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Les pesticides au service de la santé... de l’agriculture industrielle
Entretien avec François Veillerette
mardi 1er mars 2011, par
François VEILLERETTE, président de l’association Générations Futures (ex-MDRGF) qui alerte l’opinion notamment sur la question des pesticides [1], nous livre son point de vue sur la particularité des pesticides dans la problématique santé-environnement. Produits de synthèse nés des gaz de combat de la première guerre mondiale, les pesticides sont au cœur de l’agriculture industrielle qui ne peut désormais plus s’en passer du fait : de la simplification des modes de production et structures d’exploitation, du type de sélection des semences et de l’environnement socio-technique des agriculteurs. Il existe pourtant plusieurs alternatives encore trop peu développées qui, en plus de présenter un intérêt sanitaire, permettraient de préserver les ressources naturelles et la biodiversité, tout en assurant l’autonomie alimentaire à l’échelle mondiale. Mais la diffusion de ces alternatives nécessite un changement de paradigme radical tant la politique agricole est aujourd’hui verrouillée par la cogestion entre organisations agricoles dominantes et État toujours plus soumis à de puissants lobbies industriels (cf. EcoRev’ n°35).
EcoRev’ - Quels sont les principaux enjeux actuels pesticides/santé ?
Francois Veillerette - On possède désormais des éléments scientifiques solides montrant que les agriculteurs, principaux utilisateurs de pesticides (dont la France est le 3ème consommateur mondial !), sont plus souvent touchés par certaines pathologies que le reste de la population : certains cancers, des maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer), des problèmes de reproduction... On dispose également d’études sur des utilisateurs amateurs qui montrent des pathologies cancéreuses plus nombreuses chez les descendants de femmes ayant utilisé des pesticides pendant leur grossesse. Des études montrent enfin des fausses couches et des cas d’autisme plus fréquents chez l’enfant quand la femme est exposée par son environnement à des pesticides pendant la grossesse. On voit donc l’ensemble des pathologies chroniques concernées. Pour les conséquences de l’exposition alimentaire à des résidus on ne dispose pas de telles études épidémiologiques (il faudrait comparer des populations ayant mangé bio pendant 30 ans a des populations ayant mangé "intensif" pendant la même durée et comparer la prévalence de pathologies), cependant une étude de l’université de Washington a analysé l’urine d’enfants et a montré que ceux qui mangent des fruits et légumes bio ont des concentrations en métabolites de pesticides 6 fois plus faibles que les autres et que le niveau rencontré chez les autres petits enfants peut excéder les niveaux "sûrs" d’exposition aux pesticides. Il faut appliquer le principe de précaution car l’exposition alimentaire aux résidus est une exposition à des cocktails de très nombreux produits (36 différents par jour dans notre dernière étude de décembre 2010) et des effets de synergie sont suspectés, y compris avec d’autres substances toxiques présentes dans l’environnement. D’où la demande d’exclure tout pesticide suspecté cancérigène, mutagène reprotoxique ou perturbateur endocrinien.
Les pesticides sont aussi fortement suspectés de nuisances sur un certain nombre d’espèces animales, comme les abeilles et plus généralement les pollinisateurs, et les lombrics qui font vivre les sols, ce qui pourrait, à terme, entrainer des conséquences dramatiques sur le fonctionnement de l’écosystème, et par truchement, sur la vie humaine.
Pourquoi a-t-on "besoin" des pesticides ? Des techniques "naturelles" (biocides naturels, pratiques alternatives, semences plus résistantes, etc.) peuvent elles remplacer les produits chimiques actuellement utilisés ? Pourrait-on produire autant avec ? Et est-ce souhaitable ?
Les pesticides de synthèse sont utilisés car les systèmes de cultures qui dominent depuis les années 60 sont excessivement sensibles aux maladies et aux ravageurs, d’une part du fait des critères de sélection retenus pour obtenir les variétés, d’autre part à cause des techniques mises en œuvre (excès d’engrais, semis trop denses, rotations trop courtes, absence de haies qui hébergent des insectes "auxiliaires" susceptibles de limiter les "nuisibles"...) Des techniques alternatives tant agronomiques que liées à la sélection ou même aux produits utilisés existent. Malheureusement, l’homologation de substance naturelles se heurte à la lourdeur et au coût de la procédure ordinaire, qui lui est appliquée sans discernement, ce qui empêche de très nombreux produits naturels, pourtant efficaces et sans danger, d’être promus et échangés.
Quant aux techniques de production employant moins de pesticides, type "production intégrée", le rendement diminue d’environ 10% pour les céréales, mais la rentabilité de ces systèmes est souvent meilleure que dans les systèmes intensifs. En bio (qui ne recourt pas aux produits de synthèse et donc pas aux pesticides), les rendements sont certes plus faibles, mais la valorisation des produits étant bien meilleure, ce niveau de production est économiquement viable voire plus rentable.
Il faut ajouter que se passer des pesticides aurait, outre des avantages sanitaires directs, des effets positifs sur la biodiversité, et que cela va de pair souvent avec des systèmes plus autonomes sur le plan énergétique, et plus localisés, alors qu’au contraire l’utilisation des pesticides est une fuite en avant, car la nature finit par résister aux substances actives : il faut alors en utiliser plus, et de nouvelles.
