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L’avenir solaire
Le prix de la gratuité
vendredi 9 septembre 2005, par
L’énergie solaire est notre avenir... mais son présent reste sombre et il est bien difficile d’évaluer ses potentialités de développement à court terme, entre innovations prometteuses et annonces prématurées, politiques volontaristes et réalités du marché. Aussi, il n’est pas inutile de faire le point sur les diverses technologies du moment.
Les perspectives de l’énergie solaire sont resplendissantes à long terme puisque c’est une énergie quasiment inépuisable, représentant près de 10 000 fois notre dépense énergétique actuelle. A ce niveau, même si une petite partie seulement peut en être exploitée, on ne peut certes pas dire qu’on manque d’énergie ! Malgré cela, le solaire ne représente pour l’instant qu’une part infime de notre consommation. Serait-ce parce que nous ne savons pas l’utiliser ? Pas du tout. L’efficacité des technologies actuelles est déjà largement supérieure au rendement énergétique de la biomasse ! C’est juste une question de prix. La "gratuité" du soleil est encore bien trop chère par rapport au pétrole, au gaz et au charbon qui restent beaucoup plus accessibles. La révolution industrielle résulte d’ailleurs en grande partie de cette énergie bon marché et facilement disponible. En effet, le prix de l’énergie n’est pas le prix de sa matière première, c’est le prix de son extraction, de sa mise à disposition.
Contrairement aux énergies fossiles, pour le solaire le coût de l’énergie n’est pas proportionnel au flux consommé mais il est presque entièrement concentré dans l’investissement initial. C’est le coût de l’installation complète, pas seulement les panneaux solaires mais aussi, le plus souvent, un onduleur pour délivrer du courant alternatif, et des batteries à cause du caractère intermittent du rayonnement solaire. Le solaire est un capital et, tout comme l’isolation, son équipement augmente le prix des bâtiments, ce qui relève d’autant la barrière d’accès à la propriété. La mise en place de crédits adaptés serait une mesure indispensable pour sa démocratisation, cependant, même si, dans certains cas, notamment pour alimenter des lieux isolés, c’est déjà la solution la plus rentable, l’électricité solaire (photovoltaïque) reste pour l’instant encore hors de prix (de l’ordre de 4 à 10 fois plus cher que les combustibles fossiles). Cela n’empêche pas que c’est l’énergie la moins polluante, puisque la pollution est réduite à la fabrication des panneaux et des batteries, et que cela en fait l’énergie de l’avenir dont nous devons accélérer le développement par tous les moyens (subventions, recherche, communication, prêts) et sous toutes ses formes. La politique volontariste des Allemands en ce domaine a montré une efficacité remarquable même s’il faudrait aller encore plus loin.
Le solaire peut être utilisé soit pour produire de la chaleur, soit de l’électricité, et selon différentes logiques :
– centrale de production d’électricité (fours solaires, centrales photovoltaïque, tours solaires, satellites !), c’est là où les comparaisons de coûts étaient les plus défavorables jusqu’à présent. La centralisation n’est pas le point fort du solaire mais il ne faut pas négliger la part que peuvent prendre les centrales solaires avec la hausse du pétrole et la baisse des coûts de production.
– production répartie, notamment l’utilisation des toits des habitations pour des chauffe-eau solaires et des tuiles photovoltaïques, amorties en quelques années et qu’il faut encourager. Les deux problèmes principaux de l’énergie solaire (batteries polluantes et fluctuations de la production énergétique) trouvent une solution dans le branchement au réseau qui assure le "stockage sur le réseau" et la fourniture à la demande tout en permettant de rentabiliser l’installation par la vente à EDF de l’électricité non consommée (comme pour les éoliennes) en faisant tourner à l’envers le compteur électrique. Les panneaux solaires peuvent aussi servir à produire de l’hydrogène de façon décentralisée pour alimenter des "piles à combustible".
– capteurs intégrés pour l’alimentation de divers appareils (calculettes, portables, pompes, etc.) auxquels il fournit une complète autonomie en remplaçant piles et batteries. On butte encore sur des performances insuffisantes mais qui s’améliorent constamment.
