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TGV : Troisième Gauche et 3ème Voie (à droite)
mai 2000, par
Il faut prendre cette stratégie politique pour ce qu’elle est : rejoindre à très grande vitesse le social-libéralisme européen, la 3ème voie de Tony Blair (et Jospin) au nom du progrès, les Verts étant réduits à être "l’aile novatrice de la gauche, ni à gauche de la gauche, ni à droite de la gauche, elle est tout simplement devant". En fait, cette opération politique qui doit se juger à ses soutiens, n’est de l’aveu même de Dany qu’une traduction politique de son score aux européennes. Il insiste sur le fait qu’une moitié des électeurs votaient Vert pour la première fois, et donc pour lui. Autant dire que les Verts devraient être le support de "leurs leader naturels", et en fait d’aile novatrice, simplement l’instrument de la conquête de la "gauche" social-libérale. Inutile donc de voir dans cette 3ème gauche la question des rapports de l’écologie au mouvement ouvrier, au salariat, au progressisme. Il ne s’agit que de se réclamer d’un PSU mythique pour légitimer un éco-libéralisme plus libéral que celui de la 2ème gauche rocardienne.
Quel sens cela a-t-il de passer d’une écologie de gauche (que nous revendiquons) à une gauche écologiste ? Ce n’est certes pas pour être plus à gauche que les Verts. La Troisième Gauche Verte, c’est la droite des Verts. Clairement la gauche invoquée est bien la gauche européenne qualifiée de social-libérale. Dans ce contexte, réduire l’écologie à une modernisation de la gauche permet de se débarrasser des côtés les plus radicaux de l’écologie pour ne garder que sa version éco-libérale et environnementale. Tout comme les grandes organisations internationales, il ne garde en effet de l’écologie que les notions de développement durable et le principe de précaution. Une fois cette réduction opérée, on peut certes prétendre qu’il y a autre chose dans la vie et que la gauche est plus globale ! C’est pourtant tout le contraire. L’écologie est plus globale que le socialisme et ne se réduit pas à l’environnementalisme mais doit mettre en cause la production et les rapports sociaux. De plus l’écologie articule liberté collective et liberté individuelle en valorisant les différences en même temps que la solidarité et la responsabilité collective.
C’est ce qui manque à cette "démocratie des individus" et non des citoyens, à cette gauche qui n’est ni socialiste, ni écologiste et dont le seul projet collectif est l’Europe libérale de la globalisation économique, d’un État qui doit agir "moins dans une logique de protection que dans une logique de responsabilisation". Le chiffre 3 est l’occasion d’un éloge du compromis, d’un dialogue avec la droite ou des retraites par capitalisation. Dans son ambivalence face au capitalisme qui n’est pas "tout mauvais", on peut voir l’idéologie du cadre tiraillé entre son appartenance à la direction et son statut de salarié subordonné, position qui lui fait dire à chaque fois "d’un côté..., de l’autre...". Plutôt que ce refus de choisir, l’écologie aurait permis de mettre l’intérêt général, le global au-dessus des intérêts particuliers ou de l’individualisme, de même que la critique contre l’universalisme abstrait aurait été plus pertinente en se réclamant de la promotion par l’écologie du local et du droit des minorités. On ne voit guère autre chose dans son projet qu’un capitalisme un peu plus durable, moins excessif.
La pirouette habituelle de Dany se réclamant du libéralisme d’Hannah Arendt et non du libéralisme économique, ne peut camoufler que la politique qu’il veut soutenir est bien celle des sociaux-libéraux. Mais n’est-ce pas le projet de la majorité actuelle des Verts, la liquidation des aspects radicaux de l’écologie pour participer au pouvoir aux côtés des socialistes ? La stratégie d’alliance avec Jospin est la stratégie de Dany depuis Sanguinet (1996). C’est la stratégie adoptée par la majorité qui transforme les Verts effectivement en 3ème force d’appoint du PS, parti de personnalités plutôt que de militants.
JZ
2. Historique de la 3e Gauche
Les rapports entre 2e et 3e gauche sont ici d’une grande confusion, en premier lieu de nature historique. L’idée de 2e gauche est apparue à la fin des années 70 dans le combat mené par Michel Rocard contre F. Mitterrand au sein du PS. Il s’agissait alors, contre une 1ère gauche, jacobine, étatiste et autoritaire, d’en promouvoir une 2e, décentralisatrice et autogestionnaire. Les rocardiens portaient aussi fortement l’exigence de réhabilitation de l’économie de marché, des entreprises face au programme PS de l’époque dont les mots d’ordre "changer la vie", "rupture avec le capitalisme" nous apparaissent aujourd’hui proprement hilarants ! Deux remarques donc.
