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Sur l’efficacité énergétique

novembre 2000, par Yves Cochet

La question énergétique repose une nouvelle fois la question du modèle de développement. L’approche évolutionniste qui nous anime reste le référentiel dominant. Yves Cochet, animateur historique des Verts et député, entend faire de l’efficacité énergétique un élément pivot dans l’élaboration d’une période de transition destinée à établir un développement durable et équitable à l’échelle planétaire. Il nous livre ici quelques-unes des principales conclusions d’un rapport récent remis au Premier ministre.

Depuis plus d’un siècle, le modèle industriel productiviste des pays du Nord engendre des effets sociaux et environnementaux qui menacent ou détruisent les sociétés et les milieux, jusqu’aux bases biophysiques de la vie sur terre. Ce modèle est inégalitaire et insoutenable. Il ne peut être étendu à l’ensemble de la planète. Au contraire, malgré l’aveuglement persistant d’une majorité des populations du Nord et la fascination qu’il exerce encore sur les élites du Sud, ce modèle est condamné à disparaître au profit de celui du développement durable, radicalement différent.

De la révolution à la transition

Dans le domaine de l’énergie, il est assez simple d’énoncer la triple prescription du développement durable pour le XXI e siècle : utilisation équitable, temporaire et serrée des ressources fossiles (surtout le gaz naturel), application généralisée de l’efficacité énergétique, développement accéléré des énergies renouvelables. Le problème est donc moins la définition de cet objectif que la conception et la mise en œuvre rapide de politiques globales et régionales de transition. Immense enjeu, formidables difficultés. Ce choix n’est pas seulement une vue de l’esprit pour le long terme, il détermine les conditions de la paix ou de la guerre dans moins d’une génération.
La réalisation d’une telle stratégie se heurte cependant à de nombreux obstacles dont le moindre n’est pas la tradition productiviste des élites techniques et des dirigeants politiques, conjointe aux intérêts des grands producteurs d’énergie, accompagnée de la faiblesse de l’information sur ce qui est possible et sur ce qui a été fait, de la méconnaissance des professionnels et des décideurs, de l’absence de mécanismes institutionnels et financiers adaptés.
Il en résulte un discours et une pratique dominants qui, tout à la fois, reconnaissent la question énergétique, négligent l’expérience alternative acquise, prétendent que ses effets ne peuvent être que marginaux, enfin fournissent peu de moyens à cette stratégie en déclarant néanmoins : « Nous avons fait le maximum, vous voyez bien que cela ne marche pas. »

L’efficacité énergétique : approche globale

Appelons efficacité énergétique (EFEN) une stratégie qui réduit les consommations d’énergie, à service rendu égal, et entraîne la diminution des coûts écologiques, économiques et sociaux liés à la production et à la consommation d’énergie tout en permettant d’augmenter la qualité de la vie de tous les habitants de la planète et celle des générations futures. L’efficacité regroupe sous ce terme tout ce qu’on appelle parfois économies d’énergie ou maîtrise des consommations d’énergie ou utilisation rationnelle de l’énergie ou sobriété énergétique.
« La sobriété énergétique constitue en effet le premier moyen pour éviter les crises globales et gérer les contraintes multiples que constituent les ressources naturelles en ressources fossiles et les capacités d’absorption de l’environnement (…) La recherche de la sobriété énergétique devra donc être conçue comme un effort continu sur le long terme, visant à éviter la création d’irréversibilités liées aux infrastructures et à développer le champ des technologies énergétiques efficaces » (Énergie 2010-2020, les chemins d’une croissance sobre, Commissariat Général du Plan, la Documentation française, septembre 1998).

L’analyse de la situation énergétique mondiale et de son évolution tendancielle montre que :
a) Sur les six milliards d’habitants de la planète, deux milliards environ survivent sur les énergies traditionnelles tout en les mésusant, tandis que deux milliards et demi de leurs concitoyens des métropoles et des secteurs industriels du Sud ont accès aux formes commerciales actuelles d’énergie et absorbent ainsi un quart de la consommation mondiale ;
b) À des degrés divers et avec de notables différences, le milliard et demi d’habitants des pays industrialisés (OCDE et pays de l’Est) monopolisent les ressources mondiales et les utilisent mal : 25% des habitants de la planète consomment 75% de l’énergie commerciale ;
c) Le potentiel d’utilisation efficace de l’énergie est considérable dans les pays de l’OCDE ; l’efficacité énergétique est une condition de survie de l’économie dans les pays de l’Est ; elle est une condition de survie tout court dans les pays du Sud.
Bref, dans le domaine de l’énergie, le choix d’une stratégie d’efficacité énergétique à l’échelle mondiale et régionale est le premier de tous.
Au sein de l’Union européenne, la stratégie efficace n’est pas contestée sur le fond, mais elle est diversement mise en œuvre selon les entraves nationales rencontrées. L’efficacité énergétique est intelligente, mais elle n’est ni grandiose comme le nucléaire, ni mythique comme le solaire. Elle est économiquement intéressante pour une multitude d’acteurs (États, collectivités territoriales, consommateurs, artisans, entreprises d’équipements…) mais elle est décentralisée et n’a pas de grand opérateur national ou international.

