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Aspirations citoyennes et réponses politiques : les élections municipales de mars 2001

2004

L’analyse des élections par la classe politique et les médias, s’est faite autour des thèmes de l’émergence des listes "citoyennes" et de la "proximité". Jean-Blaise Picheral, un des animateurs du réseau "Démocratiser Radicalement la Démocratie"*, mène ici une analyse plus critique sur ces deux points, qui permet d’engager une réflexion sur les nouvelles aspirations citoyennes qui montent de la société française depuis quelques années.

Il a beaucoup été question, en fin de campagne et entre les deux tours des municipales, des listes associatives, "motivé-e-s"…, du score des listes d’extrême gauche dans une série de villes et de la percée des Verts, etc. Mais on a analysé ce phénomène sans regarder précisément l’ensemble des listes et des programmes de l’extrême gauche à la gauche gouvernementale en passant par ces listes associatives.

On aurait pu constater alors que la préoccupation centrale de nombreuses listes ou de composantes de listes était le développement d’une nouvelle manière d’associer la population aux décisions locales. Ainsi, par exemple, la référence à la mise en place de "Budgets Participatifs" s’inspirant de l’expérience de Porto Alegre se retrouvait dans de nombreux programmes. D’autres propositions allant dans le sens d’une démocratisation réelle de la vie locale (vote des étrangers non communautaires, charte de comportement des élus, mise en place de Conseils, Comités,… de quartier ou de ville…) ont également fleuri.

Mars 2001 : une demande plus radicale et plus politisée de citoyenneté ?

Certes toutes ces propositions n’étaient pas toujours cohérentes, abouties ni étayées théoriquement, mais il n’en reste pas moins qu’elles ont marqué l’émergence d’une nouvelle génération de militant-es dans et hors partis, qui cherche dans le sens d’une radicalisation de la démocratie et d’un nouveau rapport entre la démocratie de représentation (les élections au suffrage universel tous les x ans) et la démocratie "directe" [1] ; ou plutôt démocratie "continue", entendue comme une démocratie qui permet à la société civile, à la population de s’organiser de manière autonome, tout au long du mandat, en vue du "partage du pouvoir", de la co-décision avec les élus.

On assiste là, sous des formes et dans un contexte différents (la décentralisation est passé par là) et sans doute avec des attendus idéologiques différents, à l’émergence d’une dynamique qui s’apparente à celle de la fin des années 60 et des années 70 (Groupe d’Action Municipaux, élections de 1971 et 1977 avec l’arrivée de militant-es associatifs et syndicaux, encartés ou non, dans les municipalités).

Ne pourrait-on pas lire les résultats des élections municipales 2001 comme les prémisses d’un mouvement pour les élections de 2007 qui consacrerait cette nouvelle manière d’articuler démocratie représentative et démocratie directe ou continue ?

Mais comparaison ne vaut pas raison, le contexte n’est plus le même et ce n’est pas un mouvement ni une organisation qui risquent de voir le jour (les listes motivé-e-s ont d’ailleurs annoncé qu’elles ne se structureraient pas nationalement en mouvement), mais plutôt des réseaux et des réseaux de réseaux, transcendant les divisions partidaires, dépassant les partis, mobilisant de nouvelles couches [2]. Il y a là un chantier dans lequel le réseau "Démocratiser radicalement la démocratie" qui possède ces caractéristiques de diversité et de fonctionnement démocratique entend s’impliquer largement [3].

Si on regarde les résultats des élections par rapport à la question de la relation entre démocratie représentative et démocratie directe et aux discours et pratiques sur la démocratie "participative", plusieurs faits apparaissent :

– Les villes où le pouvoir personnel, autocratique du maire, l’absence d’un minimum de démocratie y compris interne aux municipalités, les rivalités de personnes ou de partis "alliés"… étaient manifestes ont souvent basculé (dans un sens ou l’autre)

– Des maires de villes "phares" de la démocratie participative locale ont été battus, d’autres ont été confirmés. Mais si l’on examine de plus près celles où les maires ont été battus, on peut constater que les expériences médiatisées (je pense en particulier à beaucoup de celles présentées dans la revue Territoires qui mène depuis longtemps le combat pour la démocratie locale) n’étaient pas claires sur leurs tenants et leurs aboutissants, puisqu’on avait souvent affaire à une instrumentalisation de la participation : le concept assez récent de triangle "élu-es, habitant-es, technicien-nes" (dont j’ai été l’un des propagandiste) où "l’élu-e décide", "le technicien-ne fait son métier de technicien-ne", "l’habitant-e exerce sa compétence d’habitant-e" a été érigé en principe, ôtant du même coup toute ouverture vers la possibilité d’un partage du pouvoir entre élu-es et population, d’une co-décision, enfermant ainsi les habitant-es dans un rôle d’instrument de légitimation de la décision des élu-es et, du coup, empêchant la construction d’une parole autonome, d’une organisation autonome de la population, condition sine qua non de la construction de la citoyenneté.

