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édito
Brésil : pièges sur la route du Premier Monde
samedi 10 septembre 2005
"O Lula, que coisa triste, ex-operario governando para a elite"
"Que c’est triste un ancien ouvrier gouvernant pour l’élite"... Ce slogan lancé au Forum social mondial en 2005 résume la déception d’une partie de la gauche brésilienne, voire mondiale, deux ans après l’accession de Lula à la présidence du Brésil. Son gouvernement a fait des coupes sombres dans les programmes sociaux et continue d’appliquer les règles du FMI, notamment des taux d’intérêt très élevés qui freinent l’investissement.
Mais tout n’est pas noir dans son bilan à mi-mandat : des emplois ont été créés et la maîtrise de l’inflation alliée à la réévaluation du salaire minimum ont accru le pouvoir d’achat. L’opinion fait donc toujours confiance à l’ancien syndicaliste, bien que les attentes soient énormes dans ce pays champion des inégalités sociales et géographiques : les 10% les plus riches possèdent la moitié des revenus alors que près de 20% de la population vit dans l’indigence, et 2% des fermiers possèdent 55% des terres arables ; le sud du pays vit à l’heure occidentale quand les habitants du Nordeste fuient une région frappée par la sécheresse et la concentration foncière. C’est à eux que s’adressait particulièrement Lula le Nordestin lorsqu’il promettait pendant sa campagne d’assurer trois repas par jour à tous les Brésiliens, ou d’accélérer la réforme agraire. Mais celle-ci est en panne. Le gouvernement du Parti des travailleurs doit en effet compter sur l’appui des élus de la classe dirigeante, et notamment de la centaine de députés "ruralistes" avec lesquels des alliances électorales ont été conclues et sans qui les majorités au Congrès sont introuvables. De plus, un autre type de servitude volontaire guide l’action de Lula : l’idéologie productiviste. L’ancien employé de l’industrie automobile croit que le bien-être de sa population passe par un développement économique digne de ce fameux "Premier Monde" auquel se réfèrent ci souvent les Brésiliens. Il ne ménage donc pas son soutien aux entrepreneurs, en particulier ceux de l’agro-business : les fruits de la balance commerciale ne sont ils pas dus en grande partie aux exportations de produits agricoles non transformés, soja en tête ? Alors que cette agriculture mécanisée crée peu d’emploi, Lula se bat à l’OMC contre le protectionnisme des pays du Nord, tandis qu’il multiplie les gages sur le plan interne : développement des axes routiers, autorisation des cultures transgéniques (voir l’article d’Arnaud Apoteker)... S’il piétine de la sorte les engagements électoraux passés auprès de la mouvance socio-environnementale, celle-ci tente malgré tout de se faire entendre au sommet de l’Etat (lire l’analyse d’Adriana Ramos). Son principal cheval de bataille est bien sûr la préservation de l’Amazonie, proie des trafiquants et des grands propriétaires, mais dont se soucie peu Lula malgré la présence au ministère de l’Environnement de Marina Silva. Sénatrice de l’Acre, un Etat amazonien pionnier en matière de développement durable, elle était proche de Chico Mendès, leader seringueiro (collecteur de caoutchouc) assassiné en 1988 par des propriétaires désireux de s’emparer de leur outil de travail,la forêt. 17 ans après, l’Amazonie reste ce front pionnier où la lutte pour la terre donne lieu aux pires exactions. Parce qu’elle mettait sur un pied un projet d’exploitation durable de la forêt au profit d’une communauté villageoise, la sœur Dorothy Stang a ainsi été abattue en avril dernier, alertant l’opinion et le gouvernement sur les conflits amazoniens. Mais pourra-t-il les trancher quand d’un côté il encourage l’arrivée du soja et des colons, et que de l’autre il protège de vastes espaces destinés à un usage soutenable (voir l’entretien avec Philippe Léna) ? La question du modèle de développement se pose donc avec acuité en Amazonie, où les définitions de pauvreté semblent échapper aux catégories établies (voir "Le programme Faim Zéro" d’Antonio Ibarra). Ici plus qu’ailleurs les habitants doivent se prendre en main pour identifier et réclamer les "progrès" espérés (comme l’évoquent les membres de la Commission Pastorale de la Terre que nous avons rencontrés).
Le Brésil nous intéresse donc à plus d’un titre : le mouvement socioambiental (socio-environnemental) brésilien peut incarner une vraie piste alternative pour les pays du Sud s’il parvient à montrer à l’opinion et à la gauche au pouvoir les impasses écologiques et sociales des politiques productiviste et libérale. Il doit donc peser fortement sur la campagne électorale de 2006. Lula en sera sans doute favori s’il conserve sa côte de popularité. Elle est aussi importante sur la scène internationale où le Brésil lie les problématiques du Nord aux intérêts développementistes du Sud. Il oblige ainsi les gouvernements à trouver des compromis interrogeant l’ensemble de la planète.
La rédaction