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René Dumont, le jeu de piste de l’écologie politique
mardi 24 janvier 2006, par
René Dumont, figure emblématique de l’écologie politique française, fût le premier candidat à l’élection présidentielle sous l’étiquette de l’écologie. Son parcours militant et intellectuel témoigne du cheminement d’une pensée qui émerge à la fin des années 60, et s’affirme, à travers sa construction idéologique et partisane.
René Dumont (1904-2001), l’homme à l’éternel pull rouge, est né le 13 mars 1904 à Cambrai. Dès ses premiers voyages dans les pays du Sud (1929 au Vietnam, qui donner lieu à son premier livre, La Culture du riz dans le delta du Tonkin, 1935) il est révolté par la politique coloniale. Cette première expérience du terrain structure les bases de la réflexion intellectuelle de René Dumont : apprendre comment se passent réellement les choses, étudier en direct l’effet d’une politique. Frappé par la misère et la souffrance, lui, l’enfant élevé pendant la Première guerre mondiale, souhaite contribuer à mettre en place une organisation sociale soucieuse du bien-être des populations.
Le domaine de l’agriculture est son terrain privilégié. Il adopte tout d’abord une vision productiviste de l’agriculture, dans l’objectif d’assurer une autosubsistance des populations du Sud. Il s’enthousiasme pour l’agriculture moderne (Les Leçons de l’agriculture américaine, 1949), mais bien plus encore pour les révolutions agraires (Révolution dans les campagnes chinoises, 1957). Puis, progressivement, il élabore une critique du modèle productiviste, en analysant l’impasse des théories du "rattrapage" : une telle organisation des rapports économiques ne fait que déplacer les logiques de la domination politique, que ce soit au Sud (L’Afrique noire est mal partie, 1962) mais aussi à l’Ouest ou au l’Est (Développement et socialismes, 1969). Cela le conduit à critiquer les modèles comme celui de la Révolution verte et à lutter contre l’agriculture productiviste. Désirant promouvoir une autre vision du développement agricole, il exerce également son activité dans le cadre des Nations Unies et de la FAO.
Son parcours politique témoigne d’une évolution importante ; son "pacifisme intégral" et son souci de maintenir une agriculture paysanne ancrée dans ses territoires l’ont conduit à un positionnement incertain au cours de la Seconde guerre mondiale. Il préconise une vision corporatiste de l’agriculture, soutenant de facto la vision pétainiste de l’époque. Lucide, sans jamais nier ce passé, il qualifiera plus tard son attitude de "Munichoise". Suite à cet épisode, il entretient un rapport ambigu à l’espace politique, mélange de fascination et d’une extrême prudence, à la fois sur ses propres engagements politiques, mais aussi sur les finalités de l’action politique.
La pomme et le verre d’eau
Sur la base de son expérience professionnelle, René Dumont élabore progressivement une pensée complexe des rapports sociaux, qui associe la gestion durable des ressources naturelles au respect des équilibres démographiques. Á mesure que son expérience grandit, elle se heurte aussi à des ruptures qui élargissent progressivement le champ de son engagement. Ce qui le pousse à militer pour les droits de l’Homme et la justice sociale ; une pensée présentée dans plus d’une quarantaine d’ouvrages. Même s’il se déclare lui-même socialiste, antibureaucratique et autogestionnaire, il devient l’un des plus fidèles partisans d’une écologie politique autonome. Un tel positionnement témoigne de l’absence, chez René Dumont, d’une pensée doctrinale figée, qui évolue en incluant dans la trame générale (la lutte contre l’exclusion mondiale des pays du Sud) des thématiques qui lui sont indissociablement liées (santé, environnement, droits de l’Homme, etc.). Si la pensée marxiste lui offre un temps un cadre d’explication, René Dumont ne s’enferme pas pour autant dans cette logique théorique, critiquant tout autant le modèle productiviste soviétique (Finis les lendemains qui chantent, 1983-1985, avec Charlotte Paquet) que l’incurie de certaines élites du Sud, fascinées par ce modèle.
Au milieu des années soixante-dix, l’action politique de l’homme au pull-over rouge se recentre provisoirement sur le cadre national avec son entrée dans le champ politique électoral. Cette étape n’est pas seulement importante pour sa trajectoire politique, elle est surtout déterminante pour l’histoire de l’écologie politique en France. René Dumont est le premier candidat écologiste à une présidentielle. Sa candidature résulte d’une décision précipitée et sa campagne est largement improvisée. Le 11 avril 1974, il tient sa première conférence de presse. On se souviendra de sa campagne à bicyclette, mais également du verre d’eau et de la pomme qu’il présente alors comme des denrées rares et précieuses lors de ses passages sur le petit écran ; manière aussi pour lui d’aborder la question de l’incohérence des coûts de production (notamment pour ce qui est des transports). Comme l’écrit Le Monde, son "désir de protéger la nature entraînait des prises de positions qui dépassaient le seul cadre écologique" [1]. Á l’occasion de cette campagne, l’agronome tiers-mondiste rédige un livre qui contient, prophétiquement ou tout naturellement, l’ensemble des thèmes du combat écologiste. Précurseur, prophète, porte-parole éclairé... Il demeure une figure incontournable de l’écologie politique en France. Il était conscient de la nécessité pour les écologistes d’élaborer en "commun un programme économique, et donc politique, permettant de sortir de la société du profit qu’entraîne l’économie de marché" et de "remettre en cause la croissance" [2].
Depuis, il a soutenu l’ensemble des campagnes électorales des Verts. Il poursuivit une analyse sans concession de la logique libérale (il figure parmi les membres fondateurs d’ATTAC), privilégiant la défense des pays du tiers-monde. Compagnon de route des écologistes, refusant d’endosser l’image d’un père tutélaire, il n’a pas épargné pas les Verts de ses critiques. Sa pensée constitue une référence pour une certaine écologie, celle qui estime que l’écologie politique trouve sa force dans sa capacité à se réformer et à s’ancrer dans une relation avec le réel.
Bruno Villalba
[1] Le Monde, dossiers et documents, L’élection présidentielle de 1974
[2] Le Monde, dossiers et documents, L’élection présidentielle de 1974