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Le Revenu Social Garanti au cœur du développement soutenable
mardi 10 mai 2005
Ce texte, trop méconnu, est la synthèse de la position des Verts sur les questions de revenu. Fruit d’un travail commun des commissions économie et social des Verts, il pose et affirme comme revendication politique, la garantie de revenu. Ce travail commun a tenu compte des défenseurs de la position d’allocation universelle et de celles des "travaillistes".
Principes
Aujourd’hui le productivisme à tout prix attaque directement les conditions de vie de tous. Il prétend apporter la croissance, l’emploi et la réduction des inégalités alors qu’il maintient dans la pauvreté plus de la moitié de la planète en imposant le marché comme seule norme et mesure de l’utilité. Dans l’Union européenne, on compte plus de 15 millions de chômeurs auxquels il faut rajouter 65 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Le "marché du travail" est réduit au temps de travail "salarié", et à ses masses de chômeurs, tout en décourageant ceux qui veulent gérer autrement leur vie et la société.
Les Verts ne veulent pas d’un développement, ni d’emplois à n’importe quel prix. Il faut dépasser le productivisme, la concurrence de tous contre tous, et rendre aux citoyens toute leur autonomie dans leur activité. Le travail et l’économie doivent être au service des vivants et non l’inverse. Nous sommes contre une vision libérale étroite et destructrice de l’économie parce qu’elle renforce tous les processus de domination et détruit la richesse des milieux humains et de notre environnement.
25 ans d’hégémonie néo-libérale ont sérieusement entamé les garanties que les salariés avaient obtenues dans le droit du travail. Le salaire minimum est contourné par le temps partiel. Le Contrat à Durée Indéterminée n’est plus la norme des nouvelles embauches. Une part croissante des actifs ne se trouve plus effectivement protégés. Les salariés dont les revenus sont plus individualisés subissent des pressions de plus en plus fortes et leur avenir est de plus en plus précaire. Il faut limiter les contraintes de la flexibilité et de la productivité, d’abord en réduisant le temps de travail mais à condition de réduire effectivement le temps de travail global (formation, transport, coopération, communication, etc.) et non pas seulement le temps de travail comptabilisé par les employeurs dans le salaire.
Les écologistes, en effet, refusent de réduire la vie sociale au salariat, et soulignent depuis toujours l’importance de l’activité sociale non-salariale (travail domestique, vie associative, entraide, SEL, etc.). Il ne faut pas non plus que la défense des salariés pourvus d’un emploi stable (CDI) puisse servir à négliger l’amélioration du sort des millions de chômeurs et de tous ceux qui sont voués depuis 20 ans à être exclus de plus en plus du salariat normal et des garanties que ce dernier offre encore, mais de façon de moins en moins assurée (et de plus en plus subventionnée). Il est d’autant plus regrettable que trop souvent les organisations syndicales et les partis de gauche traditionnels aient borné leur stratégie à une sauvegarde du salariat protégé et se soient avérés impuissants face à la montée du chômage et de la pauvreté. En réaction à cette carence, l’émergence des associations de chômeurs et précaires montrent qu’une alternative est possible et nécessaire.
Les Verts défendent la reconstruction, en particulier au niveau européen, d’un système juste de protection sociale et des droits du travail autour d’un axe fondamental : le Revenu Social Garanti. Ce RSG poursuit quatre objectifs :
a) Protéger l’ensemble des citoyens ou simples résidents et pas seulement les secteurs du salariat à temps plein. Un revenu est un droit, tout comme la protection sociale qui y est attachée, droit garanti par une société solidaire et non au hasard d’une embauche accordée par un employeur particulier.
b) Reconnaître dans toute son extension véritable le travail non rémunéré fourni dans la société et sans lequel il n’y aurait même pas de secteur productif public ou concurrentiel. Reconnaître notamment la contribution des femmes, qu’elles aient accès ou non au salariat à temps partiel ou à temps plein.
c) Assurer à chacune et à chacun le libre choix de son mode de vie, donnant un poids variable au travail comme à d’autres formes de réalisation individuelle. Il faut rendre effectifs les droits formels définis dans le préambule de la constitution et la charte européenne des droits de l’homme, en garantissant à chacun une autonomie financière. C’est l’objectif d’une société d’individus libres, de véritables citoyens. Sans cette liberté de choix, les sociétés s’appauvrissent même si certains s’enrichissent de plus en plus.
d) Réorienter l’économie sur des bases durables plus humaines, et donc le caractère prioritaire dans la société que nous voulons des activités écologiques et sociales qui peuvent combattre l’état de délabrement avancé dans lequel se trouvent les liens de solidarité et de coopération entre tous.
