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Scénario négaWatt : place aux actes
vendredi 9 septembre 2005
Conseiller "économies d’énergie" au Programme des Nations Unies pour le Développement, Benoît Lebot est aussi porte-parole de Negawatt. Cette association d’experts propose des solutions pour réduire la consommation d’énergie de moitié en 50 ans. Rien d’utopique là dedans, puisque c’est aussi le scénario envisagé par le gouvernement allemand. Seule compte désormais la volonté politique...
EcoRev’ - Depuis les années 70, on constate un essoufflement de la chasse au gaspillage en France : quand les Allemands consommaient en 2000 10 % d’énergie en moins qu’il y a 20 ans, les Français en consommaient 25 % en plus. Comment expliquez-vous ce manque de volonté ?
Des choses ont marché tout de même : un bâtiment neuf construit aujourd’hui consomme 60 % de moins que ceux construits il y a 20 ans. Ce grâce à la réglementation thermique introduite en 1975 et renforcée plusieurs fois, la dernière en 2001. L’impact de cette réglementation thermique sur la consommation d’énergie au niveau national réclame du temps, car le renouvellement du parc des bâtiments est très lent.
Mais c’est vrai que l’ambiance générale n’est pas aux économies d’énergie. En France, je pense qu’une des raisons est de laisser depuis 20 ans l’opérateur EDF communiquer massivement sur le thème d’une électricité abondante, pas chère et non polluante. Comment dans cet environnement médiatique sensibiliser aux économies d’énergie quand dans l’esprit des responsables français, même au plus haut niveau, la confusion règne entre électricité et énergie, entre changement climatique et nucléaire ? Nombreux sont ceux qui pensent qu’avec plus de nucléaire on s’en sortira mieux sur le plan des émissions de gaz à effet de serre. Or le lien n’est pas direct : la part principale des émissions de GES (gaz à effet de serre) est due en France aux transports, pour lesquels le nucléaire ne peut rien ou pas grand chose.
Or ce qui est à faire maintenant est d’un tout ordre de grandeur que la chasse au gaspi des années 70. Nous sommes au niveau national comme international dans plusieurs impasses : le changement climatique nous impose de sortir d’un développement économique carboné. Des tensions internationales majeures se profilent pour l’accès au pétrole et au gaz, vecteurs de la dynamique économique. Les prix d’accès à ces ressources énergétiques ne peuvent qu’augmenter. Sans maîtrise réelle de la demande d’énergie, il est difficile d’envisager que les énergies renouvelables pourront satisfaire les besoins La priorité des priorités est donc de mettre le paquet sur les économies d’énergie.
Quelles sont les marges de manœuvre possibles ?
L’espoir réside dans les bâtiments (46 % de la consommation d’énergie en France) car les techniques sont connues et l’effort à notre portée. A une condition : s’attaquer de front au parc existant. On peut atteindre les gisements d’économie existants dans l’ancien grâce à des investissements systématiques dans l’isolation, les parois opaques, les fenêtres, le changement des chaudières et l’installation de solaire partout où c’est possible...
L’association négaWatt a mis en évidence ce gisement incontournable. Nous proposons donc que lors de toute transaction immobilière les investissements nécessaires pour isoler et améliorer la performance énergétique du bâtiment en question deviennent systématiques. Le rythme à tenir est de 400 000 rénovations dans l’ancien chaque année. C’est une idée fortement créatrice d’emplois locaux et durables. Pour cela nous proposons que des prêts nouveaux soient mis en place lors de l’accession à la propriété. Notre idée a été reprise par un collectif d’industriels, "Isolons la Terre contre le CO2", dont fait notamment partie Saint Gobain. Le bâtiment, responsable de 25 % des émissions en France, consomme 200 kWh/m2. Il faut ramener ce chiffre à 50 kWh/m2. La division par 4 des émissions de GES (facteur 4) que s’impose avec raison la France à l’horizon 2050 dans les déclarations passe en effet par un facteur 4 sur les économies d’énergie dans le secteur du bâtiment. Une directive européenne qui doit entrer en vigueur l’année prochaine impose d’informer sur la consommation des logements lors de toute transaction ou location immobilière. Peut-être est ce un premier pas vers de plus strictes obligations, visant l’investissement systématique dans les améliorations de la performance énergétique.