Cette séquence n’a strictement rien à voir avec le PSU. Celui-ci n’a jamais représenté un "laboratoire d’idées" de la 2e gauche. Ce terme n’était d’ailleurs pas utilisé par Michel Rocard avant son départ du PSU en 1974. À cette époque, il oscillait entre déclarations martiales "construire le parti révolutionnaire" et souci tactiques du genre "quel est le meilleur moment pour rejoindre la social-démocratie , ?" S’il est exact que le PSU tout au long de son histoire longue et mouvementée a brassé une multitude d’idées et de pratiques, la captation d’héritage au profit de la 2e gauche paraît ici bien abusive.
D’autant que la saga de ladite gauche s’est largement épuisée dès lors que ces idées ont été en grande partie appliquées par les hommes de la première (Fabius, Bérégovoy...). dans ces conditions, le concept même de 3é gauche ne peut plus faire référence qu’à une simple démarcation du PC et du PS. Encore faut-il justifier une originalité réelle par rapport à ce dernier.
3. L’évolution du capitalisme
Pour DCB, le "nouveau capitalisme" dominé par l’ambivalence n’est ni bon ni mauvais. Il porte en lui à la fois des éléments positifs (savoirs et qualification) et négatifs (mondialisation financière). Mais se contenter de juger des conséquences dispense de s’interroger sur les dynamiques de fond. Si le capitalisme valorise aujourd’hui les savoirs et l’autonomie, c’est dans un cadre bien précis. Depuis plusieurs années de nombreux auteurs (JP Le Goff, L. Boltanski, P. Zarifian) ont montré les capacités de retournement dus système utilisant la "pensée 68" ou la "critique artiste" à son profit. Plus précisément, les nouveaux modes de management et de gestion, s’appuyant sur la nécessité de "penser à l’envers" par rapport au taylorisme (B. Coriat) intégrant en large part la mobilisation des salariés. Mais celle-ci ne s’effectue qu’à l’intérieur du moule des contraintes imposées par le caractère privé des entreprises (profit, dividende, concurrence...). Les enquêtes actuelles foisonnent d’exemples de "management par le stress" ou l’autonomie et le contrôle a posteriori s’accompagnent plutôt d’une intensification du travail et d’une montée de l’angoisse. Bref, loin de "tirer nos sociétés vers le haut", le nouveau capitalisme nous ramène plutôt sur certains points aux relations sociales du 19e siècle (précarité, travail à la tâche...) matinées de nouvelles technologies.
Plutôt qu’une improbable régulation, ne devrait-on pas se situer pleinement dans la perspective du dépassement d’un système qui ne crée des richesses qu’au prix d’une aliénation et d’une exploitation toujours accentuée ?
4. Individualisme et universalisme
Les référence de DCB s’orientent vers la perspective d’une "démocratie des individus." À l’inverse des constats dominants sur le triomphe de
l’individualisme contemporain, il met en cause les multiples contraintes
sociales s’opposant à la "personnalisation des choix". remarquons d’abord que ces contraintes bien réelles reposent sur des éléments structurants d’une mécanique dont il vante par ailleurs les mérites (l’entreprise, le marché, la consommation...). mais plus profondément c’est la conception même de la vie en société qui pose problème. Fidèle aux préceptes libéraux constituant le fonds de sa pensée, DCB considère la société comme une simple agrégation d’individus dont il convient de défendre les intérêts particuliers. c’est ce qui explique en réalité la sous-estimation gravissime des ravages de l’individualisme
associé au fétichisme de la marchandise : perte des liens sociaux, anomies, affaiblissement des corps intermédiaires, fuite dans l’hédonisme, narcissisme, charité remplaçant la solidarité.