Ce véritable partage de la richesse trouve une nouvelle justification dans les formes de production immatérielle (services, logiciels, culture). Celle-ci valorise tout le savoir social accumulé dont nous héritons, et qui appartient à tous, mais elle mobilise aussi ce que chaque individu apporte dans sa singularité. En effet, l’autonomie est indispensable à la plupart des activités aujourd’hui essentielles. Le travail n’y est plus uniquement conçu comme dépense d’énergie ou force de travail, ni la production comme seule transformation de biens physiques.
Les secteurs les plus porteurs d’un développement humain, à savoir l’éducation, la recherche, la santé, l’environnement, l’innovation et la gestion dans les milieux complexes, la circulation et le traitement de l’information, tout le domaine culturel enfin, exigent davantage de décentralisation, de partage du pouvoir et de démocratie. Il s’agit donc de s’adapter au nouveau mode de production aussi bien qu’aux limites planétaires pour abandonner le productivisme capitaliste. Ainsi, avec le passage des droits universels abstraits au droit à l’existence, comme dans le passage de l’esclavage au salariat, l’exigence éthique rencontre l’efficacité économique à long terme.
Ces principes constituent la forme de réponse la plus appropriée au sexisme, à l’exclusion des jeunes ou des personnes issues de l’immigration. Toutes les formes de discrimination à l’emploi, au logement, à l’éducation, à l’accès à la culture et à l’éducation sont attisées dramatiquement par le libéralisme. Il ne s’agit pas, en effet, de proclamer des principes "républicains" associés par ailleurs à une pratique répressive et à une absence criante de moyens de lutte contre l’exclusion. Avancer dans la parité réelle, ne se décrète pas seulement par une modification constitutionnelle. C’est en affirmant la réalité de ces droits par un geste fort, à savoir l’accès au Revenu Social Garanti, que les sociétés riches de l’Union européenne inverseront le cercle vicieux du chômage, de la dégradation continue de la protection sociale et de l’exclusion politique de segments entiers de la population.
La question du niveau de ce Revenu Social Garanti n’est pas une question secondaire. Il faut éviter, en effet, qu’une allocation universelle poursuive sous un autre nom la politique libérale de subvention aux entreprises, leur permettant de plafonner leurs salariés au SMIC. Il faut éviter aussi que ce RSG ne devienne une indemnité dédommageant les femmes de leur confinement à la maison. Un niveau suffisamment élevé est la meilleure réponse à ceux qui craignent que le RSG devienne le solde pour tout compte d’un démantèlement sauvage des protections existantes.
L’ensemble du salariat devrait tirer bénéfice de ce Revenu Social Garanti qui supprime la pression des salaires à la baisse, puisque les salariés ne seront plus obligés d’accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel prix. La garantie de revenu, loin de miner le salariat doté de solides garanties, de statut et d’emploi, aura pour effet comme le reconnaissent les économistes au service du patronat, de diminuer l’obligation de travailler pour le SMIC (ou pour des moitiés de SMIC dans le cas des temps partiels) aux tâches les plus pénibles, les plus répétitives et les plus dangereuses. Nombre de ces emplois ne sont pas délocalisables, une partie devra donc être automatisée et les autres devront être mieux rémunérées et respectées.
La portée du Revenu Social Garanti va au delà d’une simple consolidation des droits des travailleurs salariés, elle sera une puissante incitation pour développer des activités écologiques, sociales et artistiques du Tiers-secteur. En permettant le cumul de ce RSG avec une rémunération dans ce secteur, il constitue ainsi une alternative au salariat, pour une activité plus libre tout en bénéficiant des mêmes protections sociales. Cette réorientation de l’économie à moyen terme n’est pas contradictoire pour les Verts, mais complémentaire avec notre exigence à court terme de partage du travail salarié et de libération du temps de travail contraint au profit d’activités autonomes.
