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L’eau, res publica ou marchandise ?

sous la direction de Riccardo Petrella. La Dispute, 2003, 224 pages, 16 euros

octobre 2003, par Jean-Louis Peyroux

L’eau est indispensable à la vie, affirme l’introduction de ce pertinent ouvrage collectif. Mais, chaque année, quinze millions de personnes meurent d’avoir bu du précieux liquide. Le prix pour la rendre potable au niveau mondial serait inférieur aux dépenses d’armement de la France. Les chiffres sont terribles : "Près d’un milliard et demi d’êtres humains n’ont pas un accès direct et suffisant en quantité et en qualité à l’eau potable, près de deux milliards et demi n’ont pas accès à l’assainissement". L’ouvrage pose donc d’emblée la nécessité d’un droit d’accès à l’eau comme droit de l’homme, comme c’est le cas en Nouvelle-Zélande ou en Suisse. Larbi Bouguerra énonce sept principes pour une "gestion citoyenne" de l’eau : elle est un droit de tout être humain ; l’éthique doit présider à toute gestion de l’eau ; la gestion des eaux partagées doit être renforcée par des coopérations régionales ; les savoirs traditionnels doivent être joints aux savoirs modernes ; "l’argent de l’eau doit impérativement retourner à l’eau" ; sa gestion doit être guidée par le développement durable ; toute gouvernance doit être économe. Ces problèmes deviennent urgents, car il y a aujourd’hui plus de personnes dépourvues d’accès à l’eau potable qu’il y a vingt ans. Et si, comme le note Bertrand Charrier, l’Inde et le Pakistan, deux pays dont les relations sont par ailleurs tendues, parviennent à gérer en commun les eaux de l’Indus, c’est le contraire qui prévaut ailleurs, comme dans le cas du Jourdain dont les pays frontaliers ne sont pas parvenus à un accord.
Le système économique de l’eau diffère d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis, 80 % de l’eau est entre les mains de régies publiques, alors qu’en France, des entreprises privées, les "trois sœurs" (Suez, Vivendi-Environnement et Saur), se partagent 60 % des communes et 80 % des usagers. La privatisation comprend deux volets : la propriété et la gestion d’une part, le pouvoir de décision et d’exécution de l’autre. Elle est loin d’être la panacée. Wenonah Hauter observe : "Prix qui grimpent, réduction des prestations, pollution de l’environnement, baisse de la qualité de l’eau", la logique de la rentabilité pénalise l’usager. Dans le comté de Lee County, en Floride, les élus ont ramené le réseau d’eau potable dans le giron du service public à la suite d’une défaillance de l’entreprise privée. Mehdi Lahlou rappelle que le rôle de l’Etat a été capital, après la Seconde Guerre mondiale, pour relancer les économies européenne et japonaise. Il précise ainsi le sens de son refus des privatisations : "Par gestion publique de l’eau, il ne faut pas entendre une simple gestion étatique ou administrative, mais une gestion sociale et communautaire". A contrario, les entreprises privées n’investissent ni dans les barrages, ni dans les grosses canalisations. La gestion privée, rappelle Jean-Luc Touly, "se traduit par un surcoût de 25 % en moyenne sur la facture d’eau par rapport à une gestion publique". Mais l’Organisation mondiale du commerce, en voulant imposer l’AGCS (Accord général sur le commerce des services), vise une privatisation complète de ce secteur. La Commission européenne prévoit même la privatisation des nappes phréatiques.
Mais des résistances s’observent dans de nombreux pays : Inde, Colombie, Italie, Ghana, Bolivie, Canada, Costa Rica, Afrique du Sud. Dans ce dernier pays, la situation est paradoxale : inscrit dans la Constitution, le droit à l’eau est bridé par les collectivités locales qui font appel au privé. La résistance peut également déboucher sur des alternatives à la libéralisation, sans qu’on puisse dégager de modèle unique. Ainsi, à Belém do Para (Brésil), on a choisi une gestion municipale autonome de l’eau ; en Suisse, l’eau est propriété pour partie de la confédération, pour l’autre des cantons. Le droit au référendum et le droit d’initiative sont d’autres atouts helvétiques pour combattre la privatisation de l’eau.
Pour conclure, Riccardo Petrella critique la "nouvelle conquête de l’eau" : marchandisation, primat de l’investissement privé, passage de la culture du droit à la culture du besoin, privatisation, libéralisation. Il propose une alternative d’ensemble, basée sur la reconnaissance de l’humanité comme sujet juridique et politique, la création d’une autorité mondiale de l’eau à trois fonctions (législative, juridictionnelle, contrôle) et sur un financement public de ce bien commun mondial. Nous voilà munis d’un livre essentiel et complet pour débattre de ce sujet brûlant.

Messages

  • L’article n’est pas assez rigoureux, la diabilisation du service publique de l’eau géré par des sociétés privées ("les 3 soeurs") ne sert pas le débat envoronemental.

    – t’autant que les indicateurs de qualité de l’eau SPDE sont très favorables aux gestions déléguées - !!!