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La java du code barre

juin 2003, par Catherine Bourgain

Les "free-parties" (fêtes libres... libres car non commerciales généralement, gratuites la plupart du temps et qui ont lieu sans autorisation) s’organisent dans des champs, à la campagne ou dans les manifestations, les contre-sommets. Les teufers (les gens qui s’y rendent) se trémoussent sur de la musique souvent électronique qui fait vibrer le plancher des vaches et en profitent pour essaimer quelques revendications politiques par-ci, par-là. Mais trop peu au goût de certains... Voici le récit d’une "free-party" dans un supermarché : comment faire la fête en se jouant de la consommation !

La préparation de l’action

Le bouche à oreille électronique est la clé de voûte de cette préparation. Un mois avant la date choisie, un mail circule annonçant la tenue d’une "free party" au supermarché, un vendredi. Il contient peu de précisions - un appel à performances artistiques en tout genre pour ceux qui le veulent, un appel à participer pour les autres, une photo de supermarché à enseigne "SuperMaso". Une semaine avant l’action, un nouveau message donne le numéro d’une boîte vocale. La veille du jour J, cette boîte donne l’heure et le nom d’un café.
En fait il n’y a pas un mais des rendez-vous qui s’étalent le long de la rue du Faubourg du Temple, à Paris. Dans chaque café, un organisateur explique la règle d’or : surtout ne rien voler, casser ou détériorer (nous devons être irréprochables pour être efficace). En flux continu les petits groupes entrent dans le magasin comme d’habitude : à 20h, le magasin grouille de consom’acteurs.

L’action

Un coup de sifflet retentit à 20h précises, suivi de hourras. Une centaine de mains s’élèvent brandissant qui une banane, qui une pelle en plastique rose. Certains ont passé 10 minutes à choisir leur objet, d’autres ont pris le plus proche. Le supermarché s’éveille. Les mouvements de foule s’accélèrent à l’affût des performances.
D’abord celles qui ont été préparées. Un type s’est tatoué un code barre comme une prison sur le torse et s’agite, une fille fait les rayons comme on fait le trottoir, vêtue d’une petite robe en papier couverte de logos de marques, d’autres encore plus légèrement vêtues se font balader dans des caddies, portant sur la poitrine un carton annonçant "vu à la télé". Il y a un numéro de danse au rayon viande, un clown aux légumes, une diseuse de bonne aventure aux vins, un peu de musique...
Et puis il y a toutes les performances spontanées. Les caddies remplis uniquement de "nutella", les étiquettes de fruits collées sur les visages, l’autel au nain de jardin chargé d’offrandes en tout genre, les sculptures éphémères au rayon lessive....et tous les promeneurs au caddy vide qui se réjouissent de le garder, vide.

Il y a aussi le vigile paniqué qui finit par se calmer, le poissonnier qui trouve ça cool, la fromagère qui discute "même si ça va nous faire un peu plus de travail demain", des clients surpris (mais sont-ils des clients, difficile à dire), d’autres plus âgés un peu affolés (une "free party" de fait multi-générationnelle).
Au bout d’une demi-heure les lumières faiblissent. Le magasin ferme pour mettre un terme à la fête. Une rumeur circule : "ils ne font sortir que ceux qui achètent quelque chose". En fait personne ne sort. La police est arrivée et bloque la sortie. Une centaine de personne est enfermée à l’intérieur devant les baies vitrées, scandant un "libérez-nous du supermarché", quelques poings se lèvent (j’hallucine). Et puis la police se reprend, comprend qu’il ne s’agit pas de terroristes (hypothèse envisagée, sic !) et libère les teufeurs.

L’après

C’est fini. C’est le moment de commenter l’expérience, de parler du plaisir de détourner l’espace commercial, de le saturer (la volonté de saturer l’espace commercial par des non-clients en réponse à la saturation de notre espace de vie par la publicité et le commerce), de regarder les produits non plus comme des biens de consommation mais comme des objets à détourner, à inventer, d’organiser une fête en dehors des circuits commerciaux (une "free party" littéralement) dans un temple de la consommation...
Entendu à la sortie : "Ouais, c’était super mais faudrait pas le faire trop souvent, une fois ou deux, sinon ça pourrait devenir révolutionnaire".


Cf. l’interview des organisateurs, ici