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C’est pollué près de chez vous. Les Scandales écologiques en France

mercredi 21 mai 2008, par Bruno Villalba

C’EST POLLUÉ PRÈS DE CHEZ VOUS. LES SCANDALES ÉCOLOGIQUES EN FRANCE, Pascal Canfin, Wilfrid Séjeau

Soucieux de vérifier la continuité entre les discours
toujours plus enflammés des décideurs
(politiques ou entreprises) à l’égard de l’environnement
(et sa déclinaison du développement
durable) et la réalité, Pascal Canfin (journaliste,
membre de la commission économie des Verts) et
Wilfrid Séjeau (journaliste et conseiller régional
Verts de Bourgogne) nous emmènent dans un tour
de France assez déprimant… aucun petit coin du
territoire national (sans oublier nos îles lointaines)
n’échappe à la confusion des sentiments : d’un
côté, un registre politique et économique valorisant
les valeurs de la défense de l’environnement, du
bien-être et de la bonne qualité écologique, et de
l’autre, des territoires massacrés, au nom de valeurs
déclinées depuis plus de 100 ans (compétition,
croissance, productivité, etc.). Le plus désespérant
consiste bien dans la juxtaposition de ces situations
 : le temps du déni n’est plus ; aucun élu ou
chef d’entreprise qui se respecte n’invoque plus
l’incohérence, l’ignorance des écolos passéistes !
Reprenons la trame du livre. En 11 chapitres, les
principales atteintes à l’environnement sont déclinées
 ; mais l’approche confronte une histoire et
une pratique sur un territoire particulier (l’eau
autour du Rhône, le nucléaire à Flammanville, les
transports aériens à Nantes…). Par conséquent,
inutile de chercher une hiérarchie dans ces chapitres
 : c’est l’emboîtement des sujets soulevés
qui est plus intéressante. La question environnementale
donne ainsi prétexte à une présentation
des situations locales qui lui confèrent toute son
originalité — discours locaux, structures locales,
personnalités locales, etc. — sans toutefois sombrer
dans un particularisme géographique — ces
enjeux sont inextricablement reliés aux questions
internationales : les transports, la qualité de l’air, le
climat… On peut donc suivre, avec les auteurs, les
raisons d’une immobilité environnementale dans
les projets locaux, dissociées d’une rapide intégration
de l’enjeu environnemental dans les discours
politiques.
Le livre ne peut se résumer en une succession de
cas spécifiques, sans liens entre eux ; au contraire,
en accentuant les mécanismes de prise de décisions
locaux, on perçoit l’impérieuse nécessité
d’une réflexion globale. Ainsi, si l’on suit le travail
des différentes structures étatiques chargées de
prendre en charge ou d’accompagner les projets
d’aménagement (DRIRE, DIREN, DDE, agences,
etc.), on constate à quel point leurs capacités d’action
et de contrôle sont soumises aux impératifs politiques locaux, et que l’Etat peine à orchestrer
leurs interventions (alors que, comme le rappelle
souvent les auteurs, pour protéger l’environnement,
il suffirait d’appliquer la loi !). Mais on
constate aussi que le territoire national est quadrillé
d’associations environnementalistes, qui,
si elles ne semblent pas avoir de liens institutionnels
forts entre elles, partagent quand même
une relative vision commune de ce que doit être
un environnement sain.

Par ailleurs, ces différents chapitres soulèvent
une série de questions communes.
1) Qu’en est-il réellement des protocoles de décision
 ? où l’on s’aperçoit — pour qui en doutait
encore — de l’utilité des élus Verts, à la fois éléments
de perturbation des procédures traditionnelles
(entendre ici le pouvoir reconnu du leader local,
indéboulonnable et omnipotent), mais aussi porteparoles
et relais des revendications associatives
(même si celles-ci ne retiennent pas leurs critiques
à leur égard…).
2) Le contrôle des mécanismes de décision est-il
opérationnel ? Non, il reste encore aléatoire : faute
de moyens (pour les organismes publics), de transparence
(opacité des espaces de décision chez les
élus et les entreprises), de compétences (milieux
associatifs ou simples citoyens), et de temps (temps
parfois très long —comme certains aménagements,
aéroport ou centrales — ou très courts — utilisation
de certains produits chimiques).
3) Comment construire une contre-expertise ?
Les élus opposés à cette logique du tout développement
ne sont pas suffisamment nombreux et
parfois compétents ; mais surtout, les espaces de
débats sont trop peu nombreux et souvent instrumentalisés
quant ils existent. Les mobilisations
sont alors trop souvent réactives et trop peu proactives.
Ce n’est pas l’absence de débat qui est la
situation la plus souvent rencontrée dans ces territoires,
mais une absence de réflexions sur les
conséquences des choix techniques privilégiés.
Soulignons enfin la qualité des photos qui accompagnent
le texte : loin de constituer une simple
illustration, elles offrent le sentiment que la représentation
du développement si chère à nos élites
reste encore proche de l’imagerie développementaliste
des années 50, avec ses usines crachant leur
fumée, signe d’une riche prospérité ! La satisfaction
de témoigner de la tartufferie de nos élites
locales n’est pas l’objectif de ces auteurs, mais
bien de montrer le décalage fondamental qui existe
entre les cultures politiques des décideurs actuels
et la réalité de la situation écologique, qui loin de
s’améliorer, s’effondre encore un peu plus…

Bruno Villalba