Il faut d’ailleurs remarquer qu’aucune de ces villes, pourtant informées de l’expérience de Porto Alegre, n’ont osé s’engager dans une démarche de mise en place d’un Budget Participatif.

Il faudra faire le bilan précis de ces villes (Grande Synthe, Parthenay, Lutterbach,…) même si leurs expériences ont pu apporter quelque chose et même si les maires n’ont pas démérité.

Mais peut-être faut-il en tirer la conclusion que dès lors que l’on s’engage peu ou prou dans le renforcement de la démocratie "participative" locale, il faut oser remettre en cause la conception princière de l’élu-e, qui, parce qu’élu-e du peuple, sait ce qui est bon pour lui. Il faut oser le partage du pouvoir.

Peut-être faudra-t-il enfin comprendre la leçon de l’expérience de Porto Alegre, où les élu-es ont délibérément axé leur politique sur le partage du pouvoir et sur la co-décision, où leur programme consiste à le construire avec la population dans le sens d’une plus grande justice sociale, en lui permettant de former sa propre parole et sa représentation élue et révocable à tout instant.

Cette analyse ne saurait faire oublier le fait très marquant de l’abstention dans les quartiers populaires, qui relève aussi du rejet de la politique nationale menée contre le chômage et l’exclusion par les gouvernements successifs, mais qui montre bien aussi la perte de confiance dans les élu-es de la démocratie représentative et le profond fossé entre l’Etat censé être l’expression de la société civile tout entière et celle-ci.

L’enjeu, au delà de ces municipales et de celles à venir, est bien celui de la re-construction d’un état de la société civile (tout entière) mariant démocratie de représentation et démocratie continue de délibération et de co-décision.

Le piège de la "proximité" et du local

Depuis les élections municipales on nous assaille de commentaires visant à dire que les politiques sont trop éloignés des citoyen-nes (certes !), que la réponse est dans la démocratie de proximité, dans la réification du "quartier".

Il faut d’abord prendre la mesure de la disparition du quartier dans nos villes et nos métropoles du point de vue de l’usage. Des études récentes ont bien montré d’ailleurs que s’il existe encore un rattachement au "quartier", c’est plus en tant que "niche écologique" que ce terme est employé par les habitant-e-s : non pas un lieu du vivre ensemble, mais un lieu qui marque le positionnement social et que l’on n’"utilise" pas car on "utilise" toute la ville, toute l’agglomération, le réseau de relation sociale étant de plus en plus déconnecté du voisinage. Même l’école, dernier bastion du "quartier" n’est plus systématiquement pratiquée par les habitant-e-s : nomadisme scolaire en fonction du lieu de travail ou de choix idéologiques sont devenus monnaie courante. Quant aux boulangeries et autres épiceries, cafés, de quartier, etc., si le discours des habitant-es est de dire que de tels commerces sont absolument nécessaires, l’analyse de l’usage montre qu’ils sont rarement utilisés par ces mêmes habitant-es.

Du coup, dans ce contexte, en privilégiant le quartier, on privilégie le "NIMBY" (Not in my backyard, pas dans mon jardin, pas chez moi...) de quartier, l’enfermement sur le territoire de la proximité. On réduit la démocratie à ce que le peuple peut comprendre et appréhender : la proximité territoriale, le pied d’immeuble, la rue…, les élites politiques, élues par un faible pourcentage d’électeurs, s’intéressant quant à elles, aux choses sérieuses à l’échelle de la ville et de l’agglomération, décidant seules de celles-ci. Au delà du mépris pour les électeur-trices (mais aussi les abstentionnistes ou les non-inscrit-es) que cela représente, il y a là une hypocrisie majeure car ces mêmes élites politiques, ces mêmes élu-es en appellent au vote des électeur-trices pour les cantonales, les régionales, les législatives et la Présidentielle.

