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La pari de la décroissance

dimanche 15 avril 2007, par Marc Robert

Serge Latouche, Fayard, 2006, 302 pages, 19 euros

Avec onze chapitres ramassés, les décroissants tiennent là leur petit livre bleu. Il n’est pas utile ici de revenir sur les fondements du "pourquoi la décroissance ?", les contributions de ce numéro sont à cet égard suffisamment détaillées, Serge Latouche n’apportant pas de ce point de vue de nouveaux développements. Ce sont plutôt les 130 pages consacrées à "la décroissance, comment ?" qui appellent quelques remarques. Le maître mot et le programme tiennent en deux mots, "décoloniser l’imaginaire". Il est assez rare qu’une page ne fasse pas appel ou référence à cette fameuse décolonisation mentale, ou à une des multiples périphrases qui peu ou prou disent la même chose. "Changement progressif de culture", "révolution mentale", "changement de logique", "changement d’attitude", "réenchantement de la vie", ou encore le final "meubler le vide l’âme de nos sociétés à la dérive" émaillent l’ouvrage, dans une incantation dont on peine à saisir quels outils politiques, institutionnels, économiques et sociaux pourraient en catalyser la réalisation.

Dans un des paragraphes du dernier chapitre malicieusement intitulé "Que faire ?" (page 261), Latouche, parmi neuf propositions pour un programme de transition, suggère notamment "d’impulser la production de biens relationnels" (par décret ?) et de "décréter un moratoire sur l’innovation technologique, faire un bilan sérieux et réorienter le recherche scientifique et technique en fonctions des aspirations nouvelles". Si l’on partage l’objectif de démocratiser les choix scientifiques et techniques et la volonté de réorienter la recherche vers les véritables enjeux sociaux, environnementaux et de santé de nos sociétés, on ne peut que rester songeur devant ces mystérieuses "aspirations nouvelles" (quelles sont-elles et comment vont-elles être collectivement définies, mystère…) et l’absence totale de propositions concrètes pour faire évoluer et réformer dans ce sens les universités, les grands instituts publics de la recherche française, les programmes de financement européen ou encore l’implication des collectivités locales...

Le chapitre 6, dédié à l’analyse de l’imaginaire dominant véhiculé par "l’école", "la manipulation médiatique" et "la consommation" et aux moyens d’y échapper propose rien de moins que de "sortir de l’économie politique comme discours dominant" (page 169), "la redécouverte du bon sens" (page 176) tout en reconnaissant en guise de conclusion finale qu’"il n’y a pas de recette miracle, (…) mais des lignes de réflexion et d’action" (page 180) !

Le chapitre suivant s’attaque aux outils pour une décroissance économique, identifiant la question de la difficile "transition entre le système capitaliste et la société de décroissance" – face à laquelle Latouche fait un "pari sur l’ingéniosité humaine, pour trouver, le moment venu, des solutions (page 190) – suggérant plus loin de "reconsidérer l’usage de la terre" car "il s’agit de soustraire toujours plus de terre à l’agriculture productiviste, à la spéculation foncière, à l’emprise polluante de l’asphalte et du ciment" (page 192).

A nouveau, le comment s’efface devant un "y a qu’à" pour le moins déroutant. Le chapitre 8 est dédié à la "relocalisation", un thème à la mode chez les décroissants comme chez les alters (notamment mondialistes) ou les écolos. Pour Latouche, l’outil principal réside dans l’internalisation des "coûts externes du transport (infrastructure, pollution dont effet de serre et dérèglement climatique)" ainsi "que tout une série d’autres moyens (…) qui sont à leur tour des instruments et des objectifs, et qui tous, se renforcent réciproquement" (pages 204-205). On n’en saura malheureusement pas plus si ce n’est une brève allusion quelques lignes plus loin au possible usage de monnaies locales. L’utopie politique locale n’est pas oubliée puisque le chapitre se conclue sur un décisif "la revitalisation de la démocratie locale constitue sûrement une dimension de la décroissance sereine" (page 210).

Le chapitre 9 est un recyclage de thèmes écolos classiques sur… le recyclage, la réduction (notamment des déchets) et la réutilisation. Un conseil au lecteur qui atteindra ces pages, il pourra se dispenser de la pénible discussion sur le temps de travail (pages 231-236) où les références à la pensée d’André Gorz s’arrêtent en 1991 ( !)…

Le dixième et avant dernier chapitre, consacré à la décroissance au Sud, est un morceau de bravoure. On y notera page 244 cette critique des "altermondialistes d’ATTAC" dont la proposition de "’construire des écoles, des centres de soins, des réseaux d’eau potable et de retrouver une autonomie alimentaire’ révèle un ethnocentrisme ordinaire qui est précisément celui du développement". Car pour Serge Latouche, "oser la décroissance au Sud, c’est tenter d’enclencher un mouvement en spirale pour se placer sur l’orbite du cercle vertueux des ’8 R’" (page 247 ; les huit R en question consistant en réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler). Décroissants, décroissantes, à vos arabesques !

Marc Robert