Ce RSG n’est plus une utopie, il existe déjà sous différentes formes en Europe et, en France. Il est en germe dans les revendications des mouvements de chômeurs et précaires d’un "second chèque", forme atténuée d’une notion d’Allocation Universelle ou de Revenu d’existence.
Ainsi, après le mouvement de l’hiver 1997-98, a-t-il été accepté que le RMI puisse être cumulé avec un salaire dans la limite d’un plafond et surtout d’une seule année, ce qui est encore très insuffisant. Le MNCP s’est prononcé en particulier pour que les bas-salaires puissent être cumulés avec le maintien partiel du RMI de façon à éviter que la prise d’un travail (souvent précaire et smicard) ne se traduise pour l’ancien rmiste par une chute de son revenu déjà très maigre.
Ce RSG est une étape vers un revenu de citoyenneté. D’ores et déjà, la question de son financement rend manifeste l’urgence d’une réforme fiscale. Cependant, l’importance des ressources nécessaires à ce dispositif est souvent surévaluée car il ne faut pas négliger le fait que déjà 30% des ressources des ménages sont issues d’une redistribution de la richesse par des transferts sociaux.
Revendications et propositions
Les Verts revendiquent dans un premier temps l’augmentation des minima sociaux jusqu’à un niveau de 75% du SMIC (soit 4000 F actuellement) et leur extension aux moins de 25 ans. Les minima sociaux devront être unifiés le plus rapidement possible sur la base plus juste d’un Revenu Social Garanti, droit personnel attaché à l’individu, dès l’âge de 18 ans et attribué à tout citoyen sur simple déclaration (sans dépendre comme aujourd’hui de la situation familiale et d’une administration arbitraire).
Ce Revenu Social Garanti doit assurer à tous une protection sociale et un revenu suffisants. Il est attribué individuellement à tous les citoyens qui n’ont aucun revenu, ainsi qu’à tous les salariés à temps partiel au prorata du temps non travaillé. Il reste de plus acquis dans son intégralité pour les activités indépendantes du tiers secteur tel que les SEL, les activités artistiques, une partie importante du secteur agricole, etc., activités individuelles pour lesquels le RSG constitue une subvention.
Ce revenu ne sera pas versé à tous mais seulement à ceux qui en feront la demande, sous leur propre responsabilité, sachant que l’impôt sur le revenu imposera progressivement le remboursement avec intérêts du RSG pour les ressources au-delà du plafond de la Sécurité sociale.
La procédure d’obtention du RSG serait très simple, comme pour les ASSEDIC aujourd’hui : une simple déclaration des heures salariées, voire la déclaration directement par les employeurs. Il n’est pas nécessaire de justifier d’une insuffisance de ressources pour obtenir son versement car un contrôle après-coup par l’impôt semble préférable à une condition de ressource préalable humiliante et source d’arbitraire.
1. Les soi-disant "non-travailleurs", parmi lesquels on trouve les bénévoles, mères de famille, étudiants, jeunes sans emplois, tous ceux qui sont abusivement considérés comme non-productifs doivent être les premiers bénéficiaires du droit au revenu (garanti par la constitution) lorsqu’ils sont sans ressources. Le RSG doit être lié à la personne et non à sa situation qui peut évoluer à tout moment vers un travail salarié ou bien une activité du Tiers-secteur. La revendication d’un revenu garanti ne doit pas être une mesure destinée à écarter quiconque du travail (garder les femmes à la maison par exemple) mais, au contraire, permettre à tous d’y avoir accès librement.
Le Revenu Social Garanti n’est pas simplement une façon d’assurer la solidarité avec les parties les plus malmenées de la population, ni seulement un moyen de favoriser l’emploi dans des activités qui méritent d’être développées. En participant au financement d’activités non rémunérées, il est aussi un moyen de libérer l’initiative collective, l’invention de nouveaux rapports sociaux y compris au sein de la société de marché. Il ne suffit pas pour cela de donner juste de quoi "survivre à peine", exclus de la vie sociale. Il faut au contraire obtenir un revenu assez élevé pour pouvoir valoriser soi-même sa propre activité.
Le niveau du RSG doit être très sensiblement au-dessus des minima sociaux actuels qui entretiennent la misère et il ne doit pas être inférieur à 75% du SMIC.
