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Pour la désobéissance civique

José Bové et Gilles Luneau

lundi 16 mai 2005, par Jean-Louis Peyroux

La Découverte, 2004, 262 pages, 17,50 euros.

Qu’est-ce que donc que la désobéissance civique ? C’est un acte personnel et responsable, désintéressé, non-violent, transparent, ultime, soulignent le journaliste Gilles Luneau et son collègue paysan José Bové. Le terme "civique" est préféré à celui de "civile", car ce qui est civique "renvoie au citoyen qui s’oppose au nom d’une conscience collective". Ils laissent la désobéissance civile à l’individu qui s’oppose au nom de sa conscience individuelle. "La désobéissance civique est une forme d’action collective non violente par laquelle les citoyens, ouvertement et délibérément, transgressent de manière concertée une ou plusieurs lois (décrets, règlements, ordre émanant d’une autorité légale) en vigueur, dans le but d’exercer soit directement soit indirectement (par appel à l’opinion publique) une pression sur le législateur visant soit à la modification de la loi transgressée, soit la modification d’une décision politique, soit même, très exceptionnellement, le renversement du pouvoir", résument les deux auteurs.
Auparavant, ils présentent quelques cas significatifs de désobéissance civique. Et tout d’abord le refus des plantations d’OGM, qui fait l’objet de plusieurs procès mémorables. Et de rappeler que "les compagnies d’assurances, qui s’y connaissent en matière de risques, ont toutes refusé de couvrir les fabricants d’OGM à cause des risques de contamination aléatoires et non quantifiables". Ces monstres transgéniques sont soupçonnés d’attenter à la santé des consommateurs, et le paysan qui utilise des OGM n’a pas le droit de ressemer des graines de sa récolte.
La première désobéissance civique que nous connaissons est l’œuvre d’une femme, Antigone. Puis nous connaîtrons, sous la plume d’Aristophane, la légende de Lysistrata, cette Athénienne qui appellent les femmes de toutes les cités grecques à faire la grève du sexe tant que les hommes feront la guerre. Ensuite, par un bond de plusieurs siècles, les deux auteurs se penchent sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, "plus radicale et plus sociale" que celle de 1789. "Résistance à l’oppression et droit à l’insurrection (sont) mis au rang des droits naturels, inaliénables, sacrés et imprescriptibles de l’homme". Le premier théoricien de la désobéissance civique est indéniablement Henri D. Thoreau, ce philosophe et poète américain qui va rédiger un texte, Résistance au gouvernement civil, en 1849. Son œuvre sera reprise par Mohandas K. Gandhi, avocat indien, dans la lutte contre le colonialisme anglais. Pour lui, "la fin est dans les moyens". La non-violence n’est pas un pacifisme bêlant. "Elle s’attaque aux méfaits et injustices causés par l’homme, mais pas à l’intégrité des personnes qui en sont responsables". "Néanmoins, lorsqu’on a le choix uniquement entre la lâcheté et la violence, je crois que je conseillerais la violence... Mais je suis persuadé que la non-violence est infiniment supérieure à la violence", précise Gandhi. Un exemple de non-coopération fut la décision d’Indiens de filer et tisser leurs vêtements plutôt que de les acheter aux marchands anglais. Tolstoï, qui a soutenu un mouvement d’objecteurs de conscience, s’est aussi inspiré de Thoreau.
Moins connu est le mouvement de résistance à l’hitlérisme, à l’intérieur de l’Allemagne. Mais la plus importante des désobéissances civiques aux nazis fut celle des Danois. A l’inverse, "la participation directe de l’Etat français à la déportation fut bien la cause première de l’extermination de quatre-vingt-trois mille Juifs français ou réfugiés en France".
Puis Gilles Luneau et José Bové s’attardent sur la personne de Martin Luther King. Ce pasteur américain a lui aussi étudié Thoreau - mais aussi Gandhi. Le boycottage des autobus, où se pratique la ségrégation raciste, sera une victoire, tout comme la loi sur le droit de vote des Noirs. Tout comme Gandhi, Luther King sera assassiné. Mais leur œuvre demeure.
La désobéissance civique, rappellent les auteurs, peut s’étendre aux droits sociaux. Ceux des Chicanos de Californie, salariés des vignes, défendus par Cesar Chavez : assurances sociales, droit au logement, augmentation des salaires. Chavez va utiliser l’arme du boycottage du raisin californien. Au final, trois propriétaires signent un accord augmentant le salaire horaire ; ils acceptent de cotiser à l’assurance maladie et à une caisse de développement économique. Mesure écologique : les pesticides les plus dangereux sont retirés des vignobles.
En France, la désobéissance civique débute avec le refus dans plusieurs villes de procéder à une Saint-Barthélemy des protestants. Quelques exemples sont ensuite soulignés dans ce livre. C’est tout d’abord le mouvement d’insoumission durant la guerre d’Algérie, les réseaux d’aide au peuple algérien, la déclaration des 121. C’est ensuite l’appel des "343 salopes" pour le droit à disposer de son corps et pour l’avortement libre. C’est encore le serment des cent trois paysans du Larzac : création d’une bergerie illégale, ouverture d’une école, moisson d’un champ exproprié, occupation de fermes, entrée dans le camp militaire par 50 000 manifestants précédés par quinze soldats en uniforme juchés sur des tracteurs. C’est ensuite les actions de Droit au logement, le manifeste des cinéastes pour les sans-papiers. Dans le monde, les actions de désobéissance civique abondent : ce sera la lutte des zapatistes du Chiapas, les réseaux de troc en Argentine, les écoles parallèles au Kosovo, la grève des loyers en Irlande du Nord, le soulèvement des habitants de Cochabamba en Bolivie contre la privatisation de l’eau.
Les auteurs s’interrogent ensuite sur le contenu de la désobéissance civique. C’est en état de nécessité, selon les termes de maître François Roux, avocat du Larzac, que les paysans agissent pour alerter l’opinion publique. Le droit, lui, n’est pas immuable. Il "est le résultat du contrat social à un moment donné de l’histoire des hommes. Il n’est pas figé dans une forme éternelle. Il est en perpétuelle construction-déconstruction". Or, le droit, la forme la plus haute de la politique, est mis de côté par l’évolution de l’Europe. "Même si, dans l’esprit des signataires du traité de Rome, en 1957, il y avait une pensée stratégique d’union politique, le processus historique a imposé le primat de l’économie sur le politique, conduisant à l’alcalminage progressif des canaux de la démocratie représentative", affirment les auteurs.
Un chapitre de ce livre facile à lire est consacré à la "société civile". "Depuis le ralliement des partis sociaux-démocrates à la loi du marché capitaliste", soulignent les auteurs, "la société civile a envahi le champ que n’occupe plus la gauche de l’échiquier politique démocratique, car cette dernière est dans la même pensée dominante que son adversaire politique". C’est à Seattle, en 1999, qu’elle a émergé à l’échelle mondiale. Cette notion écarte les lobbies économiques et les mouvements d’exclusion sociale.
Pour ceux qui verraient bien José Bové concourir pour la présidentielle, nous leur recommandons le sous-chapitre sur "l’inutile conquête du pouvoir central". Le côté spectaculaire des actions de José Bové mérite d’être retenu. Il est en effet le fruit d’une réflexion approfondie. Chaque acte de désobéissance civique est fait pour respecter les droits de l’homme, "donner de plus en plus de droits à l’individu" On agit ainsi selon le "vieux principe d’égalité". José Bové et Gilles Luneau sont de vrais républicains, au sens premier du mot.

Jean-Louis Peyroux