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Agriculture et climat

vendredi 16 juillet 2010, par EcoRev’

Fortement émettrice de gaz à effet de serre, l’agriculture est trop mal appréhendée à cet égard pour constituer un chantier important de lutte contre les dérèglements climatiques. C’est pourtant à cela que nous engage Diane Vandaele, en charge de ces questions au Réseau Action Climat.

L’agriculture, victime des changements climatiques...

La crise alimentaire des années 2007-2008 nous a rappelé combien l’agriculture peut être tributaire des conditions climatiques. Une année plus sèche, plus humide ou avec une amplitude thermique inhabituelle et ce sont les rendements qui baissent, voire s’effondrent, dans une partie du monde. Or, les changements climatiques se traduiront avant tout par la multiplication d’incidents et d’irrégularités thermiques ou pluviométriques de ce genre. Même s’il est difficile de modéliser avec précision les modifications climatiques attendues, l’agriculture, en tant qu’activité fortement dépendante du climat, sera une des premières à en subir les conséquences. Certains impacts des changements climatiques sont déjà visibles et dans les pays où les dérèglements climatiques déstabilisent les écosystèmes, c’est à travers l’agriculture que les populations en ressentent les premiers effets.

… mais aussi source majeure de gaz à effet de serre !

L’agriculture mondiale s’est largement recomposée au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Les systèmes agricoles locaux, intenses en travail humain, sont passés, dans de nombreuses régions du monde, à des systèmes fortement mécanisés, spécialisés et intensifs en intrants de synthèse. Dans les pays en développement, où demeure une agriculture traditionnelle et paysanne, l’explosion des échanges agricoles a tout de même bousculé les pratiques. Elle a notamment encouragé les techniques intensives en intrants, en énergie et la mise en culture de nouvelles terres pour des productions souvent destinées à l’exportation, mais aussi à la consommation locale, dans un contexte d’explosion démographique.
Cette évolution agricole montre aujourd’hui ses limites : problèmes économiques (revenu des agriculteurs), critiques sociales et impacts écologiques. Outre les conséquences sur les eaux, les sols ou la biodiversité, l’agriculture actuelle émet des quantités de gaz à effet de serre (GES) non négligeables.

En 2006, selon le GIEC [1], les émissions directes de GES agricoles représentaient 14 % des émissions mondiales (+ 9 % entre 1990 et 2004). Cependant, de fortes inégalités existent entre pays : elles diminuent dans les pays industrialisés (baisse de la production et concentration des exploitations) alors que dans des pays en développement elles s’envolent (consommation de viande, agriculture industrielle, production de biomasse, exportation d’aliments du bétail et de produits agricoles vers les pays du Nord...). En Europe, les émissions agricoles représentent 9 % du total des GES et en France cette part atteint 19 % des émissions nationales !

Via ses diverses activités, l’agriculture rejette directement trois GES : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Cependant, parce qu’il existe différents types d’agricultures (cultures annuelles ou pluriannuelles, arboriculture, viticulture, maraîchage, élevage, associations entre elles, etc.), les émissions de GES agricoles sont hétérogènes.
En France, le N2O représente 51 % des émissions agricoles, suivi par le CH4 qui représente 40 % et le CO2 à hauteur de 9 %. Il est à noter que le CH4 et le NO2 sont respectivement 25 et 298 fois plus puissants que le CO2 en termes de réchauffement ! Les émissions de CO2 et de NO2 sont celles qui ont le plus diminué en France depuis 1990, respectivement -6,5 % et -15 %.

Alors qu’en 2005, l’agriculture française consommait 3,5 Mtep d’énergie directe, il fallait ajouter 5,7 Mtep en énergie indirecte :
– 2,5 pour la fabrication des engrais azotés
– 2 pour la fabrication des matériels et des bâtiments
– 0,7 pour la fabrication des aliments du bétail
– 0,5 pour la fabrication des produits phytosanitaires.

L’agriculture française face à une forte augmentation du coût de l’énergie, Comptes-rendus de l’Académie d’agriculture de France, 2006.

Mais les émissions directes agricoles (utilisation d’énergie sur la ferme, élevage, cultures, etc.) ne suffisent pas pour évaluer l’impact global de l’agriculture sur le climat. En effet, d’autres activités indispensables au fonctionnement de l’agriculture actuelle sont à prendre en compte. Parmi les sources indirectes d’émissions de GES agricoles, citons la fabrication des intrants (engrais, matériels, bâtiments, etc.) et le changement d’affectation des sols (CAS) [2], dû aux activités agricoles (le CAS représente 17 % des émissions mondiales avec une augmentation de 48 % entre 1990 et 2004 !). D’autres émissions sont dues à la production proprement dite de denrées alimentaires (transformation, conditionnement, réfrigération, transport, etc.).

