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Ce que je suis allée faire dans ce Grenelle…
dimanche 28 septembre 2008, par
Sollicitée par le cabinet de Jean-Louis Borloo pour co-présider le groupe biodiversité, à la suite des assises menées en 2006 avec le Sénateur UMP Jean-François Le Grand, j’ai accepté cette situation scabreuse. Noël Mamère, le 20 juillet, appelait déjà les ONG à "se retirer de cette pantalonnade". La critique était politiquement visionnaire, mais elle sous-estimait à quel point les associations avaient été les productrices du cadre et des contenus. Il est vrai qu’en France on est avec, ou contre, et ma participation à la phase d’élaboration des propositions de la société civile se traduisit dans le journal Le Monde du 9 juillet par un raccourci inconfortable : "J.L. Borloo lance le Grenelle de l’environnement avec l’aval des Verts".
L’initiative du Grenelle n’est certes pas dénuée de stratégie politicienne : après avoir siphonné les voix de l’extrême droite, puis déstabilisé la gauche – déjà bien vacillante – par l’incorporation de quelques unes de ses élites, Sarkozy répond aux associations environnementalistes consternées de l’état de la nature et frustrées du bilan de la gauche, et lance un dispositif dont l’effet collatéral espéré pourrait aussi être la démonstration de l’inutilité de l’écologie politique. Il joue d’ailleurs facile quand certains environnementalistes considèrent que les Verts se sont "égarés" dans la réduction du temps de travail ou la défense des sans-papiers...
Le Grenelle est néanmoins une véritable expérience de démocratie participative. Patrick Viveret ne s’y est d’ailleurs pas trompé en y participant, et même en taclant le titre de la table ronde des Verts lors de leurs journées d’été "Grenelle de dupes ou de rupture", justifiant la pertinence de l’essai par l’incapacité du politique à produire des réponses justes et ambitieuses aux problèmes actuels, et par la nécessité de l’élaboration collective.
Mais revenons au fonctionnement de cette phase de débats et de propositions. Dès le départ, le nucléaire est sanctuarisé comme non discutable. Cette mise à part du nucléaire est scandaleuse sur le fond, pour qui parle des générations futures et des risques actuels. Elle est cependant conforme aux techniques qui encadrent les débats participatifs, dont le bon usage est de préciser au début le périmètre de ce qui est mis au débat.
Dès le début, les Verts installent leur comité de suivi et donnent le "la" de leurs propositions, mais le buzz médiatique n’est plus de leur côté. Le 10 septembre la secrétaire nationale des Verts annoncera "notre choix est d’être un pied dedans pour pousser des propositions audacieuses, et un pied dehors parce qu’on sait qu’il s’agit d’abord d’une opération de com’." Elle se radicalisera dans un happening impromptu à nos journées parlementaires de Nantes le 27 septembre ; quittant les lieux dès l’arrivée de Borloo, invité par les députés, parce qu’il est membre d’un gouvernement auteur de toutes sortes d’horreurs.
Plusieurs fois je dus salutairement distinguer la phase d’animation du débat de la société civile d’une phase collaborative, dont je ne serai pas ; ainsi que narrer quelques résistances musclées que je pratique au quotidien contre ce gouvernement. Personne n’est vacciné contre le syndrome de Stockholm, mais je persiste à considérer que ce qui a été dit sur la planète, sur l’urgence écologique, au plus haut niveau de l’Etat, serait-ce dans la bouche d’un manipulateur, et que tout ce qui a été proposé, après six semaines de réunions des groupes thématiques (climat, biodiversité, santé et environnement…), est utile et inédit. La première partie du pari est gagnée : le pluralisme des employeurs, des syndicats, des ONG, des associations, des collectivités, s’accompagne de participations assidues et non conventionnelles.
Les propositions échangées sont avisées, voire audacieuses : remise en cause des pesticides, promotion de nouveaux indicateurs, modes de soutiens originaux aux économies d’énergie, place des associations dans la décision publique, indépendance de l’expertise… Même les ONG les plus radicales, tout à leur frustration d’un passé insatisfaisant, tout à leur profonde inquiétude du désastre réel à venir, saisissent la bouée dans un océan de contradictions et jouent le jeu du dialogue exigeant.
Comme personne n’oublie les 22000 hectares d’OGM plantés et les incinérateurs, nous arrachons même la création d’intergroupes supplémentaires. Celui des OGM est confié à Legrand, et j’en assure la vice-présidence ; belle victoire, car la composition du groupe permet réellement, non sans mal certes, l’expression de l’agriculture biologique et des chercheurs dans leur diversité.
