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2007-2012 : de nouvelles avancées vers un revenu social garanti
vendredi 1er décembre 2006, par
Partage du travail, réduction du temps de travail, revenu universel, ces trois thèmes ont nourri et alimenté la réflexion des écolos ces quinze dernières années. Pascal Canfin, responsable de la commission Economie et Social des Verts et qui à ce titre a coordonné la partie économique et social du programme des Verts pour 2007, revient dans ce texte sur la place qu’y tient la question du revenu social garanti. Si le "revenu pour tous" n’est pas revendiqué en tant que tel, cinq mesurent constituent bien un embryon de revenu garanti. Explications.
Le débat sur le revenu minimum garanti pour tous anime régulièrement les Verts. En 1999, un groupe de travail intercommission l’avait défini comme un "droit-créance" opposable à l’État-providence, "universel", c’est-à-dire pour tous, riches et pauvres, du berceau à la tombe, "inconditionnel", en particulier non conditionné à l’exercice d’une activité, a fortiori d’une activité salariée, et "substantiel", c’est-à-dire de niveau suffisant pour vivre de manière décente.
Dans le travail programmatique interne réalisé en 2003 et validé par le Parlement du mouvement, la solution retenue était un revenu minimum garanti de 80 % du Smic, qui ne disait pas son nom. Il était en effet précisé à différents endroits du programme que les minima sociaux devaient être relevés à hauteur de 80 % du SMIC et que le salaire minimum quelque soit le temps travaillé serait également fixé à ce montant. Il n’était pas formellement prévu que les allocations chômage le soient également mais il est difficile d’imaginer des allocations chômage inférieures aux minima sociaux...
C’est sur cette base que le groupe chargé du programme économique et social pour les échéances de 2007 a travaillé, en identifiant tout d’abord un certain nombre de problèmes. Le premier est l’absence d’estimation du coût de cette mesure et de son impact sur les salaires ( et notamment sur le SMIC) et sur le système de protection sociale. Or l’introduction d’un salaire minimum de 80 % du Smic pour un temps partiel ne peut pas ne pas avoir d’impact majeur sur le Smic à temps plein. Deuxième lacune : à défaut de savoir combien cela coûtera, il eut été intéressant de préciser qui allait payer. Même s’il n’y a pas de réponse formelle, on peut deviner qu’une grande partie sera à la charge des entreprises. C’est le cas directement pour le salaire minimum de 80 % du Smic, et indirectement pour les allocations chômage puisque leur revalorisation impliquera une augmentation des cotisations, donc celles des employeurs. Or, et c’est incontestablement le plus gros problème, la revendication d’un revenu minimum à 80 % du Smic s’ajoutait aux 32 heures sans baisse de salaires, à la création d’un droit à une année de formation professionnelle prise en charge par les entreprises tous les 10 ans, et au retour aux 37,5 ans de cotisations pour accéder à la retraite à taux plein.
Tout cela avec, en filigrane, une seule source de financement pérenne : les gains de productivité réalisés par les entreprises [1]. Les grandes entreprises consacrent aujourd’hui l’essentiel de leurs gains de productivité à la rémunération de leurs actionnaires et les plus petites, notamment les sous-traitants dépendants des donneurs d’ordre, à l’amélioration de leur compétitivité-prix. Il y a donc une réelle marge de manœuvre pour les affecter à la diminution du temps de travail des salariés à temps plein, ou à l’augmentation du salaire des salariés à temps partiel, ou encore à l’augmentation de la contribution socialisée des entreprises pour financer les minima sociaux et la formation professionnelle. Mais il est peu crédible d’engager les trois évolutions simultanément.
La question à laquelle le groupe de travail pour le programme économique 2007 devait donc répondre pouvait être formulée de la manière suivante : à quoi faut-il affecter en priorité les gains de productivité des entreprises ? C’est ce que nous avons demandé aux 300 militants Verts rencontrés lors de 7 réunions organisées en régions entre septembre 2005 et mars 2006. Les réponses majoritaires étaient, de loin, l’extension de la réduction du temps de travail dans les PME et le développement des droits à la formation continue, quel que soit son statut [2]. Deux positions qui convergent avec l’analyse que le groupe programme se fait des priorités à court et moyen terme.
