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Quelle politique de l’énergie ?

vendredi 9 septembre 2005

Député allemand depuis 1998, Hans Josef Fell est responsable de la recherche et de la technologie pour les Grünen au Bundestag (Assemblée nationale). Il a été l’un des acteurs de la mise en place de la détaxation des biocarburants et surtout de la loi sur les énergies renouvelables (EGG - Erneuerbare Energien Gesetz, voté en 2000) en Allemagne qui prévoit d’élever la proportion d’énergies renouvelables à 12,5% d’ici 2010 et à au moins 20% d’ici 2020. Il est également actif au sein de la société civile et est vice-président de Eurosolar.

EcoRev’ - Comment gérer politiquement la transition vers un système énergétique durable/soutenable ?
Quel doit être le rôle du marché : doit-on attendre que les prix départagent les différentes énergies ou bien doit-on être proactif politiquement et fiscalement, par subvention ou bien par des tarifs d’achat majorés des énergies vertes ?

Ce que j’appelle "système énergétique soutenable" est un système basé à 100 % sur les énergies renouvelables, c’est-à-dire les énergies solaire, hydraulique et éolienne, la bioénergie et la géothermie combinées à des systèmes de stockage d’énergie et à des économies d’énergie. La transition politique vers un tel système nécessite que l’ensemble des investissements en matière d’énergie aille dans le renouvelable et les programmes d’économie d’énergie. Sachant que, pour moi, une économie d’énergie basée sur du non renouvelable (comme le charbon) n’en est pas une - et ce même si le système de production est plus rentable ou plus efficace.
Et les technologies du renouvelable sont arrivées à un stade d’évolution qui rend cette transition possible. La rentabilité d’un tel système sera d’ailleurs rapide dès lors qu’on arrivera à une production massive d’énergies renouvelables, en menant une politique volontariste et en profitant des effets d’échelle et de la courbe d’apprentissage : la courbe des coûts pour la production des énergies renouvelables étant décroissante.
L’introduction de nouvelles technologies est toujours chère dans un premier temps, surtout dans les conditions actuelles de concurrence : les énergies fossiles et nucléaires sont d’une part beaucoup plus subventionnées et d’autre part on ne considère jamais les coûts externes qui découlent de leur production (externalités environnementales et sociales, guerres, etc.). Au cours des 50 dernières années, 70 à 80 % des crédits de recherche publics dédiés à l’énergie dans les pays de l’OCDE l’ont été au développement de l’énergie nucléaire. Dans d’autres conditions, les énergies renouvelables seraient dès aujourd’hui rentables. Puisque les choses ne fonctionnent pas ainsi, c’est donc le rôle des Etats que d’instaurer des compensations à la hauteur du handicap généré par le fonctionnement actuel des marchés internationaux de l’énergie. Il existe encore un potentiel énorme de développement et d’amélioration des systèmes de valorisation des sources d’énergie renouvelable que notre politique de recherche passée n’a pas exploité. L’allocation des budgets de recherche nucléaire au développement des énergies

Je ne considère les systèmes de subvention qu’en partie comme étant justifiés, car ils sont dépendants du budget de l’Etat. L’investissement privé doit être sollicité, ce qui nécessite une rentabilité économique de la production des énergies renouvelables. C’est ce que permet la loi sur les énergies renouvelables (EEG) en Allemagne qui a d’ailleurs été reconnue comme légitime par la cour du tribunal européen. L’idée est simple : l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables livrée sur le réseau est payée à un tarif fixé par la loi. Ce tarif a été calculé pour dégager une rentabilité annuelle de 5 % sur 20 ans. Cette rentabilité est très faible au regard des pratiques actuelles dans le domaine des énergies conventionnelles, mais elle permet aux entreprises de se développer, d’investir dans la recherche, d’investir dans l’amélioration de leurs systèmes et de proposer des énergies toujours plus compétitives sur le marché. C’est un mécanisme de marché qui fonctionne extrêmement bien comme nous pouvons le voir actuellement en Allemagne. Parallèlement à ça, l’Etat doit continuer à soutenir et subventionner l’amélioration des technologies.

D’autres systèmes de compensation ont été développés en Europe pour permettre aux énergies renouvelables d’émerger, comme celui des quotas (voir l’encadré page 21) : certains pays ont mis en place des marchés de certificats verts. Mais l’expérience montre que le système des tarifs d’achat est le plus efficace pour déclencher le décollage de ce secteur. Si on compare les différents systèmes, on voit qu’en Espagne et en Allemagne, le secteur des énergies renouvelables a explosé ces dernières années grâce aux lois sur les énergies renouvelables ; le Danemark a montré un dynamisme remarquable jusqu’en 2001, puis le marché éolien s’est effondré avec l’introduction du système de quotas. La Grande Bretagne a instauré un système de certificats verts et n’a que très peu développé l’éolien, alors qu’elle présente un gros potentiel au niveau du vent (bien plus que l’Allemagne par exemple). En France, le système du tarif d’achat existe depuis environ 2001, mais on voit qu’il dépend énormément du contexte politique : le système a été fait pour les besoins d’EDF qui ne s’intéresse pas aux énergies renouvelables. Une loi ne suffit pas à la création d’un marché, il faut un contexte favorable en plus.