Mais la démocratie de cette solide architecture butte sur deux oukases : les délais, et le trou noir du devenir de toute cette intelligence collective. Si l’on évalue le dispositif à l’aune de la Charte de la démocratie participative (Lille, conférence de consensus, juin 2003), on s’aperçoit que les failles déontologiques sont là. La crédibilité de la dynamique est aussi assombrie par la réalité du terrain : permis de construire en zone sensibles, autorisations de nouveaux maïs OGM par le vote du ministre Barnier à Bruxelles, Kokopelli, association traînée devant les tribunaux pour avoir commercialisé des semences non inscrites au catalogue des semenciers...
Le rythme de l’atelier est effréné : trois ou quatre réunions de 50 membres ne laissent pas le temps d’auditionner, d’affiner les propositions et de bien identifier les dissensus … Des sujets fondamentaux comme la mer, le paysage, le bruit, n’ont pas été bien traités.
Le très sensible sujet des OGM, dont nous élaborions dans la dentelle des éléments de consensus, a subi un happening extérieur : l’annonce de l’interdiction du Monsanto 810 qui, si elle est juste sur le fond au nom de la précaution, a permis à certains participants de claquer la porte, et a affaibli les conclusions finales. La cacophonie a repris le pas sur la maîtrise démocratique, les lobbies se sont senti pousser des ailes, et dans le groupe, des chercheurs représentant l’INRA ont carrément promu la culture en plein champs, flirté avec les frontières de la brevetabilité du vivant, affranchissant les agriculteurs de tout doute sur les dégâts pour la biodiversité. Dans la confusion, d’un document validé à un document servant de base aux arbitrages au sommet, on passera de la "liberté de produire et de consommer sans OGM" à la liberté "de produire et de consommer avec ou sans OGM" stupide oxymore, irréalisable en plein champ.
Quant aux riches consultations citoyennes sur Internet, on peine à trouver quelle suite a été donnée à ce travail. Il faut ici aussi dire un mot du folklore des consultations décentralisées, très marquées par des particularismes locaux : cahiers de doléances de régions de gauche, grand cirque de Georges Frèche insultant les participants, vrai-faux septième groupe thématique d’un Estrosi en campagne à Nice, validant une ligne haute tension en zone protégée. Bettina Laville, chargée de veiller à la déontologie des méthodes, n’y vit que du feu, et les doléances des Verts locaux ne lui sont jamais parvenues… À Arras, j’entends dans la bouche de tous les notables, qui se moquaient d’une présidente écologiste de région, les mots hier conspués : un régal. De cette moisson très inégale, on ne retrouvera pas trace non plus.
La seule justification possible à la précipitation imposée aurait été la volonté d’incarner dans le budget 2008 les nouvelles propositions ; ce ne fut pas le cas, sauf pour la prime voitures propres, qui, au passage, ne retenant que le critère des émissions de CO2, fut un formidable encouragement au diesel… Et à ses cancérigènes microparticules.
"Ayez de l’audace !" dit le ministre Borloo en public, mais dans les groupes de travail le collège des représentants des autres ministères freinent. "Nous déposons la clause de sauvegarde sur le Monsanto auprès de l’UE" assurait-il, tandis que quelques indiscrétions révélaient la rétention du dossier chez Barnier : réels affrontements ? jeux de rôles bien distribués ?
La grand messe d’arbitrage final des 24 et 25 octobre est hypermédiatisée : autour de la table, les grands négociateurs ne sont pas toujours ceux qui ont confectionnés les propositions : pétris de convictions, les leaders des ONG n’ont pas vécu les palabres sur chaque "détail", les enjeux autour de chaque mot. Leurs conseillers sont exsangues : depuis des semaines, ils accumulent les triples emplois du temps : réunions institutionnelles, réunions de leurs réseaux, entrevues à l’Elysée ou au ministère. La règle est de plus, pour ce temps solennel, que les présidents des groupes sont observateurs muets.
Sur certains points le gouvernement joue la manipulation : notre veto sur la mine d’or de Guyane, à l’arbitrage acquis, ne pourra s’exprimer, puisque est apparu un groupe "outre-mer" où aucun des participants du groupe biodiversité ne siège. C’est dans ce marathon que des mesures précieuses comme "la réduction drastique des pesticides", longuement construites, se verront ruinées par quelques coups de gueule de Le Métayer (FNSEA) ajoutant à la volée "si possible, et quand il y aura des alternatives", sans que les ONG ne réagissent.
