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En finir avec les dépenses de santé !
mardi 1er mars 2011, par
Face à la hausse des dépenses de santé et du déficit de la Sécurité sociale, les gouvernements PS et UMP ne cessent d’appeler à la « responsabilisation » des malades tout en réduisant la prise en charge solidaire. Chacun doit payer davantage pour sa santé, investir dans des assurances complémentaires et des mutuelles. L’accès aux soins devient ainsi de plus en plus inégalitaire. A contre-courant du discours fataliste qui veut en finir avec le programme du Conseil national de la Résistance, David Belliard propose d’autres voies de financement et suggère des pistes pour une politique sanitaire plus efficace. Il appelle à considérer les dépenses de santé non plus comme un fardeau, mais comme un « investissement » pour une vie meilleure.
Les dépenses de santé sont au centre des débats sur l’avenir de l’assurance maladie. La logique habituellement suivie pour les discuter est simple : ces dépenses, en constante augmentation (+3,3 % en 2008), sont trop élevées et mettent le système de protection sociale sous une insupportable pression financière. Pour faire face, l’effort a porté sur leur réduction par la responsabilisation des usagers, sans que ne soient questionnées leur origine ni la nature des ressources dont dispose l’assurance maladie. Cette politique a profondément accentué les inégalités et dégradé l’efficience de notre système de santé. A cette politique, une alternative doit être formulée, qui verrait les dépenses de santé non plus comme des coûts mais bien comme des investissements, dont le rendement doit être optimisé.
« Responsabiliser » les malades pour réduire les dépenses
Le déficit de 11 milliards d’euros de l’assurance maladie en 2009 (sur plus de 160 milliards d’euros de budget) se veut la justification de la politique de responsabilisation des usagers. Avec pour principal objectif la limitation de la demande de soins, elle s’est traduite par l’instauration de barrières financières comme les franchises médicales, l’augmentation du forfait hospitalier ou encore les vagues successives de déremboursements de médicaments. Elle a pour conséquence la diminution de la prise en charge par l’assurance maladie. En 2010, en moyenne, 9 % des coûts des soins reste à la charge des malades – ce qu’on appelle le « reste à charge » - et 14 % à celle des mutuelles et des assurances complémentaires (payées tout ou en partie par les usagers eux-mêmes), l’assurance maladie couvrant les 77 % restant. Même si ce niveau reste relativement élevé par rapport aux autres pays de l’OCDE (seuls les pays nordiques et britanniques affichent une prise en charge supérieure), il a diminué de 5 % ces trente dernières années. Dans ce contexte, les frais hospitaliers restent bien couverts (plus de 90 %), a contrario du secteur ambulatoire, qui regroupe les acteurs de santé intervenant en dehors de l’hôpital, comme les médecins libéraux, qui ne bénéficie plus que d’une couverture de 65 %. Le choix a donc été très clairement de concentrer l’effort de solidarité sur les soins très coûteux (le gros risque) et de laisser les soins les plus courants (le « petit » risque) à la charge des usagers.
Le triple échec de la politique de responsabilisation des malades
Cette stratégie a des conséquences lourdes sur les plans social et sanitaire. L’augmentation du reste à charge et le faible niveau du remboursement du petit risque contraignent la population à souscrire à des mutuelles et des assurances complémentaires, dont les cotisations ne cessent d’augmenter. Ces contrats sont de plus en plus difficiles d’accès et bénéficient principalement aux salariés de grandes entreprises et des administrations. Le reste se contente de prestations médiocres, quand il a les moyens d’y souscrire, dix millions de français n’ayant aucune complémentaire santé. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui doivent choisir entre se soigner et payer le loyer ou se nourrir. C’est particulièrement vrai pour les plus précaires, bien sûr, mais aussi pour les travailleurs pauvres et, plus récemment, pour une partie de la classe moyenne. En 2008, près de 9 millions de personnes ont au moins une fois renoncé à leurs soins. La dégradation de la situation creuse la fracture sanitaire, qui vient s’ajouter aux inégalités sociales, environnementales et économiques, dans une boucle des inégalités à la logique particulièrement perverse. Les conséquences en sont aussi sanitaires : la renonciation aux soins retarde la prise en charge de pathologies qui risquent de s’aggraver, sans compter l’accentuation des risques épidémiologiques dans le cas des maladies infectieuses. La surcharge des services d’urgences illustre la gravité d’une situation où l’hôpital public est devenu pour beaucoup le seul endroit où ils peuvent se soigner, avec un coût pour l’assurance maladie bien plus élevé que si la prise en charge avait été plus précoce.
Pour une autre approche des dépenses de santé
L’élaboration d’une alternative à cette politique nécessite d’appréhender les dépenses de santé non plus comme de simples coûts mais comme des investissements ayant participé à l’amélioration de la qualité de vie. Car si depuis plus de cinquante ans, elles ont augmenté pour représenter 11 % du PIB en 2010 (16 % pour les Etats-Unis), l’espérance de vie à la naissance a fait un saut de plus de 10 ans sur la même période.
Toutefois, le « rendement » de l’augmentation des dépenses de santé s’est amoindri depuis une dizaine d’années. Il faut comprendre que le vieillissement de la population n’explique que de manière marginale la croissance des dépenses, cette dernière étant principalement liée à l’augmentation des richesses et au progrès biomédical, dont les coûts, très élevés, expliqueraient entre un tiers et la moitié de la hausse des dépenses. [1] Sur la période 1992/2000, l’impact en France de ces changements est vingt fois plus élevé que celui du vieillissement. Alors que l’introduction des antibiotiques dans les années 50 avait permis une amélioration spectaculaire des conditions de santé tout en diminuant les dépenses, il en va différemment des progrès médicaux actuels, très chers pour des progrès moindres. Le gain d’espérance de vie est aujourd’hui plus coûteux qu’il y a vingt ans.