Depuis plus d’une décennie, les gouvernements successifs cherchent à promouvoir l’emploi dans les petites entreprises. Ils votent donc des exceptions au droit social comme, tout récemment, le contrat nouvelle embauche dans les entreprises de moins de 20 salariés ou le gel des 35 heures dans ces mêmes entreprises décidé en 2003, après que la gauche se soit arrangée pour faire passer la RTT dans les PME après les échéances électorales de 2002. Résultat : alors que les salariés de PME n’ont pas, dans leur immense majorité, de représentations syndicales pour les défendre, ils sont également "lâchés" par les gouvernements qui ne leur ont pas accordé la plus grande avancée sociale de ces dernières années. Cette situation crée un fossé au sein du salariat et encourage les grandes entreprises à sous-traiter dans les petites où les conditions sociales sont moindres. Or, la relocalisation de l’économie et le développement du tiers secteur que nous appelons de nos vœux passent par le développement de petites entreprises aux marchés locaux et régionaux. Mais ces créations ne peuvent se faire sur la base d’un droit social au rabais. Il est donc essentiel de réduire rapidement au maximum les différences de droits entre salariés des petites et des grandes entreprises. Ceci ne pouvant se faire, à court terme au moins, à partir de la négociation en raison de l’absence des syndicats dans les TPE, c’est au législateur de prendre ses responsabilités. La première d’entre elle étant d’étendre le bénéfice de la réduction du temps de travail à tous les salariés.
Deuxième priorité avancée par les militants Verts en réponse à la question sur l’affectation des gains de productivité, la formation professionnelle. Là encore il faut aborder le problème en lien avec la "conversion écologique de l’économie" qui est l’un des objectifs majeurs que les Verts donnent à leur politique économique. Si l’on prend au sérieux la nécessité de convertir pour des raisons environnementales (réchauffement climatique, pénurie de pétrole, santé humaine, diminution des ressources halieutiques...) des pans entiers de l’économie comme le transport routier, l’industrie chimique, l’agriculture, la pêche, etc, les besoins de formation des salariés pour les accompagner dans de nouveaux emplois seront colossaux. Le scénario le plus probable est qu’une partie des dépenses soient à la charge des entreprises, en augmentant les droits à formation continue, en développant les écoles de la deuxième chance..., et une autre partie socialisée.
Le programme pour 2007 marque-t-il pour autant l’abandon par les Verts du revenu garanti pour tous ? Non. A travers quatre mesures phares ils continuent de mettre en place des dispositifs qui tendent à généraliser la déconnexion du revenu et de l’emploi.
Première mesure, l’extension du RMI aux jeunes de 18 à 25 ans, couplé avec l’augmentation des minima sociaux de 50 % sur 5 ans de façon à ce qu’ils dépassent tous le seuil de pauvreté à la fin de la mandature. Son coût, progressif, est d’environ 35 milliards sur 5 ans, soit 7 milliards par an en moyenne sur la mandature. Pour le financer, nous proposons notamment de revenir sur une partie des 16 milliards d’aides directes que les pouvoirs publics (Etat et collectivités locales) attribuent chaque année aux entreprises, en commençant par celles données aux grandes entreprises et aux aides à l’exportation.
Deuxièmement, mettre en place une prime salariale pour les "travailleurs pauvres". 1,2 millions de personnes, dont 800 000 femmes, ont un emploi à temps partiel et une rémunération inférieure au seuil de pauvreté de 650 euros. Pour lutter contre ce phénomène, les Verts ont inscrit dans leur programme 2007 comme mesure d’urgence une prime salariale, payée par les entreprises, qui surtaxe les premières travaillées pour tous les contrats inférieurs ou égaux à un mi-temps [3]. Si cette mesure est appliquée une personne travaillant à mi-temps au Smic percevra un salaire de 66 % du Smic, soit l’équivalent du seuil de pauvreté. L’employeur sera évidemment incité à augmenter la durée du travail pour ne pas payer son (sa) salarié(e) "pour rien". Ce qui aura pour conséquence concrète d’augmenter le pouvoir d’achat de cette personne, de commencer à la sortir de la galère et d’instaurer de fait un salaire minimum réel et non simplement horaire.
Troisième mesure, l’extension des 35 heures aux petites entreprises. RTT et revenu garanti sont contradictoires à court terme sur le plan du de financement. Dans leur rapport à la valeur travail, ils sont plus complémentaires que contradictoires. Les deux portent l’idée que l’emploi (travail salarié) est une activité parmi d’autres et qu’il doit prendre une place de plus en plus relative. Pour les partisans de la RTT cette "dévalorisation" ne peut être que progressive ; les partisans du revenu garanti pour tous pensent au contraire qu’il faut casser en une fois le lien de dépendance qui lie revenu et emploi. Après 30 ans de chômage de masse la base sociale pour porter la "dévalorisation" de la valeur travail est faible car au lieu de désaccoutumer les français au travail salarié, le chômage lui a donné une valeur d’intégration sociale encore plus forte [4]. Dans ce contexte, une solution progressive semble la seule susceptible de faire l’objet d’un compromis social à court terme. Mais le débat reste bien entendu ouvert pour l’avenir. Dans ce cadre, pour les Verts, la RTT est davantage un premier pas vers un revenu garanti qu’un renoncement.
