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Les Verts au Ministère de l’environnement : bilan d’un apprentissage

vendredi 13 mai 2005, par Arnauld Noury

La législature 1997/2002 est caractérisée par l’installation des Verts dans la vie politique "officielle”. C’est une période charnière pour l’écologie politique. L’analyse précise et rigoureuse d’Arnauld Noury, maître de conférences de Droit public à l’Université de Lille, nous permet de pousuivre notre travail de bilan.

Un bilan de la participation gouvernementale des Verts et de son impact sur les politiques publiques de l’environnement, pour être sincère, ne doit pas perdre de vue que cette législature a constitué un apprentissage, les Verts n’ayant guère participé qu’à la gestion de collectivités territoriales.

Sur le plan juridique et institutionnel, l’attitude des Verts telle qu’elle ressort de cette législature est caractérisée par un certain angélisme. Le nombre de députés élus en 1997 était faible et les a obligés à constituer un groupe parlementaire avec les radicaux et les chevènementistes, réduisant ainsi leur visibilité institutionnelle et leurs moyens d’expression. Ce nombre s’est progressivement réduit à la suite des nominations ministérielles, les suppléants des députés Verts étant systématiquement socialistes. La Constitution du 4 octobre 1958 établit en effet une incompatibilité entre la fonction de membre de gouvernement et celle de parlementaire. Or, tous les Verts ayant exercé une telle fonction gouvernementale - Dominique Voynet dès 1997, Guy Hascoët ensuite, enfin Yves Cochet - étaient députés. On peut regretter que les Verts n’aient pas imposé à Lionel Jospin de choisir ses ministres Verts hors du Palais-Bourbon, de manière à ne pas amoindrir le nombre des élus Verts. On peut encore regretter que le seul véritable ministère confié aux Verts ait été celui de l’environnement et de l’aménagement du territoire : un autre département ministériel aurait vraisemblablement permis aux Verts de briser le carcan dans lequel une large partie de l’opinion publique, voire des médias, continue de les percevoir.

Quoi qu’il en soit, l’affaiblissement des députés Verts est d’autant plus déplorable que leur liberté d’expression est bien plus étendue que celle des membres du gouvernement, liés par ce qu’il est convenu d’appeler la solidarité gouvernementale. L’existence de cette solidarité ne dépend pas uniquement de la discipline que le Premier ministre ferait régner au sein du gouvernement et du risque corrélatif de révocation d’un ministre trop indépendant. Elle s’explique aussi par les conditions mêmes du travail gouvernemental : un ministre n’est pas omnipotent, il doit fréquemment collaborer avec les autres membres du gouvernement et ne peut dans la plupart des cas agir sans le consentement de l’un ou l’autre d’entre eux, voire du Premier ministre pour les actes les plus importants (signature d’un décret, dépôt d’un projet de loi, arbitrage budgétaire).

MATE : un bilan insuffisant

S’agissant du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, cette dimension est encore accentuée. Car le décret d’attribution des compétences de ce ministère découle d’une interprétation très restrictive de l’accord électoral Verts-P.S. de 1997, oubliant l’équipement et les transports, la D.A.T.A.R. étant seulement mise à la disposition de la ministre. Si la nomination de Dominique Voynet à la tête de ce ministère a eu à l’évidence une portée politique, elle n’en a pas eu sur le plan juridique. Au-delà de l’aménagement du territoire, le ministère de l’environnement a gardé la délimitation qu’il avait dans les précédents gouvernements. Or, les pouvoirs exercés par le seul ministère de l’environnement sont réduits, tout comme son personnel et ses crédits budgétaires.

Il en découle un décalage entre la réalité institutionnelle et juridique et le sens commun. Nombre de problèmes que le citoyen lambda considère comme environnementaux ne peuvent être réglés par ce ministère. Dans certains cas, ils relèvent exclusivement d’autres ministères : c’est la raison pour laquelle les ministres de l’agriculture ou de la santé ont pu se gargariser en invoquant le principe de précaution. Les découpages institutionnels des structures ministérielles ne coïncident guère avec les conceptions que peuvent en avoir les français, non sans générer certains difficultés quant à l’appréciation par les citoyens de l’action - ou de l’inaction... - des ministres Verts devant tel ou tel phénomène (organismes génétiquement modifiés, Erika, etc.).

