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Garduno, en temps de paix

Philippe Squarzoni, Bande dessinée, éditions Les Requins Marteaux, Albi, 2002, 15 euros

mercredi 14 janvier 2004, par Ariane Jossin

Garduno est le nom d’un village du Mexique qui prend le nom de Zapata en temps de guerre. Cette bande dessinée en noir et blanc, au crayon, ne traite pourtant pas spécifiquement du Mexique, mais d’une quantité de choses. Ces choses ont en commun d’avoir été la nébuleuse d’éléments déclencheurs d’un engagement que l’on devine altermondialiste pour le protagoniste de l’ouvrage. Le leitmotiv du récit est l’opposition entre la notion de liberté et celle d’"espaces occupés" par le commerce, par l’autoritarisme, par les armes, par la domination de quelques-uns sur tant d’autres.

Le héros de cet ouvrage est le dessinateur lui-même, évoluant dans différents contextes par-delà les frontières. Par moments, une image de mains liées lui traverse l’esprit, une image qui réveille en lui une volonté de comprendre les choses et de les changer, à commencer par ses propres actions. Les idées sont posées sur le papier au fur et à mesure qu’elles circulent dans sa tête, les associations d’idées se succèdent : nous passons de son quotidien d’occidental de la fin du XXe siècle à l’Amérique du Sud, en passant par le XVIe siècle, puis retour à l’Europe... un moyen comme un autre de démontrer que tout est lié et que ce livre aurait pu s’appeler "du local au global".

Tout commence à Lyon en décembre 1997 par la remise en question par le protagoniste de son travail, de la flexibilité qu’il engendre, de la précarité qu’il dissimule. Puis de certains fondements de notre civilisation, de l’histoire des conquêtes coloniales. C’est le chapitre premier, celui de la vie de l’auteur et de la genèse de cette bande dessinée.
Chapitre deux, 1er janvier 1994, les zapatistes face au capitalisme grandissant, puis détours par la critique des médias, par le commerce équitable, la misère sociale de la Grande-Bretagne... Chapitre trois, décembre 1995, reportage en Croatie, lumière est faite sur l’absurdité des guerres ethniques, sur la libéralisation de l’ex-Yougoslavie après la mort de Tito. Chapitre quatre, le monde entier ferme les yeux sur les massacres en Tchétchénie ; les entreprises accumulent les bénéfices, mais licencient leurs employés ; les vacataires sont en grève à Paris. Puis revoilà les zapatistes qui organisent leur rencontre intergalactique de juillet 1996. La boucle est bouclée. Retour à Lyon, décembre 1997, Philippe s’apprête à partir au Chiapas et achète le Monde diplomatique.

Chapitre final, il est au Chiapas, il voit de ses yeux la force de l’association et du collectif : des femmes zapatistes et des enfants repoussent les soldats avec de simples bâtons et des pierres. Dans le Monde diplomatique qu’il avait acheté avant son départ, Ignacio Ramonet parle de créer une association... ATTAC.

Le dessin de Garduno est agrémenté de photographies et d’extraits de textes. L’intérêt du livre est qu’il constitue un récapitulatif intéressant des événements qu’on peut rétrospectivement associer à l’émergence du mouvement altermondialiste ; le tout porté par le regard de l’auteur et l’évocation de sa vie personnelle, de ses questionnements, de la confrontation de ses idées à celles de son entourage. Cette bande dessinée n’a pas pour objet de relater l’histoire d’ATTAC. Néanmoins la création de cette organisation apparaît ici comme l’étincelle qui permet à l’ensemble des événements mis en lumière de former un ensemble cohérent, de répondre à l’envie de s’engager que ressent l’auteur.