Faut-il réduire les dépenses de santé ?
La question n’est donc pas de savoir s’il faut moins ou plus dépenser mais comment mieux dépenser pour optimiser le rendement des investissements de santé. Ainsi, à la politique de réduction des dépenses de santé, on peut opposer celle de leur efficience. Pour cela, il s’agit de définir collectivement et démocratiquement les grands objectifs à l’aune desquels une évaluation de notre système de santé est possible. Nous savons qu’une réorganisation de notre système, aujourd’hui centré sur les soins et l’inégal partage de leur accès, est nécessaire. Une approche basée sur la santé, sa préservation, l’autonomie et le rapprochement des acteurs de santé entre eux doit être posée, autour de quatre objectifs principaux qui peuvent d’ores et déjà être avancés.
Le premier concerne la garantie d’accès aux soins pour toutes et tous. Face à une politique orientée vers le regroupement des structures hospitalières, impuissante à résorber les déserts médicaux, focalisée sur le gros risque et les secteurs de pointe, l’absolue nécessité de bénéficier d’un accès aux soins universel doit être rappelée.
Le second objectif réside dans la prise en compte systématique de la préservation et de l’amélioration de la santé dans toutes les politiques publiques, quelles qu’elles soient. Bruit, pollution de l’air et de l’eau, nourriture ou encore conditions de logement ont des conséquences sur nos conditions de vie qui comptent pour les trois quarts sur notre état de santé, le quart restant relevant de notre système de soins.
Le troisième objectif concerne l’autonomisation des usagers. La politique de responsabilisation s’accompagne d’injonctions sanitaires culpabilisantes (ne fumez pas, ne mangez pas gras, faites du sport, etc.) auxquelles se résument le plus souvent les campagnes de prévention. A cette forme douce d’une dictature sanitaire, il s’agit de réinterroger la question de ce que les anglo-saxons appellent la « prise de pouvoir » (empowerment) des usagers, afin que chacun puisse faire les choix les plus éclairés possibles concernant sa santé. Dans cette optique, l’éducation thérapeutique, notamment pour les plus jeunes, tout comme la formation permettant aux usagers et leurs représentants à intervenir dans la gouvernance du système de santé constituent une priorité.
Enfin, une meilleure considération de tous les acteurs de santé et du soin s’avère aujourd’hui cruciale. Les manifestations des personnels hospitaliers face à la réforme de l’hôpital public, l’aspiration à de meilleures conditions de travail des jeunes médecins ou encore l’absence de statuts pour les accompagnants constituent autant de signes du malaise que connaissent toutes celles et tous ceux qui, chacun à leur niveau, sont des acteurs de santé.
Des financements pérennes pour un système efficace
Reste enfin la question des moyens alloués à la santé, dans un contexte de crise économique. Bien entendu, les modes de financements relatifs à la santé doivent s’intégrer dans une proposition plus globale sur la fiscalité, favorisant la redistribution et la solidarité nationale. La politique fiscale menée depuis une dizaine d’années, fondée sur les réductions d’impôts principalement sur les plus hauts revenus et les entreprises, a privé l’Etat de plus de 100 milliards d’euros de recettes. Cette situation n’est plus tenable si on veut garantir un système de santé efficient.
De plus, plusieurs pistes pour assurer la pérennisation des financements liés à la santé peuvent être envisagées. A l’heure actuelle, les prélèvements obligatoires, indexés sur les revenus issus du travail, représentent 44 % des ressources de l’assurance maladie. Or ce montant, qui n’est prélevé que sur une partie du revenu, est fortement corrélé aux fluctuations du chômage. En période de crise, comme c’est le cas actuellement, l’assurance maladie se retrouve coincée entre une augmentation de ses dépenses et une diminution de ses financements, provoquant mécaniquement un déficit. La contribution sociale généralisée (CSG), basée sur les revenus issus du travail mais aussi sur ceux du patrimoine et du capital, ne représente quant à elle qu’un tiers des financements, alors même qu’elle offre un rendement largement plus efficace que les prélèvements obligatoires. La fiscalisation, qui verrait un transfert des prélèvements obligatoires vers la CSG, aurait pour avantage de diminuer les liens entre chômage et niveau de financement de l’assurance maladie tout en garantissant une plus grande justice fiscale. Cette refonte des financements devrait intégrer une fiscalité sanitaire spécifique, par une taxation complémentaire pour les entreprises dont les activités ont des impacts directs et avérés sur l’état de santé, comme c’est déjà le cas pour l’industrie du tabac et de l’alcool. Cette taxation devrait être étendue à une partie de l’industrie agro-alimentaire, qui propose des produits à trop forte teneur en sel, en graisse et / ou en sucre, aux industries et entreprises jugées polluantes et aux organisations dont les modes de gestion ont des effets négatifs avérés sur la santé de leurs collaborateurs. Enfin, la captation d’une grande part des bénéfices du marché de la santé par l’industrie pharmaceutique doit être corrigée par une augmentation de l’effort demandé aux laboratoires.
David Belliard
Journaliste
co-auteur de Nous ne sommes pas coupables d’être malades, éditions les Petits matins, 2010. Anime avec Alix Béranger le site www.uneautresante.fr
[1] Cf. la synthèse de Jean-Paul Moatti, « Economie », in Santé publique, l’état des savoirs, dir. Didier Fassin et Boris Hauray, Inserm / La Découverte, Paris, 2010, p.45-56.