Dernière mesure phare du programme 2007 qui pousse à la déconnexion du revenu et de l’emploi salarié : le contrat d’activité pour les personnes de plus de 55 ans. Le constat est le suivant : la majorité des plus de 55 ans en emploi souhaitent travailler moins en raison de la fatigue accumulée, et la majorité des plus de 55 ans hors emploi (chômeurs dispensés de recherche d’emploi, jeunes retraités...) ont davantage subi que souhaité l’arrêt du jour au lendemain de toute activité salariée. La tranche 55 (vieux actifs)-65 ans (jeunes retraités) expérimentent tous les jours l’incohérence du tout ou rien, tout emploi ou pas d’emploi, car peu sont ceux qui peuvent se contenter d’un salaire partiel lié à un temps partiel. Il faut inventer des dispositifs microéconomiques capables de rendre supportable l’allongement de la durée de la vie professionnelle (par rapport à une norme assez récente). Les Verts proposent donc de diminuer progressivement entre 55 et 65 ans la durée légale du travail, par exemple de 1600 heures à 55 ans, à 600 heures à 65 ans. Les heures "libérées" font l’objet d’une contractualisation trilatérale entre l’employeur (ou groupement d’employeurs), le salarié et une collectivité locale ou un acteur de l’économie sociale et solidaire, dont la rémunération sera probablement largement socialisée (soit directement via le salaire payé par la collectivité locale, soit indirectement via les subventions publiques perçues par les structures du tiers secteur) pour financer des heures d’activité socialement utile (ce qui inclut "l’environnementalement" utile). Ce dispositif présente l’intérêt de favoriser à peu de frais le transfert de compétences dans le monde de l’économie sociale et solidaire qui constitue un des piliers d’une économie localisée. Concrètement, il s’agira pour les personnes de 55-65 ans, volontaires dans un premier temps, d’expérimenter ce contrat d’activité qui mixte, sans les mélanger, temps "marchand" et temps d’utilité sociale, rémunération "classique" et rémunération de type "revenu d’activité". Si ce dispositif trouve une base sociale suffisamment large, son extension à d’autres catégories d’actifs pourra être envisagée. Il constituerait alors le cadre microéconomique du dépassement de la relation travail salarié-revenu qui est au cœur du revenu garanti et marquera une étape considérable dans la reconnaissance monétaire de l’utilité sociale des activités non-marchandes.
Enfin, signalons que les Verts proposent d’aller plus loin dans l’expérimentation des quasi-monnaies (ou monnaies affectées) de type monnaie Sol afin d’envisager leur déploiement pour financer une partie du revenu minimum garanti, sans stigmatisation, et dans une logique de relocalisation de l’économie.
On le voit, même s’ils ne le défendent pas en tant que tel pour 2007, les Verts n’ont pas renoncé au revenu social garanti. Au contraire, ils se donnent les moyens de continuer à avancer dans cette direction en essayant de proposer les dispositifs concrets capables de rallier progressivement la majorité culturelle à la sortie de la "société du travail" dont on sait bien qu’elle est le corollaire du dépassement de la "société de consommation".
Pascal Canfin
[1] L’augmentation de l’impôt sur les sociétés et une taxe sur les licenciements dans les entreprises qui réalisent des bénéfices sont également prévues au programme, mais les enveloppes financières qu’elles généreront sont, de l’avis de tous, très largement insuffisantes au regard des enjeux liés à un revenu garanti pour tous.
[2] Selon une logique proche de la sécurité sociale professionnelle portée notamment par la CGT pour lier les droits à la personne et au non au statut.
[3] Les temps partiels inférieurs à mi-temps sont dans leur immense majorité du temps partiel subi (surtout au Smic !). Cette mesure n’est donc pas un frein au temps partiel choisi qui prend le plus souvent la forme d’un passage à trois ou quatre jours travaillés par semaine.
[4] Sans tirer des généralités des réunions de "formation" avec les militants en régions, il semblerait que la place du travail dans la socialisation fasse également débat chez les Verts et que le renouvellement des générations de militants rende moins évidente la dévalorisation du travail comme faisant partie des fondamentaux de l’écologie politique.