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Comment les riches détruisent la planète

dimanche 15 avril 2007, par Mathilde Gralepois

Hervé Kempf, "Histoire immédiate", Seuil, 2007, 125 pages, 14 euros

Cet ouvrage de 125 pages, composé de six chapitres, peut être décrit comme un essai journalistique dénonciateur. La thèse décrit un système capitaliste n’ayant comme seule finalité que d’engranger des bénéfices sur son propre cycle de production/consommation. La production se réalise au détriment des matières premières et secondaires énergétiques. La consommation est productrice de déchets, de nuisances et de pollutions. La dégradation de l’environnement est donc générale : elle dérègle les espaces naturels et les climats. Elle touche les milieux naturels comme les milieux urbanisés. Or, le système capitaliste entretient une oligarchie internationale qui, faute d’autres finalités que celle de son maintien, soutient ce système économique dévastateur.

Dans son premier chapitre, Hervé Kempf s’appuie les écrits de James Lovelock pour prédire la catastrophe écologique irréversible. Que ce soit le réchauffement climatique, la fonte des glaces, la crise de la biodiversité mondiale, l’étalement urbain et l’appauvrissement des terres arables, la pollution généralisée des milieux, la réduction des approvisionnements en matière première (de la déforestation à la crise pétrolière), selon l’auteur tous les indicateurs sont au rouge. Il conclut qu’aujourd’hui "Le social reste l’impensé de l’écologie. (…) Mais l’écologie est symétriquement l’impensée de la gauche." (p.37) Cette cécité réciproque permettrait à l’oligarchie économique et sociale de maintenir un système capitaliste inégalitaire qui leur assure le maintien de leurs propres privilèges.
Dans le second chapitre, l’auteur fait le lien entre crise écologique et crise sociale par l’accumulation d’exemples où la visibilité des inégalités économiques environnementales est flagrante : la vie sur les décharges de Guatemala Cuidad, les SDF dans le métro parisien, les chiffres de la pauvreté en France et dans le monde, la réduction des terres arables au profit des territoires urbains ou des entreprises agricoles, l’exode rural, l’étirement des inégalités et la précarisation des classes dites "moyennes"… La captation de l’ensemble des profits issus de ces inégalités par une minorité est clairement dénoncée. Comme la pauvreté n’est pas un état dans l’absolu, mais une situation sociale créée par les groupes sociaux détenant la plus forte richesse économique, patrimoniale et culturelle, Hervé Kempf propose de réduire les revenus des plus riches pour diminuer l’échelle des inégalités.
Son troisième chapitre est un recensement des plus grandes fortunes mondiales, c’est-à-dire les niches du capitalisme ils se trouvent : aristocrates héréditaires, multinationales, actionnaires et investisseurs. Hervé Kempf montre comment leur mode de vie, leurs goûts et leurs loisirs énergivores sont imités et reproduits par les standards de la mondialisation.
Son quatrième chapitre s’appuie sur les théories de Thorstein Veblen qui, comme d’autres que l’auteur ne cite pas, démontrent comment l’insatiable besoin de distinction stimule la course à la consommation grandiloquente. Il explique comment la satisfaction entière est impossible et que la non-satiété de consommer est une déchéance mortelle. Hervé Kempf insiste sur la fuite en avant que provoque les comportements des plus puissants, derrière lesquels courent les croyances et les pratiques de l’économie mondiale. Il conclut de nouveau sur la nécessité d’arriver à une décroissance matérielle, c’est-à-dire une diminution des biens et des services d’un luxe insoutenable écologiquement et socialement.
Son avant-dernier chapitre, "La démocratie en danger", fait le parallèle entre le marketing de masse et le contrôle social. L’auteur, dans une série d’exemples peu détaillés, aligne vidéosurveillance et matraquage publicitaire, consommation de masse et restriction des libertés publiques, concentration des médias et limitation de l’accès à l’information. L’idée avancée est de montrer comment la société capitaliste liberticide nous prépare aussi à terme à une décroissance forcée qui limitera de facto nos libertés publiques et privées.
Dans ses deux chapitres de conclusion, Hervé Kempf argue pour une société sobre à la démocratie revitalisée et animée de l’idée de destin collectif. Il souligne, sur le ton de la litanie, le rôle du mouvement social, des mass media et de la gauche. Finalement, Comment les riches détruisent la planète n’est ni une interrogation ni une démonstration. Hervé Kempf ne propose pas un raisonnement étape par étape pour justifier de son point de vue. Il soutient une thèse, celle de la diminution des richesses économiques et patrimoniales des plus riches de la planète pour niveler la croissance vers le bas ; et il l’étaye d’exemples principalement issus des médias, de rapports d’organisation internationales et de peu d’auteurs choisis.

Sa tentative d’articuler crise écologique avec inégalités économiques et dominations sociales relève quasiment du domaine du scoop, c’est-à-dire sans questionnement sociologique ou philosophique qui permettrait de comprendre les ressorts de cette évolution. Par exemple, son recours aux arguments scientifiques et médiatiques se fait sans recul sur les conditions de production de la science et de l’information : qui sont les experts ? pour qui parlent-ils ?
De plus, il ne restitue pas d’explication historique ou économique pour cerner les rouages de la spirale capitaliste. Quand l’auteur s’appuie sur les théories de Veblen, on attend la confrontation avec d’autres auteurs, d’Albert Hirschman sur la déception intrinsèque à la consommation à Pierre Bourdieu sur la reproduction des capitaux économiques, sociaux et culturels, et tant d’autres…
Du coup, l’ouvrage ne donne pas non plus de réflexion ou de prise pratique sur les différents moyens existants pour refuser ce cercle vicieux. Or, si la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine, on finit la lecture au mieux, avec un sentiment auto-réconfortant "je savais bien que j’avais raison : tout est lié !" Au pire, l’ouvrage pointe le paradoxe dénoncé : pendant ce temps-là, de célèbres journalistes écrivent dans de célèbres maisons d’édition…

Mathilde Gralepois