Enfin, le violent retour de flammes parlementaire n’a pas tardé : ce fut le débat sur la loi OGM, marqué par une hargne inédite, et un texte final navrant, copié-collé de la volonté des semenciers. Ce décalage entre la production du Grenelle de l’environnement et les habitudes parlementaires interroge l’ambition que la société veut donner à la protection de l’environnement : c’est le fond, mais aussi le manque d’outils pour articuler la richesse de la démocratie participative et la légitimité de la démocratie représentative ; et quand le décalage est trop grand, ce n’est plus la méthode qui est interrogée, mais la légitimité de la représentation élue elle-même. Hélas, le Parlement a préféré montrer sa force que son intelligence. Tant que les bonnes idées des ONG pouvaient servir de carburant à la communication de l’Elysée, la majorité n’y voyait pas d’inconvénient. Les premières annonces, favorables aux secteurs du bâtiment et de l’automobile, leur convenaient.
Mais pendant que les parlementaires de droite en restaient à leurs archaïsmes, acteurs syndicaux, associatifs, économiques élaboraient sérieusement les mutations indispensables. C’est au pied du maïs Monsanto 810 que s’est fait le choc des cultures : le gel annoncé, puis l’installation d’une Haute Autorité alliant chercheurs et acteurs de la société, son verdict accablant, puis la proposition de clause de sauvegarde n’étaient que le fruit légitime de la confrontation féconde et de l’intelligence collective.
La majorité parlementaire furieuse, se sentant "larguée", "spoliée" de sa puissance, y a répondu par la force et l’autisme… Autisme face à des consommateurs qui ne veulent pas d’OGM dans leurs assiettes, et aux biologistes qui alertent pour la biodiversité. Force ensuite, contre le Sénateur Le Grand, qui a osé dénoncer l’action des lobbies dans le Parlement ; force contre la Ministre Kosciusko-Morizet, discrète mais convaincue, contre laquelle se sont déchaînés tous les quolibets machistes ; force contre les chercheurs bavards, lanceurs d’alerte nécessaires, comme Christian Vélot, privé de crédits.
Les premiers projets de loi du Grenelle arrivent, dans une grande confusion de calendrier. De spectateurs indifférents, les élus nationaux sont devenus sourcilleux, mais toujours aussi peu documentés. On peut lire dans le compte rendu de la commission des affaires économiques réunie pour le comité de suivi, le 29 avril, le député Gatignol déclarer qu’il n’avait "pas été prouvé que l’agriculture traditionnelle (sic) était plus nocive que l’agriculture bio" ; les bons mots du sénateur Fortassin "je cultive tous les ans du bio dans mon jardin, et je récolte tous les trois ans" ont bien fait rire ses collègues, mais n’ont pas été repris à l’écrit…
Les textes de lois ont été élaborés sans le regard des groupes Grenelle, sous la plume des hauts fonctionnaires de l’Equipement et des Mines revenus en force. À ceux qui ne retrouvent pas leurs propositions, on dit que ce sera dans le texte suivant. À ceux qui ne retrouvent pas leur ambition, on dit qu’il fallait tenir compte des acteurs. Et aux parlementaires grognards, on dit que le texte leur appartient et que c’est eux, bien sûr, qui auront le dernier mot. Message entendu : un des seuls acquis immédiats, et répété par le président, l’abandon du projet de mine d’or dans le marais de Kaw en Guyane, fait soudainement l’objet d’une invitation au Sénat. Le groupe d’amitié France-Canada accueillerait la multinationale Iamgold et la DIREN (direction de l’environnement, service du préfet) locale !
L’éthique en politique voit au-delà des lobbies et des bénéfices à court terme, et donne sens à l’action en remettant l’homme au cœur du projet de notre société. Ce n’est pas le choix du libéralisme. Un projet de société responsable entre nature et culture ne peut se construire que dans le respect du bien commun et dans la coopération : ce n’est pas le choix de ce gouvernement qui exacerbe la compétition.
La probable érosion des mesures proposées, la faiblesse du critère de justice sociale des arbitrages, appellent à des liens plus constructifs entre ceux qui tirent dans le même sens contre l’inacceptable, pour des innovations sociales et environnementales justes.
Si la majorité persiste à ne pas donner une suite à la hauteur de la dégradation alarmante de la planète et des conditions de vie, il restera du Grenelle de l’environnement un grand livre blanc, défi pour les partis de Gauche, "normalement" soucieux de l’intérêt général, de la solidarité ici et maintenant, ailleurs et demain et "normalement" conscients de l’urgence environnementale et sanitaire.
Marie Christine Blandin, vice-présidente du groupe de travail "Biodiversité" du Grenelle de l’environnement, sénatrice du Nord (Les Verts)