Par ailleurs la question de la quantité produite doit être examinée dans le temps : si les systèmes de production alternatifs type bio/intégré ont un rendement moindre aujourd’hui (dans les pays "du nord", car dans les pays "du sud" le bio a tendance au contraire a donner des rendements plus forts que le "conventionnel" !), celui-ci peut augmenter avec la recherche, et ils ont l’avantage de préserver les ressources, tandis que si on tue les sols et la biodiversité, à force de pesticides, on ne pourra plus rien produire demain. De plus, dans une économie où 30 à 40% des produits alimentaires sont jetés avant d’atteindre l’assiette, il y a une marge de progrès qui permet de penser la production autrement qu’uniquement en termes de quantités (sans parler de la place centrale accordée aujourd’hui aux produits carnés dans notre alimentation, qui implique de produire beaucoup, et qui pourrait éventuellement être interrogée).
Enfin, on oppose souvent aux systèmes de production alternatifs qu’il faut bien "nourrir le monde". Cependant ce n’est pas en envahissant les marchés du sud avec nos excès de production ultra subventionnés que l’on va aider ces pays à développer leur propre souveraineté alimentaire ; ce qu’on alimente de cette manière c’est surtout la faillite de l’agriculture vivrière du sud et un exode rural massif qui lui-même alimente la pauvreté et la migration...
En quoi les producteurs de pesticides représentent-ils un lobby particulier, par rapport à d’autres lobbys industriels, sur la question de la santé ?
L’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) est le lobby des fabricants de pesticides. La stratégie de ce lobby est de plaider sur l’acceptabilité du risque posé par leurs produits, à partir du moment où l’utilisateur les emploie en respectant "les bonnes pratiques agricoles". Autrement dit : si les agriculteurs sont malades à cause des pesticides c’est de leur faute car ils ont mal travaillé et n’ont pas respecté ces bonnes pratiques... En cela ce lobby emploie une méthode classique dans le milieu industriel. La différence avec d’autres produits tient au fait que les produits sont fabriqués pour être à la fois toxiques et assez persistants (deux gages de leur efficacité) ce qui rend leur utilisation intrinsèquement dangereuse. Reporter la "faute" sur l’utilisateur parait donc un peu "gonflé" de la part des fabricants.
Quel est le système d’homologation des produits, que peut-on en dire, et plus largement de quelle manière la loi interfère-t-elle sur cette question ?
Le système d’homologation des pesticides est actuellement basé sur la Directive 91/414. La matière active est homologuée au niveau européen et le produit commercial (matière active + adjuvants), au niveau national. Ce texte va être remplacé par un nouveau règlement, le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil (JOUE L309 du 24 novembre 2009) [2].
Le système d’homologation / évaluation du risque comporte de nombreuses lacunes. Ainsi :
– les effets synergiques ne sont pas évalués,
– les effets sur les êtres les plus sensibles (foetus...) ne sont pas pris en compte,
– les tests sur la perturbation du système hormonal ne sont pas systématiquement requis,
– on tolère sur le marché des substances dont on a pourtant montré des effets cancérigènes, au moins sur l’animal.
Le nouveau règlement s’appliquera directement, sans avoir besoin d’être transcrit en directive. Il marque un certain nombre d’avancées, notamment par l’exclusion à priori d’un certain nombre de substances classées cancérigènes probables et certains perturbateurs endocriniens.
De quelle manière ce lobby utilise-t-il la pub et la sémantique pour minimiser le problème ?
L’UIPP est passée maître dans l’art de la langue de bois et de l’habillage environnemental. La principale méthode consiste comme on l’a vu à reporter la responsabilité du risque sur les utilisateurs. Une autre méthode consiste à faire croire que les produits pesticides sont totalement indispensables pour produire la moindre nourriture. Pour arriver à faire croire cela, l’UIPP n’hésite pas à utiliser des moyens de communication caricaturaux, comme on a pu le constater sur son stand au salon de l’agriculture, et à viser un public jeune. On peut citer aussi leur brochure "Comment les plantes poussent ?" qui explique aux enfants qu’il est nécessaire de tuer les terribles nuisibles à coup de pesticides et qui bien entendu ne mentionne pas clairement les dangers de ces produits.
Il serait drôle, si ce n’était pas dramatique, de constater l’évolution de la sémantique : de "pesticide" on est passé à "produits phytosanitaires" et dernièrement à "produits phytopharmaceutiques", et même "produits de santé des plantes"... à quand le remboursement par la sécu ? Enfin, on peut citer plusieurs publicités des producteurs de pesticides vantant la soit-disant innocuité de ces produits, dénoncées par des associations environnementales. Des dénonciations qui, pour certaines, ont donné lieu à des procès et à des condamnations pour publicité mensongère.
Propos recueillis par Sarah Feuillette
En une journée, 36 pesticides ingérés
Entre juillet et septembre 2010, l’association Générations futures a acheté des aliments composant les repas types d’une journée d’un enfant d’une dizaine d’années. Le but ? Analyser la présence de composants chimiques. Les résultats sont éloquents. Ces aliments contenaient 128 résidus chimiques, provenant de 81 substances différentes. Dont 5 substances cancérigènes et 42 concérogènes possibles ; 37 perturbateurs endocriniens ; 36 pesticides différents... Certes, les taux sont inférieurs aux normes en vigueur. Mais cette étude montre à quel point les substances chimiques se sont généralisées dans l’environnement. Nous en ingérons quotidiennement une grande diversité, dans des produits de consommation courante.
[1] Voir notamment l’enquête menée sur les toxiques cancérigènes qui polluent nos assiettes dans le cadre de la campagne citoyenne "Environnement et Cancer" (http://www.environnement-et-cancer.com/). Une étude à découvrir sur le site dédié : http://www.menustoxiques.fr/