Accueil > Les dossiers > De l’automne 2004 à l’automne-hiver 2005/2006, du n° 18 au 21 > N° 20 (été 2005) / énergie : à contre-courant / vert Brésil ? > énergie : à contre-courant > Hydrogène : de l’eau dans le gaz
Hydrogène : de l’eau dans le gaz
vendredi 9 septembre 2005, par
Présentée comme LA solution d’avenir pour se substituer au pétrole dans les transports, l’hydrogène est en fait une énergie difficile à produire et peu maniable. Mais elle sera sans doute utile pour stocker l’énergie renouvelable.
L’hydrogène est un gaz connu depuis 1799, et son utilisation dans les piles à combustible depuis 1839. Mais aujourd’hui, les moteurs à hydrogène sont envisagés, par bon nombre de gouvernements (Japon, Islande, états-Unis...) et de constructeurs automobiles (Toyota, Daimler-Chrysler...) comme une méthode révolutionnaire pour remplacer les carburants fossiles et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette technologie comporte pourtant plusieurs défauts. Considérée comme chère à produire, elle est aussi gourmande en énergie, et sa matière première est dangereuse à stocker et à transporter.
Si les constructeurs automobiles misent sur les piles à combustible (qui produisent l’énergie motrice des voitures à hydrogène) ils devront résoudre un certain nombre de problèmes avant de lancer leurs premiers modèles. En premier lieu, ils devront parvenir à réduire leurs coûts de production car leurs premiers essais dans ce domaine n’ont pas été concluants. Même s’ils ne concernent, à l’heure actuelle, que l’équipement de prototypes. Aujourd’hui, le seul prix du platine utilisé dans les catalyseurs des voitures à hydrogène est supérieur au prix du moteur d’une voiture à essence.
"On parle là de marchés de démonstrateurs, qui ne peuvent nous renseigner sur les coûts réels d’une fabrication en série", estime Daniel Clément, expert à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et animateur du Réseau PACo (pile à combustible).
Pour réduire les coûts, les recherches sont étalées "du puits à la roue" (from well to wheel). Au sein du programme Energie du CNRS, des chercheurs planchent autant sur l’amélioration des piles à combustible que sur des procédés innovants capables de produire de l’hydrogène à partir de micro-algues ; des chercheurs américains en produisent même à partir de bactéries génétiquement modifiées...
Car c’est là que réside tout le problème. L’hydrogène est présent à profusion dans la nature, mais il n’existe jamais à l’état natif. Il est toujours "piégé" à l’intérieur d’une molécule (à commencer par l’eau). Il faut donc casser cette molécule et pour ça, il faut de l’énergie, et si possible de l’énergie propre n’émettant pas de gaz à effet de serre. Voici comment Jeremy Rifkin, auteur L’économie hydrogène, envisage la marche à suivre : "D’abord vous utilisez le solaire, l’éolien, la géothermie, l’hydroélectricité et la biomasse pour produire de l’électricité. Vous utilisez directement une partie de cette énergie, et le reste sert à l’électrolyse de l’eau pour produire de l’hydrogène. C’est la seule façon de stocker l’électricité renouvelable. Mon propos vise à nous préparer à des périodes où le soleil ne brillera pas de quelques jours, où le vent s’arrêtera de souffler, ou lorsque des sécheresses empêcheront les barrages de fonctionner. Vous ne pouvez pas envisager une société d’énergie renouvelable sans l’hydrogène comme moyen de transport et de stockage." [1]
Nous sommes actuellement loin du compte : seulement 5 % de la production d’hydrogène vient de l’électrolyse. En outre, ce procédé consomme de l’électricité en grandes quantités. Or, on estime que 64 % de l’électricité mondiale est encore produite dans ce type de centrales thermiques fonctionnant au charbon, au pétrole ou au gaz naturel.
L’hydrogène reste massivement fabriquée - à 95 % - par combustion d’hydrocarbures, donc en émettant du CO2. La pile à combustible des moteurs à hydrogène est donc une énergie propre qui nécessite une production massive de gaz à effet de serre pour pouvoir fonctionner ! D’autant que la fabrication d’hydrogène ne représente actuellement que 1,5 % de la demande totale d’énergie dans le monde. Utilisée essentiellement dans l’industrie chimique pour la production d’ammoniaque, l’hydrogène comme source d’énergie assurerait les beaux jours des puissantes multinationales qui la fabriquent. Certains évoquent leur lobbying actif auprès des administrations américaines et européennes, qui financent grassement les recherches. Le lobby nucléaire n’est pas en reste, puisque quoi qu’il arrive, l’hydrogène réclamera beaucoup d’électricité. Beaucoup plus que ne peuvent en fournir les énergies renouvelables (éolien, solaire, etc.).
Le stockage et la distribution de l’hydrogène sont l’autre grand souci pour les industriels. Certains, comme Renault ou Daimler, misent sur des petites "usines" de production d’hydrogène par reformage, directement intégrées à la voiture. La technologie de Renault permet de fabriquer de l’hydrogène à partir de différents types d’hydrocarbures : essence de synthèse, alcool (il s’agirait d’éthanol produit à partir de canne à sucre) ou bio-carburant.
Ce procédé est donc lui aussi émetteur de CO2, même si c’est dans une bien moindre mesure que les moteurs à essence ou diesel d’aujourd’hui. Mais il a tout de même un avantage. Il épargnerait le besoin d’implanter des gazoducs d’hydrogène à travers des pays entiers. L’hydrogène est un gaz très peu dense, bien plus volumineux que du gaz naturel ou du pétrole : il nécessiterait de gros moyens pour le comprimer et une tuyauterie énorme pour le transporter. Et pas question de lésiner sur les soudures, puisque l’hydrogène est à la fois hautement inflammable et bien plus volatil que le gaz naturel...
Simon Barthélémy
[1] "Hydrogen : Revolution or Illusion ?", entretien entre Jeremy Rifkin et Hermann Scheer sur http://www.daimlerchrysler.com