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La face cachée de la décroissance

dimanche 15 avril 2007, par Simon Barthélémy

Cyril Di Méo, L’Harmattan, 2006, 202 pages, 17,5 euros

Conservatrice, malthusienne, anti-économiste et anti-scientiste, spiritualiste… La décroissance a pour l’élu Vert (et enseignant de sciences économiques) Cyril Di Méo tout d’une pensée "réactionnaire", selon ses termes. Une plongée dans les racines intellectuelles (Ellul et Illich) et les écrits (surtout les journaux La Décroissance et L’Écologiste) de ses partisans l’a convaincu du danger de cette nébuleuse. Elle est d’après lui empreinte des idées radicales tant de l’écologie profonde – où navigue l’extrême droite, notamment le GRECE, et l’auteur tente sans être très convaincant de montrer ses liens avec les décroissants – que de l’écologie libertaire – Di Méo évoque René Riesel rendant hommage au terroriste américain Unabomber lors de son procès. Pour étayer sa démonstration, l’auteur alterne citations instructives et raccourcis rhétoriques à la limite de la diffamation. Dans le chapitre sur le contrôle de la démographie prôné par certains décroissants, par exemple, il s’étonne d’un conseil du WWF – reporter d’un an la décision d’avoir un enfant pour réduire son empreinte écologique de 2,6 hectares par an – et développe un paragraphe sur Alexis Carrel, scientifique eugéniste et fasciste français, dont un colloque aurait été cautionné par Thierry Jaccaud, rédacteur en chef de L’Écologiste… Ce qui ferait de lui un Hitler en puissance, pourrait-on presque conclure. l’Écoféminisme est un mouvement tout aussi rétrograde aux yeux de Di Méo, car prônant une forme de Matriarcat.
Mais certains aspects du message de la décroissance dérangent particulièrement Di Méo, qui met parfois le doigt où ça fait mal. Il fustige d’abord les références spirituelles des décroissants : leur éloge de la pauvreté ou du retour à la terre marquent pour lui un retour en arrière de l’écologie politique, au moment où ses constats sont partagés et sa légitimité reconnue. Ce côté "mortifère" signale, selon Di Méo, non seulement le rejet d’une caractéristique fondamentale de l’homme – l’hédonisme – mais aussi un accompagnement, une intériorisation de la précarisation et de l’appauvrissement de notre société. Cette volonté de vivre en ermite s’accompagne selon lui d’un rejet global des systèmes politique (mais Cyril Di Méo n’a pas encore lu les témoignages de décroissants dans EcoRev’ !).
En bon prof d’économie, il dénonce particulièrement l’anti-économisme des décroissants, qui critiquent autant la croissance que le développement. Celui-ci ne peut être jeté avec l’eau du bain, notamment pour ses progrès sociaux (système de santé), considère-t-il. Quand La Décroissance critique les "écotartuffes du développement durable", l’auteur se réjouit au contraire que le concept soit devenu aussi populaire. Il défend une "durabilité" forte, le commerce équitable, les finances éthiques, les SEL, la consomm’action… Autant de réformes du capitalisme dénigrées selon lui par les décroissants, quitte à les mettre tous dans le même sac alors que, comme chez les Verts, il y a presque autant de courants que de membres dans cette nébuleuse.
On touche à la fois le point clé et la limite de la démonstration de Di Méo : l’opposition décroissance/développement durable rejoue en effet le dilemme révolution ou réforme du capitalisme, et la question est bien de savoir si se retirer du système, ou "faire l’autruche" comme il dit, le ferait s’effondrer. Mais l’auteur n’explique pas le succès du mouvement pour la décroissance, dont il ne voit pas l’intérêt. Or ne vient il pas de l’impuissance, profondément ressentie par les citoyens, de faire évoluer les systèmes politiques et économiques ? N’est il donc pas un constat d’échec des partis et des mouvements traditionnels ? Et à défaut de Grand Soir, n’est ce pas un aiguillon précieux et un laboratoire d’idées et de militantisme à observer de près ?

Simon Barthélémy