D’autre part, nous jugeons indispensable d’imposer de nouvelles réglementations thermiques pour le bâtiment neuf : il faut apprendre d’ici 2015-2020 à ne construire sur Terre que des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire capable de produire autant d’énergie, voire plus, qu’ils en consomment sur une année. Le meilleur système solaire qui existe c’est le bâtiment lui même, à condition que l’on maîtrise les principes du bioclimatisme, par exemple en réservant le sud aux parois vitrées et isolées pour assurer un maximum d’apports solaires durant la période de chauffe.
Comment la sobriété pourrait s’appliquer aux transports, deuxième poste de consommation énergétique en France après le bâtiment ?
Nous pensons qu’il est raisonnable de parvenir à une réduction de la distance annuelle moyenne parcourue par une voiture de 14 000 à 11 000 km. Nous proposons pour cela un panel de mesures, de la création de pistes cyclables jusqu’à la promotion du travail à la maison. Avec plus de transports en commun, un usage accru du vélo et un meilleur aménagement du territoire, il doit être possible de réduire la distance parcourue par les automobiles. De même, la consommation moyenne du parc peut passer de 7 litres aux 100 kilomètres à 4 litres. A l’aide de réglementations, le marché des voitures mises en circulation peut évoluer vers des véhicules toujours plus efficaces. Il est également possible de brider les moteurs pour limiter les vitesses excessives sur les routes. Un système de bonus-malus permet en outre de dynamiser le marché pour l’orienter vers celui des voitures les plus économes en émission de carbone : ceux qui achètent des voitures chères parce qu’elles consomment peu d’énergie reçoivent un bonus que l’on fait payer sous forme de malus à ceux qui roulent en grosses cylindrées ou en 4x4.
C’était un projet du gouvernement...
Oui, l’idée est excellente et fait partie depuis longtemps des propositions de négaWatt. Pour l’atteindre nous proposons d’introduire l’affichage des consommations d’énergie et des émissions de carbone, comme pour les réfrigérateurs et autres appareils électroménagers, via un étiquetage de format A, B, C, D, E, F, G. En introduisant une information discriminante sur la performance énergétique, il devient facile d’introduire des incitations financières. Par exemple, un bonus de 100 euros est octroyé lors de l’acquisition d’un véhicule de performance énergétique "A" alors que celle d’un véhicule classé en "G" est pénalisé d’un malus de 500 euros. Cette idée a été reprise dans le dernier Plan Climat mais hélas elle a été torpillée immédiatement : peut-être était-elle mal présentée ?
Le système d’affichage de l’efficacité énergétique est pourtant acquis et sera introduit normalement d’ici à la fin de l’année en France. Toutefois l’efficacité n’est rien sans sobriété, car on constate toujours un certain "effet rebond" : si les voitures consomment moins aujourd’hui qu’il y a 20 ans, on roule plus souvent, plus vite et toujours plus loin.
Que pensez-vous des certificats d’économie d’énergie, prévus par la loi d’orientation sur l’énergie, et qui s’échangeraient comme des permis de polluer ?
C’est la seule mesure phare de l’efficacité énergétique de ce texte. A négaWatt, nous ne comprenons pas l’engouement pour ce genre d’instruments. Des préalables à l’appropriation par le marché de ce type d’instruments ne sont pas encore en place : vous ne pouvez pas demander au marché de réagir à l’efficacité énergétique s’il ne porte pas en lui même les éléments et les indices pour percevoir cette efficacité, comme par exemple l’affichage des consommations d’énergie de tel ou tel système énergétique. Comment inviter un opérateur électrique à investir par exemple dans le marché des moteurs électriques, tant qu’il n’existe pas de catégorisation claire adoptée par les constructeurs ?
