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Pansements monétaires en Europe
vendredi 1er décembre 2006
Les monnaies complémentaires, autrement appelées monnaies sociales, servent de pansement au système monétaire officiel, elles cherchent à répondre à des dérèglements majeurs de la monnaie dominante. Au delà de leur utilité pratique, elles ont une valeur symbolique et contribuent à nourrir le débat sur l’importance du contrôle citoyen de la monnaie, un débat vital, à l’heure où dans nos sociétés, l’argent est devenu une véritable drogue. Exemples en Europe analysés par Vincent Gaillard, co-auteur du documentaire La Double face de la monnaie.
En Bavière, un nouveau billet aux couleurs pastels a fait son apparition. Il s’agit du chiemgauer, une monnaie complémentaire émise par l’école Waldorf de la petite ville de Prien. C’est un professeur d’économie qui a lancé cette alternative avec l’aide de quelques élèves. En se penchant sur le système économique, Christian Gellery a constaté qu’il existe au niveau mondial une forte concurrence économique nocive à l’égard de certaines régions. Même si la Bavière est une région assez riche, explique-t-il, la circulation de la monnaie n’y est pas optimale. Si l’argent stagne dans quelques poches, l’économie locale ne peut être dynamique.
En s’inspirant d’anciennes monnaies locales basées sur les travaux de l’économiste Sylvio Gesell, Christian Gellery créé le chiemgauer, bon d’achat valable dans la région du lac Chiemsee. On peut l’utiliser pour aller au cinéma, chez le coiffeur ou pour se procurer des produits régionaux et bio. Le chiemgauer permet donc d’acheter toute sorte de biens et services sans manipuler d’argent officiel, et ceci légalement : il suffit d’adhérer à l’association. Pour obtenir un chiemgauer, il faut soit être payé avec, soit échanger un euro contre un chiemgauer dans les lieux de change. Sur ce principe du bon d’achat, cela peut ressembler à un ticket restaurant ou à un chèque cadeau comme on en connaît en France. Mais l’idée du chiemgauer, c’est de lier l’euro à la région en favorisant sa circulation, et ainsi redynamiser l’activité économique locale. C’est le mécanisme même du chiemgauer qui incite à cette circulation. Chaque trimestre, un billet perd 5 % de sa valeur et n’est plus valide tant que la taxe (correspondant à ce pourcentage) n’a pas été payée. Pour cela, il suffit d’acheter un petit timbre et de le coller sur le billet. Le chiemgauer retrouve sa validité et repart en circulation. Ces petites sommes ne gênent guère les utilisateurs. Elles permettent de financer le fonctionnement du système, mais aussi de financer des activités sociales et culturelles. Ce principe de "monnaie fondante", c’est à dire qui perd de sa valeur au fil du temps, est bien accueilli par les commerçants et producteurs locaux : "Cela incite à dépenser l’argent et à ne pas l’accumuler sous un matelas". Et surtout, cela renforce les échanges entre les entreprises régionales et leur permet de mieux faire face à la concurrence des multinationales et de la grande distribution. En 2004, il y avait ainsi 25000 chiemgauers, circulant 30 % plus vite que l’euro. Cette monnaie n’entre pas pour autant en concurrence avec l’euro, c’est un complément.
Bernard Lietaer, spécialiste des monnaies complémentaires, admet que le chiemgauer favorise la circulation monétaire. L’autre côté positif c’est qu’il est facilement acceptable dans les commerces puisque c’est une monnaie reposant sur l’euro. Mais pour les citoyens qui à la base sont en manque d’euros, il faut utiliser un autre système.
"Dans une communauté, si vous avez des travaux à faire mais que vous n’avez pas d’argent... eh bien fabriquez en ! Créez l’argent pour que les activités puissent se faire." Ces paroles de Michael Linton, fondateur des LETS (Local Exchange Trading System), explique le rôle que peut jouer une monnaie sociale, notamment dans une communauté où le chômage a pu être créé artificiellement à cause du manque d’argent. Ses idées se sont largement répandues à travers le monde, comme on peut le voir avec la création des nombreux SEL (Systèmes d’Echanges Locaux) en France, ou les réseaux de Banques du Temps en Grande Bretagne.
Prenons l’exemple de l’association Fair Share, banque du temps de la région de Gloucester, ville de l’ouest anglais. Kévin, qui a quelques difficultés à s’insérer dans le "marché du travail", fait du jardinage pour une autre personne et gagne des heures, l’heure étant l’unité d’échange. Kevin peut ensuite se servir de ces unités pour recevoir des cours d’informatique. Demandeurs et offreurs de services, sont mis en relation par un médiateur qui connaît les besoins et capacités des membres de l’association. Dans le Fair Share, il s’agit surtout de retraités ou de personnes qui peinent à se prendre en charge. En France, les mêmes échanges peuvent se faire dans un SEL, à la différence qu’offreurs et demandeurs se contactent directement par l’intermédiaire d’un catalogue des offres et des demandes. Basés sur une unité de temps, ces deux systèmes fonctionnent très bien pour les échanges de services. Cela est plus compliqué pour les biens, et pour reprendre Bernard Lietaer, c’est un problème pour rentrer dans le commerce "normal".
Mais l’avantage de ces systèmes c’est qu’ils reposent sur ce qu’on appelle le crédit mutuel, principe dans lequel la monnaie ne peut pas manquer, contrairement à l’euro qui est basé sur la rareté. La monnaie d’un crédit mutuel est créée au moment de l’échange entre deux protagonistes. Au départ, tous les comptes sont à zéro. La monnaie est une différence, un déséquilibre entre deux comptes, qui s’équilibre sur l’ensemble du système.
Tout cela fonctionne bien tant que la communauté d’échange ne devient pas trop importante, qu’il n’y a pas surémission d’unités d’échange ou que les utilisateurs respectent le principe de réciprocité. Pour ces raisons, bon nombre de SEL disparaissent en France. Mais d’autres réapparaissent toujours car ils correspondent à une forte nécessité sociale et économique.
Vincent Gaillard
Coréalisateur avec Jérôme Polidor de
La double face de la monnaie, documentaire sur l’argent et les monnaies complémentaires.
Pour toute information sur le film, rendez-vous sur le site Internet de La Mare aux canards : www.lamare.org