Accueil > Les dossiers > De l’automne 2002 à l’été 2003, du n° 10 au 13 > N° 11 (hiver 2002-2003) / L’écologie dans la mondialisation > mini-dossier : Europe brune > Permanence et innovation de l’extrême droite en Europe. (…)
Permanence et innovation de l’extrême droite en Europe. Contributions à une lutte offensive
janvier 2003, par ,
Ainsi donc, c’en est définitivement fini de notre douce indolence vis-à-vis
de l’extrême droite. Dans un précédent numéro (Ecorev n°9), nous avions
tiré, à chaud, quelques enseignements du scrutin du 21 avril. Focalisant
sur le cas français, nous avions presque oublié qu’il s’agissait d’un
mouvement de fond, à l’échelle européenne. Au début de l’année 1999, alors
que le Front national explosait en deux, l’Autriche paraissait le pays le
plus accueillant au populisme nationaliste qui gagne les pays d’Europe.
Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : le FPÖ de Jorg Haïder est en
baisse (après trois ans de participation gouvernementale) et la
qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection
présidentielle a marqué le grand retour du Front national sur le devant de
la scène. L’extrême droite devient, insensiblement, plus présente dans les
instances du pouvoir. Non seulement est présente dans nombre de
gouvernements européens, sans parler de sa présence accrue dans les
collectivités locales, mais elle n’en finie plus d’influencer les
politiques nationales. Depuis le précédent autrichien, dont la contestation
s’est bien vite affadie, c’est l’Italie de Berlusconi qui fait de
l’Alliance Nationale et de la Ligue du Nord ses partenaires privilégiés au
sein du gouvernement, alors que le Portugal se tourne lui aussi vers la
droite dure. Fluctuat, nec mergitur. L’extrême droite européenne ne sombre
pas et se porte, hélas, plutôt bien.
Notre dossier partira d’une analyse générale de ces différentes forces en
Europe, de leurs similitudes et aussi des différences qui empêchent d’y
voir un phénomène identique d’un bout à l’autre de l’Europe, pour ensuite
porter le regard sur les cas français (Front national) et belge (Vlaams
Blok). Jean-Yves Camus, fin connaisseur de la situation de l’extrême droite
européenne, dresse en introduction un tableau de ces « droites radicales »,
dans lesquelles il voit surtout la marque d’une « rupture » avec un
système. Il plaide pour une compréhension fine de ces forces, qui n’ont que
peu à voir avec les « fascismes » des années Trente et obligent à
renouveler la compréhension et les moyens de les contrer. Pour le Front
national de Jean-Marie Le Pen, le choc de son récent succès électoral
montre notamment qu’on avait oublié qu’un phénomène social ne disparaît
pas, tant que ses thèmes subsistent dans le débat politique. Erwan Lecoeur,
qui a soutenu une thèse de sociologie sur le sujet en mai 2002, revient sur
la permanence de l’influence sociale du FN ; qui reste le seul à proposer
une vision en forme de « sortie de crise » à son auditoire. Pierre
Tartakovski, membre fondateur d’Attac, se propose quant à lui de décrypter
le discours « antimondialiste » du parti d’extrême droite. En allant
chercher derrière les termes utilisés, il s’agit de montrer ce qui le
différencie radicalement de l’approche faite par les mouvements pour une
« altermondialisation », dont il est un acteur. Dans le cas de la Belgique,
le succès du Vlaams Blok dans la partie nord du pays semble s’alimenter à
la fois d’une récurrence de thèmes séparatistes (contre l’Etat belge) et à
la reprise d’éléments idéologiques très connotés. Marc Swyngedouw et
Maarten Van Craen sont respectivement professeur et collaborateur
scientifique à l’université catholique de Leuven. Ils ont étudié
l’évolution de l’idéologie du parti nationaliste flamand et montrent que
derrière une remise à niveau des termes, plus acceptables et moins
attaquables juridiquement, ce sont toujours les mêmes ressorts qui sont à
l’ ?uvre : refus de l’étranger et repli sur une communauté d’appartenance
fantasmatique. Une formule que l’on retrouve d’ailleurs un peu partout en
Europe. Besoin d’un identité « ethnique » et rejet de l’autre.
Face à cela, notre réponse reste souvent attentiste, réactive et un peu
dérisoire. Informer et mobiliser restent bien sûr deux priorités ; mais il
va nous falloir aussi apprendre à réinventer une autre forme de politique,
qui puisse vraiment répondre aux fondements sociaux des racines électorales
de l’extrême droite. Sans autre alternative pour l’en détourner, l’Europe
pourrait s’abandonner pour un temps incertain aux discours de haine et de
repli. Ce dossier se veut une contribution à une politique offensive contre
l’extrême droite.