L’autre point qui me gêne c’est que les certificats ne sont que les résultats d’obligations faites à des opérateurs d’énergie, producteurs ou fournisseurs, en France, comme EDF, Poweo, Suez, Direct Energie, etc. Les pouvoirs publics leur disent : "Par rapport à votre production de l’an dernier, on veut que dans les deux ans vous obteniez tant d’économie d’énergie. Soit vous les faites faire chez vos clients, soit vous achetez à ceux qui auront réalisé des économies des certificats."
Mais les résultats de ce type de mécanismes utilisés aux Etats-Unis depuis une quinzaine d’année ne sont pas des plus convaincant. C’est toujours contre nature d’imposer à un producteur, qu’il produise des kilowatt/heure ou des pommes de terre, de mettre moins de ses propres produits sur le marché.... Il gagnera toujours plus en produisant plus.
Je crains que les certificats n’aient sur les politiques d’économie d’énergie les mêmes effets que les permis de polluer sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans les débats internationaux depuis dix ans, les Etats Unis sont parvenus à paralyser les discussions sur le changement climatique en imposant ces mécanismes de flexibilité, séduisants sur le papier, mais très compliqués à mettre en place au plan international. Neuf ans après Kyoto, ils arrivent enfin, mais uniquement pour financer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre émanant des décharges, de quelques centrales thermiques, ou encourager la séquestration de carbone via des puits... Il y a très peu d’investissement envisagé pour réduire la demande d’énergie.
Les pays en développement sont-ils sensibles à cette question ?
Non, ils ont d’autres priorités et subissent la mondialisation : les réfrigérateurs et voitures polluantes dont on ne veut plus chez nous sont envoyés au Sud. La meilleure aide qu’on peut leur apporter, c’est de donner l’exemple. La priorité des PVD (Pays en Voie de Développement) reste et restera la lutte contre la pauvreté et la course au développement.
Pour ma part, j’interviens sur quelques chantiers, comme les vastes programmes de logements sociaux lancés au Maroc ou en Tunisie. Le message passe mieux dans les pays en forte croissance confrontés aux problèmes d’approvisionnement énergétique, le Brésil ou la Chine, par exemple.
Que pensez-vous de la campagne lancée en France par la Fondation Hulot ?
Cela va dans la bonne direction, celle d’une meilleure sobriété des comportements individuels. Il faut en effet encourager l’usage des vélos, mieux gérer nos consommations d’énergie au quotidien, encourager les investissements dans les techniques d’énergie solaire... Savez-vous que nombre d’appareils électroniques consomment encore de l’électricité une fois éteints ? Il faut certes encourager tout un chacun à intervenir sur ce gaspillage du à la veille, comme le propose l’un des dix gestes du défi pour la terre. Mais il faut également exiger une réglementation internationale pour imposer aux fabricants de nous vendre uniquement des objets économes et performants.
Le scénario négaWatt a été élaboré il y a plus de deux ans. Va-t-il être réactualisé ?
Oui. Nous allons réactualiser notre scénario en prenant en compte les remarques qui nous ont été faites depuis sa publication. Nous comptons aller plus loin dans nos propositions, en les affinant sur les transports et la place des énergies renouvelables, par exemple. Nous ne manquerons pas de nous inspirer des scénarios réalisés ces dernières années à l’étranger, notamment en Europe. Par exemple, le gouvernement allemand envisage une baisse de 50 % de l’intensité énergétique d’ici 2020 et de couvrir par les renouvelables 80 % de sa demande d’électricité d’ici à 2050. Ce scénario a été officiellement adopté par les autorités nationales outre-Rhin et s’inscrit dans le double objectif de sortir de l’âge nucléaire tout en ramenant les émissions de carbone au niveau des recommandations des scientifiques travaillant sur le changement climatique. Une perspective similaire à la nôtre, mais elle très officielle.
Propos recueillis par Simon Barthélémy
– Site de l’association négaWatt :
http://www.negawatt.org