Il ne s’agit pas ici de nier l’existence de quartiers (issus de l’histoire y compris celle des grands ensembles), mais de poser en permanence le problème de l’articulation du local et du global. Il est donc nécessaire de reposer les questions :
– de la démocratie à toutes les échelles territoriales, quartiers, communes et agglomérations, et de l’articulation des dispositifs. De ce point de vue, l’émergence, en 1994 à Porto Alegre, de la nécessité de "commissions thématiques" à l’échelle de toute la ville, pour contrebalancer les "commissions de quartier", a permis de mieux articuler intérêts locaux et intérêts globaux. Aujourd’hui ce mouvement d’articulation du local et du global est amplifié par le Budget Participatif de l’État du Rio Grande do Sul (9 millions d’habitant-es) ;

– de la définition des quartiers par la population elle-même plutôt que par l’administration municipale.

Rappelons là aussi que la municipalité de Porto Alegre a essuyé un premier "échec" face à la société civile en instituant 4 grands quartiers en 1989 pour la mise en place du Budget Participatif et qu’elle a dû engager une vaste et longue concertation avec l’ensemble des organisations de la société civile pour arriver au bout du compte à 16 quartiers (de 5000 à 300000 habitants !) correspondants à la manière dont la population perçoit l’entité quartier.

N’oublions pas enfin que le terme "démarche de proximité" peut recouvrir une démarche s’adressant aux individus ou aux lobbies de petits quartiers (pétitions de petits propriétaires,…) et que par exemple les municipalités FN en 1995, ont institué des systèmes de réclamation et de réponses aux réclamations dans les 24 ou 48 heures, systèmes qui, sous prétexte de "proximité" isolent un peu plus chaque habitant-e et l’empêchent de devenir "citoyen-ne".

A l’heure de la préparation de l’avant-projet de Loi Vaillant, il nous paraît de la plus grande urgence de mobiliser les forces vives de la société civile et des partis et organisations afin d’éviter toute instrumentalisation de la participation et tout enfermement dans la "proximité". Il s’agit au contraire d’impulser et d’initier, du haut (par les élu-es) et du bas (par la société civile) de véritables espaces de délibération indépendants, permettant à la population de co-construire les décisions publiques.

Reconstruire l’action publique à partir de la société civile mobilisée

Nous emprunterons notre conclusion à Tarso Genro, maire de Porto Alegre, qui affirme dans son livre sur le Budget Participatif [4] :

"Les défis que nous devons relever sont bien : comment démocratiser radicalement la démocratie, comment trouver des mécanismes permettant de répondre aux intérêts de l’immense majorité de la population, comment inventer de nouvelles institutions à travers des réformes et des ruptures qui fassent que les décisions qui engagent l’avenir soient des décisions partagées par tous…
Nous n’avons pas le choix : le monde moderne tel qu’il évolue et qui engendre une profonde exclusion, aussi bien sous les régimes démocratiques qu’autoritaires, nous oblige à remettre en chantier ce concept de démocratie dans lequel la conquête du gouvernement par le vote populaire n’épuise pas la participation de la société mais, au contraire, permet d’initier un autre processus créant deux pôles de pouvoir démocratique : l’un issu du vote, l’autre issu des institutions directes de participation.

Il est évident que le budget participatif ne représente pas l’unique réponse à ce problème, mais c’est une expérimentation très poussée sur la question du "pouvoir local", il s’oriente vers une forme universelle de direction de l’Etat et de création d’un nouveau type d’Etat qui combine la représentation politique traditionnelle (celle des élections périodiques) avec la participation directe et volontaire des citoyens (à travers la création de formes de "cogestion"). Ainsi, les représentants issus de la démocratie directe et volontaire peuvent prendre des décisions chaque fois plus en phase avec les intérêts de la population."

Jean-Blaise Picheral


[1Le terme de démocratie directe, que nous préférons à démocratie participative, ne rend pas compte du fait que la population, la société civile doit nécessairement s’organiser y compris avec des délégué-es élu-es avec mandats impératifs… révocables à tout moment par les assemblées populaires. C’est pourquoi nous préférons parler de démocratie continue de délibération et de co-décision.

[2Par exemple, à Bordeaux, la liste "couleurs bordelaises" s’est transformée en association et plus d’une centaine de personnes se réunissent toutes les semaines depuis les élections.

[3Le réseau "Démocratiser radicalement la démocratie" rassemble des personnes physiques (élus, responsables d’associations, professionnels…) de tous les courants de la gauche à l’extrême gauche et de sans partis… et des personnes morales (associations, municipalités). Il est organisé selon le principe "d’une personne = une voix".

[4Tarso Genro et Ubiratan de Souza, Quand les habitants gèrent vraiment leur ville, l’expérience du Budget Participatif de Porto Alegre, Edition Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, Paris, 1998.