L’énergie : définir les besoins plutôt que créer le désir

L’efficacité énergétique transforme la vision courante de l’énergie comme facteur de puissance et de profit en une vision de l’énergie comme réponse aux besoins. Elle remplace la politique de l’offre de produits énergétiques par une politique issue de la demande de services énergétiques satisfaisant des besoins (alimentation, logement, habillement, santé, déplacements, éducation, information, culture…).
Les quantités d’énergie nécessaires pour répondre à un besoin donné sont très différentes selon la méthode choisie, les équipements ou appareils utilisés, les façons de s’en servir, et le choix du produit énergétique consommé. A service égal -plus généralement à confort et même à développement égal- on peut consommer beaucoup moins d’énergie qu’aujourd’hui, pour un coût total inférieur.

L’efficacité énergétique en action

L’objectif est, à l’horizon 2010, que l’intensité énergétique finale (voir glossaire p.7) de la France baisse de 0,18 à 0,15. Ceci implique un effort de politiques, de mesures et d’investissements d’efficacité énergétique dans tous les secteurs d’un ordre de grandeur très supérieur à ce qui s’est fait depuis plus de dix ans. En contrepartie de cet effort, la France sera bien placée pour respecter le protocole de Kyoto et pourra bénéficier de dividendes économiques importants par rapport à des pays moins mobilisés. Cet objectif et les propositions qui suivent doivent contribuer à orienter la conception et la mise en œuvre du Plan d’économies d’énergie annoncé par le Premier ministre à Lyon, le 11 septembre 2000.

C’est pourquoi je suggère, dans mon rapport au Premier ministre [cf. encadré], la mise en œuvre de trois programmes nationaux dans les secteurs des transports et de l’habitat-tertiaire existant, ainsi que dans le domaine de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE).

À titre d’exemple, voici quelques propositions dans ce dernier domaine :

Proposition n°1 : remplacement des appareils de froid par des appareils de classe A.

Enjeu : 725 kWh/an-logement en moyenne

Proposition n°2 : remplacement des dix ampoules les plus utilisées par des lampes fluocompactes.

Enjeu : 340 kWh/an-logement

Proposition n°3 : asservissement du circulateur de la chaudière au thermostat d’ambiance s’il y en a un.
Enjeu : 225 kWh/an-logement

Proposition n°4 : optimisation des modes veille.

Enjeu : entre 200 et 300 kWh/an-logement

Proposition n°5 : taux de TVA réduit sur les appareils de classe énergétique A ou prime ou avantage fiscal sur l’achat d’appareils de classe énergétique A.

Proposition n°6 : contrôle de l’étiquetage énergétique.

Proposition n°7 : renforcement de la formation des artisans et professionnels du génie climatique afin de les sensibiliser à l’approche d’efficacité énergétique.

Proposition n°8 : fixation des règles d’équipements sobres et performants pour les logements sociaux.

Proposition n°9 : inscription dans la formation des architectes, des ingénieurs et des techniciens du bâtiment des éléments sur l’énergétique sobre (maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables) : conception de l’enveloppe et des systèmes.

Proposition n°10 : soutien à la recherche et développement en efficacité énergétique.

Proposition n°11 : imposition de certaines dispositions simples dans la construction des bâtiments neufs :

– interdiction de l’éclairage permanent des parkings et des cabines d’ascenseur,
– obligation d’installer des moteurs à convertisseurs de fréquence pour les ascenseurs,
– obligation d’usage des ascenseurs à contrepoids, sauf impossibilité majeure avérée,
– généralisation de l’éclairage fluocompact dans les parties communes,
– imposition d’une valeur limite pour la consommation électrique des services généraux : cette valeur pourrait être déterminée immeuble par immeuble en fonction des caractéristiques propres de chaque bâtiment (présence d’un ascenseur, d’un parking, etc.),
– affichage des consommations normalisées des services généraux pour les logements neufs.
Proposition n°12 : plafonnement du coût maximal de fourniture de chaleur et d’eau chaude sanitaire dans le logement social.

Proposition n°13 : taxation de l’usage du chauffage électrique (tous secteurs de construction confondus) et interdiction de sa publicité.

Proposition n°14 : soutien à une stratégie européenne rigoureuse de transformation des marchés des biens d’équipement (labellisation énergétique de tous les appareils).

Proposition n°15 : inscription de l’efficacité énergétique dans les normes des biens d’équipement.

Proposition n°16 : soutien au développement de PME spécialisées dans les opérations d’efficacité énergétique sur un mode d’intervention de type tiers financement.


A lire :
– Yves Cochet, Stratégie et moyens de développement de l’efficacité énergétique et des sources d’énergie renouvelables en France, La Documentation française, novembre 2000. Ce rapport est téléchargeable à partir le site suivant : http://www.verts.imaginet.fr/dossiers.html (format PDF)
– Thierry Salomon et Stéphane Bedel, La maison des [néga]watts, Terre vivante, 1999.