Le projet écologiste et alternatif doit avant tout promouvoir la mise en
mouvement de collectifs au niveau de l’entreprise, des quartiers plutôt que de prétendre surfer sur les tendances dominantes. la démocratie est avant tout affaire de groupes et non d’individus isolés, nomades, exprimant leur choix (par internet ?) en dehors de toute pratique sociale. quand à "l’universalisme abstrait" qui écraserait les différences, il est à rechercher plutôt du côté de la Mcdonaldisation" de la société tendant à unifier les modes de vie et de consommation, qu’en direction de valeurs républicaines en net déclin. Ce dont souffrent nos sociétés modernes, ce n’est pas du rouleau compresseur de "l’universalisme abstrait", c’est du culte de la différence, des intérêts particuliers qui rend toujours plus difficile le principe de projet collectif mobilisateur, d’imaginaire audacieux, d’utopie réaliste, susceptibles de rendre attractifs l’idée même d’une autre société.
JP Lemaire
5. Quelle gauche ?
Depuis son émergence en France dans la nébuleuse du gauchisme culturel post-1968, l’écologie politique a joué un rôle important, avec d’autres "nouveaux mouvements sociaux" tels que le féminisme, dans l’intégration (via notamment le PSU et la CFDT de l’époque) par la gauche traditionnelle d’autres valeurs (post-matérialistes) et d’autres fronts de luttes que celui du mouvement ouvrier : le quartier, l’espace conjugal, la planète ou les sexualités sont ainsi devenu de nouveaux enjeux. Les drogues douces, les générations futures, l’autogestion, le partage du travail, les écosystèmes et la technoscience sont ainsi entrés au coeur du champ politique.
Mais avec quel secteur de la gauche DCB souhaite-t-il PACSer les Verts ? DCB fait le choix stratégique de tourner le dos à la gauche critique, qui malgré les archaïsmes de ceux qui s’en sont appropriés la représentation politique (LO) constitue une force de résistance à la mondialisation libérale. Nous ne pouvons pas nous passer sous peine de se limiter à recruter aux franges d’un PS quelques intellectuels proches de la direction de la CFDT, voire de dériver vers le centre (on note que la seule alliance envisagée l’est avec UDF pour une constitution européenne).
Au contraire de cette (absence de) stratégie, les Verts (ou l’organisation
dans laquelle ils se fondraient) doivent se faire un outil et un débouché
politique de la gauche citoyenne et mondialiste d’Attac, de la lutte anti OMC, de la Confédération Paysanne, des SUD, d’AC et des mouvements des "sans".
Dans une société du risque et de la précarité : il faut recréer des sécurités individuelles et collectives, des régulations publiques et des droits collectifs nouveaux. Pour être une digne continuatrice du mouvement ouvrier, l’écologie politique se doit d’inventer une mutation analogue à ce que furent l’état-providence (retraites, assurance maladie...), le fordisme et le keynésianisme qui mirent fin au capitalisme sauvage du 19e siècle. Ces réponses doivent être mondialistes mais DCB, hormis ce credo mondialiste, ne fait guère de proposition en ce sens (sauf celle d’une représentation paritaire transnationale des salariés dans les CA, il faudrait la discuter), Ces réponses doivent aussi être anti-productiviste : une problématique totalement absente de la TGV alors qu’il y a une urgence écologique d’une modification en profondeur de nos modes de production et de consommation dans les pays développés.
6. La 3ème voie
La lecture de DCB du nouveau capitalisme et la faiblesse des régulations envisagées placent clairement la TGV dans la nébuleuse sociale libérale européenne dont la 3e voie est l’expression la plus claire. Du coup la TGV est en deçà de la social-démocratie comme de l’écologie politique. Son horizon est l’Europe libérale de la globalisation économique, d’un État qui doit agir "moins dans une logique de protection que dans une logique de responsabilisation."
On ne s’étonnera donc pas de retrouver dans ce texte la rhétorique ternaire des chantres de la "modernité", prétendant dépasser (qui plus est pour la première fois alors que la pensée autogestionnaire ou écologiste s’y étaient employé depuis longtemps) les "vieilles oppositions" (État/marché, liberté individuelle/émancipation collective, répartition/capitalisation, etc.).
