verts, malgré sa notoriété, parvient péniblement à rassembler 1,57 % des voix. Plus qu’un désaveu personnel, c’est un terrible échec pour un parti en pleine ascension voilà encore peu. D’autant que les législatives de juin, loin d’infirmer la tendance, sont venues entériner le reflux. La prise de conscience écologique n’a pourtant jamais été aussi forte qu’au cours de ces dernières années. La consommation de produits bio connaît un véritable essor, les réflexes écologiques rentrent dans les habitudes quotidiennes des citoyens et même de certaines entreprises, les ONG environnementalistes jouissent d’un flux incessant de nouveaux adhérents et les green technologies suscitent aujourd’hui dans les milieux économiques un intérêt comparable à Internet à la fin des années 90. Quant à la campagne électorale proprement dite, on ne peut nier la place de choix occupée par la question du réchauffement climatique.

Les explications généralement en usage chez les Verts pour justifier la défaite ne tiennent guère. L’argument de la concurrence et de la multiplication des candidatures n’est pas recevable : Dominique Voynet était cette fois-ci l’unique compétitrice de la famille écolo, et les piètres résultats de Bové, Laguiller et Buffet ne permettent pas de comprendre l’évaporation de l’électorat vert. Quant à la thèse du "vote utile" en faveur du parti socialiste, elle est à double tranchant : elle revient à reconnaître implicitement le caractère peu attractif et faiblement distinctif du vote vert. Croire les Verts victimes pour l’essentiel d’un "effet 21 avril" ou de la volonté des électeurs de faire barrage à Sarkozy est une manière habile mais dangereuse de se masquer la réalité. Lors des législatives de 2002 et dépit de la forte bipolarisation PS-RPR qui avait résulté de l’échec de Jospin à la présidentielle, les candidats Verts avaient réussi à rassembler 4,51 % des voix avec une présence limitée à un peu plus des trois quarts des circonscriptions.

Loin d’être réductible à un phénomène conjoncturel, cette suite de revers entérine la fin d’une époque durant laquelle les Verts, malgré un effectif groupusculaire, parvenaient à prospérer électoralement et jouissaient en tant que parti d’une exceptionnelle sympathie au sein de l’opinion. Ces temps-là semblent révolus et l’image de la formation s’est dégradée. Contrairement aux Grünen (Allemagne) et à Écolo (Belgique francophone), les Verts n’ont pas su tirer profit de leur cure forcée d’opposition, et ils semblent balayés par la nouvelle donne politique instaurée par la présidentielle. Les enquêtes récentes montrent que l’opinion a maintenant cessé de leur prêter plus que ce qu’ils sont effectivement capables d’être ou de faire.
Le risque de marginalisation, voire de disparition pure et simple, est bien réel. Et s’il est indispensable de se poser la question du "que faire ?", il est sans doute encore plus urgent de s’accorder sur le diagnostic de la crise. Pour bien comprendre la fragilité des Verts aujourd’hui, il faut revenir sur les fondamentaux qui ont présidé à l’émergence de la mouvance écologique voici plus de trente ans, en analyser les faiblesses, mais aussi le glissement de ce qui a constitué ses points forts par le passé.

Si le parti Vert est apparu formellement en 1984, sa préhistoire nous ramène en effet au tout début des années 70. Comme le soulignent Laurence Guého et Frédéric Neyrat, la France souffre historiquement de l’absence d’un imaginaire de la nature digne de ce nom. La conséquence de cette carence est que l’écologie politique dans notre pays a presque toujours accordé un rôle secondaire aux luttes strictement environnementalistes. Les Verts – comme l’ensemble de la gauche française – se sont toujours méfiés des tenants purs et durs de la protection de la nature régulièrement suspectés de dérive droitière et réactionnaire. Si l’ambiguïté idéologique d’une partie des environnementalistes est réelle, il faut admettre aussi qu’il y a eu à l’égard de ce courant davantage de procès en sorcellerie que de véritable volonté de construire avec eux un contrat politique. En procédant ainsi, les Verts se sont privés d’une base électorale élargie qui leur aurait évité de dépendre trop systématiquement d’un vote jeune et urbain extrêmement volatile.
De fait, la nébuleuse écologiste s’est bâtie chez nous sur une approche plus politique que proprement écologique. Ce que nous appelons "écologie politique" dans ce pays s’est surtout fondé sur la catalyse de diverses luttes et de nouveaux mouvements sociaux apparus dans la foulée de mai 1968. La culture politique écologiste dans l’Hexagone est davantage le fruit d’une écologie "sociale" que celui de l’écologie "profonde". Plus concrètement, et à défaut de s’appuyer sur des bases environnementales plus classiques, le mouvement "à la française" s’est structuré autour de deux thématiques fortes et mobilisatrices en leur temps : l’engagement solidaire Nord-Sud et la lutte anti-nucléaire.
Le "tiers-mondisme", comme on l’appelait à l’époque, a en effet joué un rôle considérable dans la construction en France d’une culture politique alternative au productivisme. Héritier de la lutte anti-colonialiste et porté par de nombreuses associations et ONG, l’engagement solidaire a représenté un apport militant et intellectuel considérable pour l’écologie politique naissante. La figure de René Dumont reste emblématique de cette convergence entre l’anti-colonialisme et la conscience écologique. Bien qu’inscrit dans le code génétique des Verts, ce combat n’est toutefois plus un terrain majeur de mobilisation du parti écologiste. Repris et réactualisé par la mouvance altermondialiste, il constitue même aujourd’hui une des principales raisons de désertion des forces vives du parti Vert.
Plus mobilisatrice encore, la lutte anti-nucléaire a longtemps représenté la matrice de l’activisme écologiste. La décision du gouvernement Messmer en 1973 d’engager un plan sans précédent de construction de centrales nucléaires a constitué en réaction le véritable acte fondateur du mouvement. En France, la mobilisation anti-nucléaire s’est très fortement articulée autour d’un discours anti-étatiste et anti-technocratique d’une part, et d’une rhétorique souvent caricaturalement catastrophiste d’autre part. Celle-ci a profondément marqué l’opinion et permis aux candidats écologistes d’engranger les dividendes sporadiquement élevés de la peur, bien plus que les bénéfices plus raisonnables et durables d’une conscience écologique profonde. L’alliance électorale avec une gauche réticente à envisager la sortie du nucléaire, puis les compromis successifs opérés par les Verts à ce sujet pour accéder à des postes gouvernementaux ont fini dans les années 90 par affecter la crédibilité du parti auprès de sa base activiste. Parallèlement, l’absence (heureuse) de catastrophe nucléaire d’ampleur en France a largement contribué aussi à désamorcer ce déclencheur de grandes mobilisations, sans que d’autres leviers de l’engagement écologiste lui soient substitués.

