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La vie rurale, enjeu écologique et de société. Propositions altermondialistes
François Plassard, Ed. Yves Michel, 2003, 142 pages, 13 euros
mercredi 14 janvier 2004, par
François Plassard commence sa carrière comme conseiller agricole, chargé de dynamiser la productivité des exploitations agricoles en y instillant les logiques industrielles. Il devient ensuite "agent de développement territorial", puis chargé de mission au ministère de la Recherche. Si la chronologie n’est pas des plus explicites, elle illustre assez clairement le parcours typique des ingénieurs du développement agricole, partant des cercles de formation des sciences de l’ingénieur, appliquant ensuite leurs recettes aux mondes de la production agroalimentaire, pour aboutir enfin aux instances nationales, chargées d’élaborer la planification du développement rural. Après 25 ans d’activités, il prend, selon ses propres termes, "du recul", aidé en cela par la rédaction d’une thèse universitaire. De la prise de conscience d’une double crise à la fois sociale et écologique, et de l’interaction de ces deux dimensions, il en arrive au constat qu’il convient d’établir de nouvelles formes de régulations pour "résoudre le défi alimentaire" en dehors de la logique du marché et établir "un nouveau rapport au temps et à l’espace qui conditionne un nouveau contrat social ville/campagne".
La démonstration s’appuie sur une logique classique, dénonçant dans un premier temps les (nombreuses) impasses du système productiviste agricole et souhaitant valoriser le développement d’une "agriculture paysanne". Pour F. Plassard, l’important est d’amener à un changement culturel (p. 50-55), notamment en s’intéressant "au statut de la connaissance et de l’agir efficace". Il insiste sur cette dimension fondamentale d’une connaissance en pratique.
La deuxième partie de la démonstration consiste à redonner un sens pratique à l’engagement citoyen, notamment au cœur des espaces ruraux. De nombreuses synergies y restent à créer, nous dit l’auteur, entre les réseaux déjà existants (notamment liés au milieu des agriculteurs, mais aussi des commerces locaux), et les réseaux émergeants liés aux mécanismes de la "rurbanisation" (c’est-à-dire ce tissage de plus en plus étendu entre la ville et la campagne - voir à ce propos le numéro 9 de la revue EcoRev’, Modernités de la ruralité).
F. Plassard termine sa démonstration en essayant de tracer des pistes pour "remettre à sa place la logique du marché". Son objectif est de faire de "la ruralité le champ privilégié d’une économie plurielle solidaire et de la démocratie participative". L’important est de raisonner sur la base d’une économie qui valorise le "lien" plus que le "bien" (p. 81-84).
Ce que nous dit ici F. Plassard, c’est que l’humanité ne peut envisager son rapport à l’avenir sans se soucier encore de son rapport au monde rural ; d’autres mondes sont possibles, certes, mais il convient de ne pas les limiter aux espaces urbains… Contrairement à l’image d’Epinal d’un monde assoupi, il nous donne à voir un monde d’initiatives, de valeurs immatérielles (dons, gratuités, échanges de savoirs, autonomie…) pratiquées au quotidien. Mais il a aussi conscience que cela reste minoritaire. Aussi plaide-t-il pour que les institutions publiques favorisent l’essor de ces initiatives (amélioration du statut associatif, aides fiscales…).
La grande force de cet ouvrage est la conviction de l’auteur, qu’il réussit à insuffler au fil des pages ; incontestablement, le livre est ici l’occasion de mobiliser une parole en acte. Ainsi, à travers des démonstrations aussi simples que fondées sur l’analyse de données complexes, il montre combien les mécanismes sont liés ; la littérature plus "intellectuelle" consacrée à ce type de sujet a bien souvent évoqué l’enchaînement des processus et les interactions qui s’opèrent, mais on peut ici les apprécier en acte. L’agriculture, explique l’auteur, n’est pas qu’une simple technique de production, mais aussi un facteur clé des relations sociales, dans les pays du Nord tout comme à l’échelle planétaire. L’idée n’est pas nouvelle, mais elle prend ici un sens pratique grâce à la volonté farouche de l’auteur d’amener les connaissances théoriques globales à un niveau d’appropriation immédiat pour tout un chacun (comme par exemple la sobre mais directe présentation de la pensée transdisciplinaire, p. 57-58).
Mais cela est parfois aussi source de confusion ; à trop vouloir convaincre, l’auteur pêche parfois d’un manque d’approche pratique. Il mentionne ainsi les expériences qu’il a mené dans certains domaines de l’économie solidaire (SEL par exemple), mais sans prendre réellement le temps de nous détailler la viabilité de ces réalisations.
Sans doute, les spécialistes de ces questions resteront un peu sur leur faim… Mais, pour tous les lecteurs qui souhaitent aborder ces thématiques en les ancrant dans des pratiques de terrain, ce livre constituera une bonne entrée en matière à la complexité du monde rural et de son avenir. Profitons de l’occasion pour signaler l’important travail de cette maison d’édition située en province, dont les livres se veulent "une contribution à l’émergence d’une nouvelle culture", en présentant des témoignages, des exemples d’initiatives sociales probantes et de concepts innovants, à travers plusieurs collections (société et acteurs sociaux, économie, écologie, santé…). N’hésitez pas à consulter la liste de leur publication : Editions Yves Michel.