Il existe d’autres domaines importants dans lesquels d’ambitieux programmes de recherche et développement doivent encore être mis en place et accompagnés, comme c’est le cas pour les biocarburants : carburants agricoles, carburants de synthèse ou biogaz (voir l’encadré sur la biomasse). Dans ce domaine, l’Allemagne a mis en place un système de détaxation des carburants issus de la biomasse. Ce qui permet aux citoyens de mettre de l’huile végétale à la place du carburant issu du fossile dans leur voiture ou leur tracteur, et ce depuis deux ans. Ce système, d’une gestion très simple et économe puisqu’il s’agit seulement de supprimer des prélèvements, suffit aux biocarburants actuels pour devenir compétitifs. Cela a permis de générer un intérêt croissant des grands industriels : l’industrie du sucre a par exemple investi dans la production de bioéthanol. Et de nombreux exploitants et industriels de plus petite taille profitent également de cette évolution, comme les producteurs d’oléagineux qui peuvent presser eux-mêmes leurs récoltes.

Un domaine beaucoup plus délicat est celui de la chaleur. C’est par l’isolation des bâtiments qu’il faut commencer et cela sera sans doute la problématique majeure de la maîtrise de la chaleur pour les années qui viennent. Il y a en Allemagne un véritable développement de la chaleur renouvelable dans le bâtiment et nous comptons aussi sur la contribution de la chaleur électrique produite à partir de ressources renouvelables. Mais les réseaux de chaleur doivent continuer à jouer un rôle central, et nous pensons ici également à la géothermie profonde pour les alimenter. Jusqu’ici, la promotion des énergies renouvelables dans le bâtiment se fait à travers l’attribution de subventions directes à l’investissement. Aujourd’hui nous pensons à un nouveau système : l’instauration de quotas à la construction. Ceci consisterait à obliger les constructeurs ou les installateurs à avoir dans leurs réalisations des systèmes de chauffage une proportion minimale d’énergies renouvelables. Les réalisations valorisant des énergies renouvelables seraient certifiées par un organisme missionné par les pouvoirs publics, mais les certificats qui en échoiraient ne seraient ni échangeables ni négociables. Ce dispositif est simple à mettre en place et ne coûte rien à l’État.

Vous être à la fois élu et engagé dans une ONG... Quels sont les rôles respectifs des politiques publiques et celui de citoyens, du privé ?

Ce sont les deux acteurs essentiels de la mise en place d’une politique : on a besoin d‘un cadre législatif d’un côté et de l’autre de l’engagement des citoyens qui posent des panneaux solaires sur leur toit ou roulent aux biocarburants par exemple, mais aussi des petites et moyennes entreprises et des grands entrepreneurs en énergie, ces derniers ne s’engageant malheureusement qu’assez peu pour l’instant.
La transition énergétique n’est possible que si les citoyens sont vraiment éclairés par rapport aux énergies renouvelables. L’information peut être diffusée au niveau de l’Etat, mais doit l’être aussi dans les universités et les écoles de formation qui se sont longtemps contentées de centrer leurs enseignements sur les énergies conventionnelles, notamment l’énergie nucléaire. Elles doivent maintenant former aux énergies renouvelables.

Que pensez-vous de la théorie du "Peak of Oil" ou "pic de Hubbert" que porte Yves Cochet ? (ndlr : ce pic représente en fait le maximum historique de production pétrolière dans le monde. Une fois ce pic dépassé, la production mondiale ne fera que décroître. Un grand nombre de modèles et de simulations cherche à estimer la date à laquelle se produira ce pic).

J’en ai beaucoup parlé avec Yves Cochet lorsqu’il était au Parlement et qu’il préparait son programme sur les énergies renouvelables pour la France. Les recherches scientifiques confirment régulièrement que le Peak of Oil va être atteint dans les années à venir et que nous nous trouverons dans une impasse. Je crains qu’à ce moment-là il ne soit trop tard pour basculer rapidement vers les énergies renouvelables : si on n’anticipe pas ce pic, nous courons à la catastrophe économique. L’Agence Internationale de l’Energie recommande même de mettre en place un plan en ce sens dans lequel figure entre autres mesures la réduction de la vitesse automobile à 90km/h.

Yves Cochet parle aussi de guerres à venir, est-ce que vous trouvez cela plausible ?

Les guerres sont déjà là !! Il ne s’agit pas seulement des deux guerres en Irak, il y a aussi le Soudan : les Chinois ont empêché pendant des années l’ONU d’intervenir à cause de leurs intérêts pétroliers... Et il y a aussi le Nigeria, l’Afghanistan, l’Equateur, etc...

Entretien et traduction,
Guillaume Bourtourault et Ariane Jossin

– Site de Hans-Josef Fell : http://www.hans-josef-fell.de

– Site de Yves Cochet concernant le pic de Hubbert : http://www.yvescochet.net/rubrique.php3?id_rubrique=35