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Silence, on intoxique !
vendredi 1er décembre 2006, par
André Aschieri
La Découverte, Paris, 2005, 235 pages, 16 euros
Suite de son premier ouvrage La France toxique, ce nouveau livre de l’ex-député (1997-2000) André Aschiéri fait le récit minutieux, subjectif et journalistique de la rude bataille qu’il a dû continuer à mener depuis la remise de son rapport parlementaire sur les risques sanitaires liés aux nuisances chimiques et physiques de notre environnement, à Lionel Jospin en 1998, jusqu’aux difficultés pour mettre en place une agence de sécurité sanitaire environnementale qui, selon ses souhaits, ne soit pas impuissante, dénuée de moyens, dépendante des pressions et expertises de ceux-là même qu’il s’agit de contrôler.
L’intérêt de ce journal d’un acteur de l’écologie politique soucieux d’une véritable politique publique de santé tient d’abord à sa mise au point sur quelques uns des nombreux risques sanitaires majeurs que nous font courir les contaminations souvent invisibles de notre environnement.
Plus de 100 000 substances chimiques produites par l’industrie ont envahi notre environnement et moins de 2% ont été évaluées, et encore sur des modèles animaux, c’est-à-dire sans avoir de minimum d’assurance sur les effets pour l’homme.
Ainsi, les métaux lourds (mercure, cadmium et plomb) empoisonnent les aliments marins et devraient nous inciter à en limiter la consommation ; la pollution par l’ozone (troposphérique), polluant résulte de la réaction entre plusieurs éléments sous l’effet de la lumière solaire, principalement les oxydes d’azote et les composés organiques volatils (COV) produits par les moteurs, raffineries, chaufferies, centrales thermiques, pollutions à l’origine de la catastrophe de la canicule de l’été 2003.
Les centaines de substances dangereuses (insecticides, herbicides, bactéricides, fongicides) présentes dans les 100 000 tonnes de biocides que l’agriculture productiviste, les cultures, élevages, les aquacultures industrielles déversent chaque année en France dans l’environnement et finissent par se retrouver dans notre assiette et dans notre corps, les milliers de produits pesticides que l’on retrouve dans l’air, l’eau (présents dans la majorité des points d’eau potable surveillés en France) et dans les produits de consommation, sont aussi dans les produits bébé.
La question aux enjeux économiques énormes des ondes électromagnétiques des téléphones portables et de leurs effets classés comme "cancérigènes possibles chez l’homme" est posée par le CIRC (centre international de recherche contre le cancer). Et bien sûr tant d’autres dossiers sur lesquels il ne revient que brièvement comme l’empoisonnement par l’amiante nié pendant si longtemps : "Le plus gros scandale sanitaire connu en France n’a toujours pas débouché sur un procès au pénal, alors que des fautes sont officiellement reconnues", selon le président de l’ANDEVA (association nationale de défense des victimes de l’amiante).
Et bien sûr la question des dioxines, provenant des raffineries, industries sidérurgiques, métallurgiques, de pesticides, et des incinérateurs, tous produisent des dioxines parmi les plus toxiques, substances chimiques extrêmement dangereuses au millionième de gramme (composé du célèbre "Agent Orange", fabriqué par l’empoisonneur Monsanto, un herbicide dont 100 millions de tonnes ont été déversées sur le Vietnam), qui se retrouvent dans le lait, les œufs, la viande et même le lait maternel.
D’autres dossiers comme le nucléaire ou les OGM sont juste évoqués dans la mesure où ils seront d’emblée exclus du champ de compétences de la future agence gouvernementale.
C’est bien plutôt que le lobby nucléaire est tout puissant, et qu’il ne saurait être question ni à gauche ni à droite de laisser une agence extérieure s’ingérer dans le champ des compétences et décisions du CEA (commissariat à l’énergie atomique). Pourtant, "la prolifération des sources radioactives dans toutes sortes de milieux professionnels et publics est devenue si importante qu’elle pose un sérieux problème de santé publique..." (p.47). En fait, le modèle autoritaire, hiérarchique, centralisé, fermé du complexe nucléaire représente plutôt le modèle que les élites technocratiques d’Etat voudraient étendre, puisque dans ce cas, les fonctions de production, contrôle, expertise, évaluation des risques, d’information et d’alerte sont chapotées par un seul organisme, le CEA, qui organise une véritable omerta sur le sujet, et la dissimulation des faits qui concernent la contamination de la population. Sur le fond, personne ne souhaite chez les politiques et les industriels la mise en place d’une agence d’évaluation indépendante, sauf si elle est totalement impuissante et contrainte à accepter les expertises des producteurs de risques.
L’argument du livre peut être brièvement résumé ainsi : nous, et ce nous renvoie à toute la biosphère, sommes tous empoisonnés et malades par les milliers de substances toxiques produites continuellement par les industries, et l’Etat, au plus loin de défendre un quelconque intérêt sanitaire public, derrière un discours toujours rassurant ou fataliste, organise le silence autour de la production, diffusion, contrôle, évaluation, recherche (toxicologie, épidémiologie) dès l’instant où des intérêts économiques ou des raisons d’état sont en jeu.
Surtout, intérêt majeur du récit, ce livre décortique concrètement comment des obstacles, des blocages toujours plus nombreux au projet que l’auteur a soutenu avec quelques autres (assez rares il faut le noter !) lui ont été opposés, dévoilant ainsi les coulisses de la décision politique et la manière dont l’Etat définit et encadre le rôle de l’expertise.
Depuis bien des catastrophes comme l’amiante, le sang contaminé, Tchernobyl et le nuage radioactif qui s’arrête aux frontières, la vache folle et les OGM, l’Etat a largement fait la preuve que l’empoisonnement de la population passait après d’autres considérations. Et ce sont ces priorités qui guident la façon dont se construisent les connivences entre expertise et pouvoir, entre scientifiques et logiques d’intérêt économique, et la manière dont l’évaluation des risques peut s’exercer au mépris de toute considération de santé publique pour les usagers écartés de toutes les étapes de la prise de décision.
L’usager croit pouvoir faire confiance à une flopée d’institutions et agences gouvernementales (Inserm, Institut de Veille sanitaire, Agence de sécurité sanitaire des aliments...) où œuvrent des professionnels de la santé qui peuvent aller jusqu’à truquer, manipuler, occulter des enquêtes de toxicité qui pourraient porter atteinte à des choix industriels. Les plus hautes autorités sont animées par une telle logique "négationniste", selon le mot du toxicologue Henri Pézerat spécialiste du dossier amiante, comme l’Académie des sciences l’a fait pour l’amiante, les dioxines et les OGM, proclamant à chaque fois l’absence de risque.
Du coup, au vu de l’enquête, on se demande si la stratégie qui consiste à pousser à la création d’agences qui organisent l’expertise, l’évaluation, le contrôle des nuisances et risques sanitaires au sein de l’Etat n’est pas une stratégie dont on nous démontre la faillite pour une véritable politique de santé publique plus large que le système biomédical limité aux soins, et si la solution ne se trouve pas du côté de l’émergence d’un tiers secteur associatif capable de redéfinir à chaque cas l’intérêt public ?
Hélas, c’est un terrain sur lequel l’auteur ne s’engage pas, mais que nous indiquent toutes les mobilisations et les associations entre "lanceurs d’alerte" et usagers.
Didier Muguet