La chaleur du soleil
Centrales solaires thermodynamiques
La force du solaire est dans la décentralisation plus que dans la concentration, les centrales solaires peuvent avoir malgré tout une place spécifique non négligeable. La solution la plus réaliste économiquement à l’heure actuelle, pour la production d’électricité solaire à l’échelle industrielle, consiste à chauffer un fluide caloporteur (air, sels fondus, huiles synthétiques, ou directement vapeur) en y concentrant le rayonnement solaire. Une production électrique est alors possible via des turbines à vapeur, mais aussi la production d’hydrogène par thermolyse de l’eau ou d’un mélange eau+méthane. L’irrégularité propre de l’énergie solaire peut être contournée, soit en stockant de la chaleur (avec un réservoir de fluide chaud) soit en hybridant les concentrateurs solaires avec une centrale thermique classique (la chaudière et la chaleur solaire nourrissant la même turbine à vapeur).
Chauffage d’habitation
L’application la plus importante jusqu’ici. A l’échelle d’une habitation individuelle ou collective, il est possible d’installer un chauffe-eau solaire, ou un chauffage solaire : il s’agit de capteurs vitrés installés le plus souvent sur la toiture, dans lesquels circule un liquide caloporteur réchauffé par le rayonnement solaire, qui transmet ensuite la chaleur à un chauffe-eau ou, éventuellement, à un plancher chauffant basse température. Ce procédé permet de couvrir environ 50 % en moyenne en France des besoins en eau chaude, et d’apporter éventuellement un complément de chauffage. Le rendement d’un panneau solaire thermique est 3 fois meilleur que celui d’un panneau photovoltaïque (c’est-à-dire qu’un tel panneau récupère 30% à 40% de l’énergie solaire incidente).
L’ordre de grandeur de ce que l’on peut économiser avec un chauffage solaire dans les bons cas de figure est d’ores et déjà de 50% sur la dépense de chauffage + d’eau chaude.
Le recours "massif" au solaire thermique, couplé avec une isolation importante des logements anciens, pourrait permettre de substituer environ 25% de notre consommation énergétique. Il faudrait intégrer aussi ce qu’on appelle "le solaire passif", destiné à optimiser l’utilisation de l’énergie solaire lors de la conception architecturale (façades doubles, orientation, isolation, vitrages, etc). De nombreux systèmes passifs de captation solaire ont été expérimentés et sont basés sur les 3 principes suivants : capter, stocker et restituer (serre, véranda, atrium, double peau, mur trombe...).
Enfin, signalons qu’on trouve aussi, en Chine et en Inde, des "cuiseurs solaires" utilisant la chaleur du soleil pour la cuisine.
L’électricité solaire
L’électricité solaire exploite l’effet photoélectrique qui a valu à Einstein son prix Nobel. Les photons, qui sont les quanta d’énergie de la lumière, excitent les électrons qu’ils rencontrent jusqu’à produire leur éjection, ce qui crée un courant électrique. Dans les cellules photovoltaïques actuelles, on utilise des semi-conducteurs à base de silicium, tout comme pour les puces informatiques.
L’électricité produite est un courant continu de 0,6 V. De multiples panneaux peuvent être reliés entre eux. La durée de vie de ces panneaux est de plus de 20 ans. Le rendement est actuellement de l’ordre de 16% mais on arrive à 36% dans les laboratoires.
En Europe, il faut de l’ordre de 8 à 10 m2 ; pour atteindre une puissance de 1 kW-crête. En nous contentant de couvrir la moitié de la surface de toits existante avec des panneaux solaires, nous pouvons donc disposer d’une production brute qui est du même ordre de grandeur que notre consommation électrique annuelle, c’est-à-dire entre 20 à 40% de notre consommation d’énergie totale, selon la manière de compter l’électricité. De toutes évidence, c’est la climatisation qui devrait être alimentée en priorité par le solaire.
Signalons que la société japonaise Kyocera a développé des tuiles photovoltaïque qui s’intègrent particulièrement bien dans les toitures mais transformer son toit en panneau solaire géant reste encore aujourd’hui extrêmement coûteux.
Le futur du solaire
Le futur semble donc se précipiter même s’il est difficile d’évaluer des technologies qui ne sont pas encore opérationnelles. Demain pourrait arriver plus vite que prévu une fois passés certains seuils d’efficacité et de coût.
Centrale thermique
Un projet de Tour Solaire, peut-être trop ambitieux (d’une hauteur de 1000 mètres !), devait voir le jour dans un désert d’Australie mais il n’a pas trouvé les finances nécessaires pour l’instant. Sa production devait être de 200 mégawatts, six fois moins qu’une centrale nucléaire moderne, mais assez pour fournir en électricité environ 200.000 logements.