La notion de "société du risque", développée par le sociologue allemand
Ulrich Beck dans les années 1980 alors qu’il était proche des verts, est
très présente dans le manifeste de la TGV. La société du risque marque une nouvelle étape de la modernité et du débat politique dans la mesure où elle est le produit d’une défiance irréductible des citoyens face aux institutions traditionnelles de la modernité (état, industries, technosciences) qui, alors qu’elles étaient auparavant censées apporter bien être et sécurité, sont vécues comme productrices de risques et de menaces sur le "monde vécu". Sans discuter ici les multiples apports de cette notion, on peut néanmoins se demander si, chez U. Beck et A. Giddens, l’accent sur la "société du risque" ne tend pas à faire croire que tous les conflit sociaux se seraient réalignés sur des conflits de risque (conflits qui peuvent voir actionnaires et salaries -du nucléaire par exemple- faire front contre un autre conglomérat socialement hétérogène), donc à surrepresenter des conflits capital-capital au détriment des conflits où le clivage capital-(non)travail reste déterminant. De ce point de vue, la société du risque est donc une facette supplémentaire de la pensée "3e voie" à l’oeuvre chez DCB et ses amis.
Refus de penser les luttes au nom du dépassement des vieilles binarités, culte de la modernité contre les archaïsmes anciens, aplatissement des conflits sociaux sur les conflits de risque et d’identité, le manifeste de la TGV est bel et bien dominé par les tics rhétoriques et théoriques de la 3e voie.
7. Quelle base sociale pour le projet écologiste ?
Avec l’idée même de lutte, un autre impensé du texte de DCB et ses amis est celui de la base sociale supposée porter le projet de TGV. Historiquement, ce sont les catégories très minoritaires des classes moyennes à fort capital culturel qui ont porté l’écologie politique en France. Comme le montrèrent les études sociologiques de l’époque, étudiants et enseignants constituaient en effet dans les années 1970 le gros des militants antinucléaires et des électeurs écologistes. La base sociale verte doit s’élargir aux couches populaires, notamment les plus touchées par la précarisation libérale et par les discriminations raciales et sociales. Les élections européennes semblent indiquer que cette perspective n’est pas hors de portée puisqu’outre les classes moyennes urbaines et intellectuelles (profs, professions artistiques, médiatiques, informatiques et culturelles), les Verts ont obtenu un vote important parmi les chômeurs et les exclus (du moins ceux qui ne se sont pas abstenus).
Au delà d’un phénomène médiatique du même genre que le vote Tapie en 1994, il faut néanmoins s’interroger sur les conditions d’une telle alliance des couches moyennes intellectuelles et des plus démunis. Pourra-t-elle se sceller durablement sur la base programmatique fort libérale que nous propose DCB (et, comme lui, la tendance "Gauche écologiste" au sein des Verts) ? Ne suppose-t-elle pas en réalité (sans parler de la démocratisation du parti vert et du travail de formation qui restent à faire) un repositionnement stratégique et idéologique aux antipodes de l’éco-libéralisme aussi bien que des renoncements gouvernementaux de ces dernières années ? On peut craindre que sans ce repositionnement, il soit de plus en plus difficile pour les Verts de contester l’attraction électorale qu’exerce Lutte Ouvrière (et demain de nouveau l’extrême droite ?) sur les couches précarisées.
Au plan stratégique, la clarification passe certainement aujourd’hui par une plus forte articulation avec le renouveau de la contestation de la mondialisation libérale et par une rupture avec la participation à l’actuelle politique gouvernementale, essentiellement ciblée sur les classes moyennes et supérieures.
La révision de notre idéologie économique doit aussi être à l’ordre du jour dans un sens opposé à la troisième voie à peine verdie que nous propose DCB. Après 3 ans de participation à un gouvernement d’accompagnement social du libéralisme, la pensée verte traverse peut-être une crise similaire à celle vécue par la gauche française en 1982-83 lorsqu’elle recula devant le mur du marché et se mit à célébrer l’entreprise. Le poids de l’idée des écotaxes comme outil central témoigne de l’attraction exercée par l’éco-libéralisme.
C.B.
Ce qui nous sépare enfin de cette conception politicienne de la politique réduite à des personnalités médiatiques, c’est notre conception de l’écologie comme lutte minoritaire plutôt que lutte pour le pouvoir, lutte pour la réappropriation de nos vies menacées par l’industrie marchande et le salariat productiviste, luttes pour des libertés réelles (sexualité, toxicomanie, sans-papiers, nucléaire, OGM) qui ne se limitent pas aux libertés formelles du marché ni à l’hégémonie culturelle mais sont une contestation de la dictature économique au nom du vivant, de l’intervention citoyenne qui doit dépasser les élections.
JZ