Ainsi, le RSG ne saurait être un impôt négatif de gauche, une allocation universelle pour les très pauvres, une loi balai pour ramasser les plus exclus des dispositifs actuels. Il doit permettre à chacun, y compris les moins de 25 ans, de valoriser les formes d’activités les plus à mêmes de réorienter l’économie vers des logiques économes en énergie et en travail marchand. C’est pourquoi le RSG reste acquis en totalité pour les activités autonomes du Tiers-secteur mais il continue aussi à être versé partiellement, en complément d’un temps partiel.
2. Les salariés à temps partiel, devront bénéficier d’un complément de revenu au prorata du temps non-travaillé. En effet, perdre le RSG quand on travaille à temps partiel peut avoir, comme avec le RMI actuel, un effet dissuasif sur le retour à l’emploi. C’est pourquoi nous préconisons que la diminution du RSG versé se fasse proportionnellement aux heures travaillées.
La technique du second chèque attribué directement à la personne et non à l’entreprise est la seule permettant d’amener un complément de revenu, que le temps partiel soit contraint ou choisi. Il doit être attribué, en fonction du RSG, au prorata de la différence avec l’horaire légal (au moins un demi-RSG pour un mi-temps, un tiers pour un-e salarié-e travaillant 2/3 de l’horaire légal, etc.). De la sorte, les plein-temps qui le souhaitent ne sont pas trop pénalisés à choisir un temps partiel, et les temps partiels contraints échappent à la misère.
C’est un encouragement au temps partiel choisi car il doit aider le salarié et non pas l’employeur. Il faut, au contraire, résolument combattre le temps partiel contraint en supprimant les aides au temps partiel versées aux entreprises qui seront mieux utilisées à financer un complément de revenu. Ce revenu complémentaire au temps partiel ne doit pas non plus se substituer à l’indemnisation du travail intermittent (intérim, travaux saisonniers), ni même des intermittences de revenus (non-financiers), pour lesquels il vaut mieux généraliser la couverture des intermittents du spectacle. Le dispositif d’indemnisation du temps partiel doit surtout permettre de reprendre un travail sans perdre ses droits sur la partie non-travaillée.
3. Les activités autonomes du tiers-secteur écologique, social, culturel et artistique sont encore insuffisamment développées, en raison de la modicité des rémunérations gagnées généralement, alors qu’elles sont au cœur du travail immatériel et d’un développement soutenable. Aussi, pour encourager un déplacement vers ce type de prestation, le RSG sera totalement cumulable avec d’autres ressources provenant de ces activités individuelles, l’ensemble du revenu ainsi constitué étant comme toujours soumis à l’impôt (qui récupère le RSG versé quand le revenu extérieur dépasse le plafond de la sécurité sociale). C’est donc bien encore une mesure d’encouragement au travail mais, cette fois-ci, privilégiant des activités autonomes écologiquement soutenables.
Ce n’est plus un revenu minimum qui est ainsi mis en œuvre, mais une subvention à des activités individuelles socialement souhaitables. Nous voulons ainsi instituer immédiatement dans le Tiers-secteur les prémices du Revenu d’Existence, dans un secteur limité et prioritaire mais avec un niveau suffisant, tout en garantissant par ailleurs un revenu minimum pour tous.
Note
Le Tiers-secteur, qui concourt à la prise en charge de secteurs qui ne sont pris en charge ni par le public, ni par le privé, se définit par son financement mixte par l’État et le privé mais il doit exclure les entreprises à but lucratif et favoriser les activités autonomes.
C’est une question de stratégie d’y inclure la plupart des professions libérales ou d’en privilégier les plus urgentes. Pour les professions libérales actuelles, comme pour les chefs d’entreprise, il faut surtout étendre la protection de l’assurance chômage. Mais il n’est pas sans intérêt d’encourager certaines professions libérales par un complément de revenu.
On peut, de même étendre le RSG aux retraités, mais la retraite relève d’une autre logique. Ce dispositif minimum ne suffit pas non plus à couvrir les nouveaux salariés qui échappent à la notion de temps de travail comme les professions commerciales ou intellectuelles (journaliste, professeur, informaticien) qui devraient bénéficier d’un régime spécifique, échappant au tiers-secteur tout en étant des productions intellectuelles.