Comment ça marche ? le principe est très simple, c’est celui d’une éolienne couplée à une serre. L’air sous la plate-forme (d’un diamètre de 7 kilomètres) est chauffé par le Soleil et monte dans la cheminée. Le déplacement de l’air permet à 32 turbines de produire de l’électricité.
Photovoltaïque
C’est le domaine le plus prometteur, outre les progrès constants sur les cellules photovoltaïque au silicium. On parle de nanotechnologies, ce qui n’est pas faux mais cela n’a absolument rien à voir avec des nanomatériaux auto-reproducteurs dont on s’effraie sans doute à juste titre. On reste ici dans des fabrications relativement traditionnelles. L’enjeu principal est non seulement de baisser les coûts mais aussi de réduire la dépense énergétique nécessaire pour produire les capteurs solaires. Actuellement, une installation raccordée au réseau, aura rentabilisé l’énergie nécessaire à sa construction en 4 à 7 ans. Pour une durée de vie de 20 à 30 ans.
On parle régulièrement, et ce depuis plus de 10 ans, de cellules révolutionnaires, par exemple des cellules du Prof. Grätzel de Lausanne. Mais aucune de ces cellules n’est encore disponible sur le marché. Ces cellules, dont on peut tout de même espérer qu’elles arriveront un jour, ne sont plus constituées de silicium, mais sont basées sur l’utilisation d’un colorant bon marché tel que l’oxyde de titane, en solution iodique, le tout encapsulé entre 2 plaques de verre. Les premières estimations prévoient que de telles cellules pourraient coûter jusqu’à 5 fois moins que les cellules actuelles, estimation qui demande à être maniée avec prudence. La production de cellules Graetzel est encore loin d’être au point. Le problème réside dans l’étanchéité du module, soumis à la corrosion, et surtout la résistance à la chaleur. Les expériences ont porté jusqu’ici sur des cellules de très petites dimensions ; il faut encore compter plusieurs années de recherche pour espérer développer une production industrielle en série.
En Australie a été développé le concept prometteur de cellules à plusieurs couches. Une telle cellule ressemble à un empilement de plusieurs cellules amorphes et demande du silicium de moins grande pureté. Le Prof. Green, de l’Université de N.S. Wales pense qu’un jour ces cellules permettront de diviser le prix des panneaux photovoltaïques par vingt. L’université de Neuchâtel pousse les recherches dans la même direction, avec les "cellules micromorphes" de l’équipe du Prof. A. Shah.
Une autre piste très intéressante est celle de capteurs photovoltaïques sensibles aux infrarouges, c’est-à-dire produisant de l’électricité avec de la simple chaleur. Le Professeur Ted Sargent de Toronto explique ainsi que son équipe a créé « à partir de cristaux semi-conducteurs d’une taille de 3 ou 4 nanomètres, des nanoparticules pouvant être dispersées dans n’importe quel solvant de base » (tout comme le seraient les particules de peinture). Avec encore quelques améliorations, la perception combinée des spectres visible et infrarouge par une seule cellule photovoltaïque pourrait permettre l’exploitation de 30% de l’énergie radiante.
Il faut signaler enfin les recherches sur la production d’électricité et de circuits électroniques à partir des protéines de chloroplastes d’épinard, réalisant ainsi la première cellule solaire à base de semi-conducteurs biologiques !
Si tout ceci reste pour demain, des produits novateurs sont d’ores et déjà commercialisés bien qu’on ne soit pas tout-à-fait sûr de leur mise au point, ce sont les films plastiques de Konarka commandés par l’armée américaine. Les cellules solaires en plastique ont un rendement compris entre 4 et 5% mais elles restent encore très fragiles car elles sont sensibles à l’oxygène et à l’humidité et surtout leur prix est pour l’instant le double du photovoltaïque traditionnel même s’il devrait à terme coûter 4 à 5 fois moins cher. Il faut donc là aussi attendre meilleure fiabilité et baisse des prix...
Les annonces sensationnelles de "percée" du solaire photovoltaïque sont à relativiser car les modules solaires ne constituent qu’un des éléments d’une installation. Les progrès sont assez prometteurs cependant, et lorsque la chute des prix se confirmera, l’utilisation de l’électricité solaire devrait se généraliser en quelques dizaines d’années, le temps d’équiper toutes les maisons, et sans doute bien avant l’épuisement des réserves pétrolières. On saura alors qu’on a définitivement quitté l’ère énergétique pour l’ère de l’information.
Jean Zin