Un large panel de causes

Le dioxyde de carbone (CO2) agricole est émis directement par l’utilisation d’énergie fossile sur l’exploitation (carburant pour les engins agricoles, énergie pour chauffer les serres et les bâtiments d’élevage ou pour faire fonctionner les outils et autres appareils sur l’exploitation).
Il est également émis indirectement par l’utilisation d’énergie fossile pour fabriquer les intrants chimiques utilisés pour la production agricole et surtout par le changement d’affectation des sols. Ce phénomène, source essentielle de CO2 à l’échelle planétaire, est principalement dû aux agroindustries des pays industrialisés ou émergents (Europe, Etats-Unis, pays du Golfe, Chine …) qui cherchent de nouvelles terres dans les pays en développement pour satisfaire leurs besoins en agrocarburants (palme, canne à sucre …) et en aliments du bétail (soja, céréales …). La baisse des émissions dans les pays industrialisés est donc à nuancer car elle résulte aussi d’un transfert des émissions vers les nouveaux pays producteurs, souvent au Sud.
Le méthane (CH4) agricole provient principalement de trois sources : des ruminants (bovins, et dans une moindre mesure, ovins et caprins) à cause de leur digestion particulière qui leur fait éructer ce GES, de la gestion des déjections animales (lors du stockage et du traitement) et des sols agricoles (zones humides donc principalement la riziculture).
En France, l’élevage représente à lui seul 1/3 des émissions nationales de méthane à cause de la fermentation entérique des ruminants et des émissions lors du stockage des effluents d’élevage (lisiers, fumiers).

En France, l’agriculture est responsable de plus de 80 % des émissions de protoxyde d’azote (N2O) [3]. Ce puissant GES est principalement émis lors de l’épandage des engrais azotés sur les parcelles (puis de leur évolution au champ) et lors du stockage et du traitement des déjections animales. Entre 1990 et 2007, les émissions de N2O agricoles ont diminué de 15 % en raison notamment d’une meilleure gestion de la fertilisation azotée par les agriculteurs et d’une baisse de certains cheptels qui structurent en profondeur les émissions de N2O. Quoi qu’il en soit, l’excédent de fertilisation en France reste très élevé. Il était estimé en 2001 par le ministère de l’Agriculture à 435 000 tonnes par an depuis 10 ans et par Solagro à plus de 2 millions de tonnes.
Sur les 104 Mt éq CO2 [4] émis par l’agriculture en France en 2006, ce sont les sols agricoles et l’élevage qui sont responsables des émissions les plus importantes (voir tableau page suivante).

Des incertitudes qui compliquent les estimations

Les émissions de GES agricoles qui sont avancées aujourd’hui pourraient en réalité être beaucoup plus élevées car de nombreuses incertitudes subsistent. En effet, les valeurs obtenues dans les inventaires nationaux utilisent des séries statistiques globales qui, bien souvent, ne reflètent pas la réalité du terrain et la diversité des pratiques et des systèmes nationaux.
De nombreux facteurs d’émissions sont en discussion. C’est le cas de celui du N2O des sols lié à l’utilisation des engrais azotés car il est très sensible aux conditions climatiques, pédologiques, etc. Il serait compris entre moins de 1 % et 5 % de l’azote épandu [5], fourchette très importante compte tenu des tonnages d’engrais azotés utilisés dans le monde et du très fort potentiel de réchauffement du N2O (298). Il en est de même pour les facteurs d’émissions de CH4 entérique des bovins (fonction de la race et de l’alimentation) et des facteurs d’émissions associés au changement d’affectation des sols (fonction du contenu carbone des sols).

La nécessité d’une vision intégrée

L’agriculture est une activité complexe, à l’interface de nombreux domaines interdépendants (agronomie, pédologie, zoologie, écologie, économie, sociologie, etc.) qui obligent à l’appréhender de façon globale et intégrée. La thématique « agriculture et changements climatiques » doit donc aussi se focaliser sur de nombreuses considérations écologiques et économiques car le risque est grand de briser un équilibre déjà fragile.
L’élevage de ruminants en est un bon exemple. Contrairement à l’élevage bovin spécialisé des régions de plaine ou mixtes, l’élevage bovin extensif sur prairie, même s’il est à l’origine d’émissions de méthane, permet de valoriser des espaces agricoles obligatoirement herbagers (montagnes et moyennes montagnes, prairies humides), garants de services écologiques majeurs (stockage du carbone, préservation de la biodiversité, épuration de l’eau, etc.). L’existence d’une part d’élevage est également indispensable à l’équilibre agronomique des fermes biologiques, qui réduisent le recours à des pratiques polluantes. De plus, l’analyse des résultats obtenus via les bilans énergétiques PlaneteR des fermes du Réseau Agriculture Durable, montrent que les éleveurs les plus performants énergétiquement sont ceux qui nourrissent leurs troupeaux essentiellement à l’herbe. Ils atteignent une efficacité énergétique de 2, ce qui signifie que l’énergie obtenue sous forme de lait représente le double de l’énergie fossile primaire mise en œuvre (4,5 équivalent fioul pour 100 litres de lait). A l’opposé, les élevages en « zéro pâturage » (cas de la quasi totalité des troupeaux composés de plus de cent vaches laitières) ont une efficacité énergétique d’à peine 0,5 c’est à dire une énergie obtenue égale à seulement la moitié de l’énergie fossile dépensée (20 équivalent fioul pour cent litres de lait produits).