Dans d’autres cas, les problèmes dépendent de plusieurs ministères : il en va ainsi du nucléaire, de l’énergie, du développement durable, etc. La collaboration avec d’autres ministres est alors juridiquement nécessaire. En d’autres termes, il faut obtenir leur accord pour pouvoir agir ou, à défaut, celui du cabinet du Premier ministre saisi pour arbitrage. Tel est encore le cas à l’égard des mesures les plus importantes. S’agissant des nominations aux emplois supérieurs de l’Etat et de ses établissements publics, elles ne peuvent qu’être proposées par le ministre. La décision appartient, dans tous les sens du terme, au Premier ministre, voire au Président de la République lorsque l’emploi relève du champ d’application de l’article 13 de la Constitution. S’agissant des décrets réglementaires et du dépôt devant le Parlement de projets de loi, ils relèvent encore du Premier ministre. Dès lors, la multiplication des compromis est inévitable, dans l’exacte mesure où elle caractérise le travail gouvernemental.

Cette nécessité des compromis est en son principe même admissible pour les partis politiques qui se veulent réformistes. La difficulté est alors simplement déplacée. Car, s’il est de bons compromis ou des compromis dynamiques, il en est aussi des médiocres ou des franchement mauvais. C’est à ce niveau que le bât a régulièrement blessé.

Certes, certaines mesures envisagées dans l’accord électoral Verts-P.S. ont été prises (canal Rhin-Rhône, Superphénix, etc.). Elles l’ont été d’autant d’autant plus rapidement qu’elles étaient simples, consistant en des abrogations. Il a été beaucoup plus difficile de construire de véritables politiques publiques. A cet égard, le ministère Voynet est marqué d’une évidente réussite : la loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (L.O.A.D.T.) constitue en effet une remarquable relance de l’action publique. Infléchissant cette politique vers un développement durable et une participation locale, à travers notamment les conseils de développement, les pays et les contrats d’agglomération, ce texte ne souffre guère que d’un défaut qui risque d’être rédhibitoire. Il repose notamment sur des schémas de services collectifs définissant les besoins collectifs, dans des domaines tels que l’énergie, et organisant leur répartition sur le territoire. A l’heure actuelle, aucun de ces schémas n’a encore été adopté par décret. De sorte que la concrétisation d’une partie de cette loi risque de dépendre de la volonté du pouvoir issu des élections présidentielles et législatives de cette année 2002...

Les compromis critiquables sont malheureusement nombreux, même s’ils ne sont pas tous d’égale ampleur. Parmi les plus bénins, on peut mentionner la publication du Code de l’environnement. Louable dans la mesure où il regroupe en un seul document la plupart des règles de droit et en facilite donc la connaissance, ce texte est malheureusement décevant dans la mesure où il ne s’agit que d’une codification à droit constant. En d’autres termes, on a regroupé des dispositions éparses sans modifier leur substance.

Plus profondément, le ministère Voynet s’est rapidement embourbé dans le dossier de la chasse. Pendant près de deux ans, de 1998 à 2000, cette question a focalisé l’attention du monde politique et il est certain que la ministre a perdu une bonne part de son énergie dans ces interminables débats parlementaires. Rappelons que le droit français méconnaissait depuis longtemps une directive communautaire du 2 avril 1979, telle qu’elle avait été interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes. Après un lobbying intense des chasseurs, la loi du 3 juillet 1998 a radicalisé l’opposition entre la France et l’Europe communautaire. Ce texte a été adopté par les parlementaires sans que le chef du gouvernement ne manifeste clairement d’opposition, dans une atmosphère de fronde à l’égard tant de l’Europe que des écologistes incarnés par la ministre de l’environnement. Gageons que la peur n’a cependant pas été absente, qu’il s’agisse de la crainte de perdre les voix de certaines catégories d’électeurs ou même de la simple peur physique devant les agressions commises par des chasseurs. Remplaçant le texte précité, la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse n’a satisfait aucun des protagonistes de ce dossier. Reste à savoir si un compromis était possible sur cette question.

Au-delà de la chasse, l’action du ministère de l’environnement et de l’aménagement du territoire est décevante pour la simple raison que nombre de projets ne sont toujours pas aboutis et n’aboutiront peut-être jamais. Il suffit de consulter l’ordre du jour du Parlement. Alors que la dernière session de cette législature vient de s’achever, y figurent encore le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, le projet de loi portant réforme de la politique de l’eau et le projet de loi tendant à renforcer la maîtrise des risques technologiques. Si le dépôt de ce dernier projet constitue une réaction devant l’accident de l’usine AZF de Toulouse et est de ce fait directement lié à l’actualité, les deux autres projets traduisent, eux, des échecs du ministère dans le cadre du travail gouvernemental, dans la mesure où aucun de ces textes n’a pu être adopté, voire même débattu, par le Parlement avant la clôture de la dernière session de cette législature.