Au fil des ans, les Verts français n’ont pas su affirmer les valeurs spécifiques de l’écologie ni s’investir sérieusement dans des combats le distinguant suffisamment de ses alliés socialistes ou de ses concurrents de la gauche de la gauche. De fait, les Verts sont aujourd’hui tiraillés en leur sein entre deux vagues de cadres politiques qui ont parfois opportunément rejoint ce mouvement lorsqu’il avait le vent en poupe. Très sommairement, il y a ceux issus de l’extrême gauche et arrivés dans les années 80 ou 90 et ceux venus plus récemment de la gauche dite de gouvernement et attirés par ce qui pouvait ressembler à une succursale rajeunie du Parti socialiste. Là où, en effet, le bât blesse chez les Verts, c’est ce tropisme chaque jour plus affirmé pour le "tout électoral" (1). C’est sans doute un des rares dégâts collatéraux de la candidature Dumont en 1974 que d’avoir souligné la propension de l’écologie à séduire une part non négligeable de l’électorat avant même d’être parvenu socialement à affirmer l’existence du mouvement. Si les Verts se constituèrent en parti politique dans la première moitié des années 80, ce fut pour éviter de voir l’écologie dilapidée par des ambitions politiques discutables et afin contrer de pseudo formations écologistes qui tentaient d’occuper un espace électoral encore vacant. Nombre d’"historiques" des luttes écologiques ont d’ailleurs hésité et même refusé de se lancer dans l’arène électorale. S’il n’y a rien – aujourd’hui comme hier – d’illégitime à vouloir porter les idées de l’écologie politique dans le débat démocratique, ces mêmes idées supposent une vraie définition politique et le respect sourcilleux de l’éthique et des praxis qui leurs sont attachées. Car il existe une différence importante entre une candidature "tribunicienne" pour faire valoir des idées écartées du débat public et une candidature pour se compter, bien plus que pour compter. Le véritable problème des Verts aujourd’hui concerne moins son échec électoral que son incapacité structurelle de dépasser le nombre de quelques milliers d’adhérents, parmi lesquels plus de la moitié sont des élus ou des collaborateurs salariés. Il n’est pas dans notre idée de jeter la pierre à ceux qui effectuent le travail parfois peu glorifiant d’élu, mais d’abord de constater qu’en dehors de cette scène politique utile, il ne reste que bien peu d’acteurs pour animer la vie "mouvementaliste" de l’écologie politique que les Verts sont censés incarner.

Dans un système politique aussi normatif que celui dans lequel nous vivons, il est difficile de renoncer à s’emparer d’une partie du pouvoir institutionnel – ce levier permettant potentiellement de changer de la société –, en même temps qu’il est utopique de croire possible une résistance efficace à la normalisation imposée par ce cadre si on ne dispose pas d’une implantation profonde et d’une capacité d’action directe au sein même de la société. L’enjeu aujourd’hui pour les Verts est vraisemblablement de réussir à se re-ancrer dans une nébuleuse écologique, certes hétérogène et polycentrée, mais dont la superficie s’étend bien au-delà du strict champ du politique. Cela suppose naturellement de repenser l’objet, le cadre et la praxis de ce que devra être demain l’intervention écologique dans un environnement sociétal qui s’est largement transformé au cours des trente dernières années.

(1) Nous usons à dessein de cette expression un peu caricaturale, en rappel de l’époque où nous raillions à juste titre la stratégie énergétique du "tout nucléaire" de l’État français.