Une autre agriculture pour lutter contre l’effet de serre

Aujourd’hui, les politiques climatiques s’intéressent peu au secteur agricole, que ce soit au niveau international (protocole de Kyoto), européen (paquet énergie-climat, politique agricole commune) ou national (plan climat, Grenelle de l’environnement). La priorité d’action est donnée au CO2, laissant de côté les émissions non-énergétiques comme le CH4 et le N2O qui sont pourtant les principales émissions du secteur agricole. Cela s’explique entre autres parce que des mesures dans des secteurs plus homogènes et moins complexes sont plus simples à mettre en œuvre et plus rapides en termes de résultats (industrie, bâtiment, etc.). De plus, la réduction des émissions de GES est surtout une priorité dans les pays industrialisés et dans ces pays, les émissions agricoles diminuent.

Même s’il est délicat pour les décideurs de demander aujourd’hui aux agriculteurs de revoir leurs pratiques de façon globale, pratiques soutenues depuis plus de cinquante ans et qui ont demandé d’importants investissements, il sera nécessaire de repenser les systèmes agricoles dans leur globalité. Si les systèmes agricoles intensifs en intrants et en énergie n’évoluent pas et si les tendances climatiques se confirment, l’Europe, l’Asie, l’Afrique, ou les Amériques pourraient voir leurs productions agricoles diminuer, provoquant des crises agricoles et alimentaires sans précédent.
Mettre en place des actions éparses a minima, sans replacer l’agriculture dans un contexte de mondialisation avec le risque de déplacement des productions et de fuite de carbone, sera inefficace. Les actions pour une agriculture faiblement émettrice de GES doivent être entreprises au niveau local, tout en étant soutenues et concertées au niveau européen et international.

Des choix techniques et économiques doivent permettre de diriger l’agriculture vers moins d’émissions de GES, c’est-à-dire vers d’autres systèmes agricoles que ceux basés sur la mécanisation, l’utilisation massive d’engrais et de pesticides chimiques, sur un élevage presque exclusivement hors-sol et sur des systèmes ultra-spécialisés.
Soutenir des pratiques économes en énergie et en intrants ou des pratiques qui restituent la matière organique aux sol (cf. article de Claude Aubert) permettrait de stocker massivement du carbone dans les sols.
Relocaliser la production animale en soutenant les élevages à l’herbe, diversifiés et intégrés aux cultures permettrait de réduire fortement les émissions de CH4 et de N2O, de réduire les échanges mondiaux d’aliments du bétail (et le CAS qui y est associé) et le transport longue distance de produits agricoles (aliments du bétail, viande congelée, etc.).
Enfin, au-delà des émissions de GES directement imputables à la production agricole, consommer des produits de saison, transformés localement et vendus par les marchés locaux permettrait de réduire fortement le transport international des denrées alimentaires.

Quoi qu’il en soit, le climat devient un incontournable des politiques agricoles. Si ce ne peut en aucun cas être le seul élément pour orienter ce secteur, il doit être pris en compte dans l’ensemble des décisions. De même, la problématique de l’impact de l’agriculture sur les émissions de GES émerge. Selon les experts, pour éviter des impacts climatiques dangereux, il est nécessaire de contenir le réchauffement global en dessous de +2°C à l’horizon 2100. Parce que cela signifie une division par deux des émissions au niveau mondial et par quatre dans les pays industrialisés, l’agriculture devra nécessairement participer aux efforts de réduction...

Diane Vandaele
Chargée de mission au Réseau Action Climat, diane@rac-f.org

Avec la collaboration de Jacques Caplat


[1Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat

[2Conversion d’une surface cultivée ou non pour une autre utilisation : prairies ou forêts converties en terres cultivables ou modifications de la culture déjà en place.

[3Rappel : le N2O a un pouvoir de réchauffement global 298 fois plus fort que le CO2.

[4Mteq CO2 : millions de tonnes équivalent CO2.

[5Cela signifie que 1 à 5 % de l’azote épandu sur les sols (exprimé en Kg) sous forme d’engrais est transformé en N2O.