L’élaboration d’un projet de loi sur le nucléaire était pourtant annoncé dès la fin de l’année 1998. La presse s’en était d’ailleurs fait l’écho et présentait, à tort ou à raison, ce projet comme la contrepartie de l’autorisation, accordée par le ministre de l’agriculture, de cultiver certaines catégories d’organismes génétiquement modifiés. Evidemment discutable en lui-même, un tel accord n’en constituait pas moins a priori un véritable compromis. Les difficultés rencontrées au cours de la préparation de ce projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire et son dépôt à la fin de l’année 2001 ont définitivement fait perdre toute pertinence à ce compromis. Il en va de même à l’égard du projet de loi sur l’eau, la volonté affichée par le ministère d’appliquer enfin le principe pollueur-payeur aux agriculteurs étant sensiblement édulcorée au fur et à mesure des négociations auxquelles son élaboration a donné lieu.

Comment ne pas qualifier d’échecs les dépôts tardifs de projets en fin de législature, ces projets n’ayant aucune chance d’être adopté avant les prochaines élections législatives ? Rien ne garantit que, même en cas de victoire de la gauche plurielle aux législatives, ces projets seront inscrits à l’ordre du jour du Parlement par le nouveau Premier ministre. Il s’agit bien d’échecs avérés, sauf à considérer que dans une société médiatique, la simple annonce d’un projet équivaut à l’adoption d’une véritable loi.

Les vrais rapports de force font les bons compromis : rôle du parti Vert

Dès lors, on peut dresser un bilan mitigé de cette législature et de la participation des Verts au gouvernement. Si la logique même du travail gouvernemental - des compromis successifs entre les membres du gouvernement, le cas échéant après arbitrage, par définition aléatoire, du Premier ministre - est un mal nécessaire, sa pratique aurait pu être plus satisfaisante. Si elle peut être rationnelle, la substance de chaque compromis découle aussi d’un inévitable rapport de forces proprement politique. C’est dans la mise en place de ce rapport que les Verts ont vraisemblablement failli.

A cet égard, la présence d’un seul membre au gouvernement a été une réelle difficulté, au point que l’on peut estimer qu’il eut mieux valu deux ministres, l’un en charge de l’environnement, l’autre de l’aménagement du territoire, plutôt que d’un seul. La nomination de Guy Hascoët en tant que secrétaire d’Etat à l’économie solidaire s’est avérée trop tardive - et la tâche immense au regard des moyens lui étant alloués - pour conforter véritablement la présence des Verts au sein du gouvernement. D’autant plus que la terminologie n’a pas qu’une signification protocolaire : un secrétaire d’Etat ne siège au conseil des ministres que dans la mesure où y est évoquée une affaire dont il a la charge. Un gouvernement, on le voit, est un organisme à géométrie variable. Sauf à agiter la menace de sa démission, au risque d’y perdre sa crédibilité s’il le fait trop souvent, un ministre isolé est dans une situation dans laquelle sa liberté est considérablement réduite par l’impératif de solidarité inhérent à la dimension collective du travail gouvernemental.

Malaisé au sein du gouvernement, le rapport de forces peut être établi par les parlementaires ou par le parti politique. On l’a vu, l’incompatibilité entre les fonctions de parlementaire et de membre du gouvernement peut faire des ravages dans les rangs dès le départ clairsemés des députés d’une formation telle que les Verts. Il en découle inévitablement un affaiblissement de la représentation parlementaire, susceptible d’être accentué le cas échéant par l’apparition d’ambitions personnelles. Reste alors le parti politique, sachant qu’au sein des Verts, la discipline n’y est guère prisée et la cohérence des discours pour l’opinion publique est altérée par le nombre des porte-parole et leur mode de désignation.

Ne plus superposer Ministre et leader du parti
C’est pourtant dans le cadre de ce triangle - ministres, parlementaires, parti politique - qu’une action politique pertinente peut être menée. Il est a posteriori évident que le leader d’un parti politique minoritaire dans une majorité composite ne peut être membre du gouvernement sans restreindre sensiblement sa liberté d’expression et, par voie de conséquence, celle de l’organisation qu’il représente. Par contre, la qualité de leader ou, celle de porte-parole, est au contraire confortée par le statut de parlementaire. Certes, la désignation de toute personne en tant que ministre fera d’elle ipso facto l’un des leaders de sa formation politique, dans l’exacte mesure où elle lui accordera une certaine lisibilité et des relais auprès de l’opinion publique. Dès lors existera un risque de contradiction ou de combat des chefs. Nous en convenons aisément. Cela étant, il appartiendra alors aux militants politiques de trancher ce type de différend. D’autre part et surtout, une telle distinction est la condition même de l’exercice satisfaisant de sa fonction gouvernementale par un tel ministre. Car elle est susceptible de permettre l’établissement d’un rapport de forces politiques extérieur au gouvernement permettant à ce ministre de peser plus fortement sur l’élaboration des compromis au sein du gouvernement. à défaut, on peut se demander s’il est tout simplement souhaitable de participer à un gouvernement.