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L’utopie sociale de la ville durable

mardi 6 janvier 2009, par Bruno Villalba

Les politiques urbaines des métropoles doivent aujourd’hui prendre en compte la dimension "développement durable" dans leur communication politique. Bruno Villaba, d’EcoRev’, discute cette notion de durabilité sous l’angle de la participation sociale des habitants. Il interroge les conditions de la construction d’un discours unifié, voire pacifié, autour du développement durable et présente les possibles externalités négatives de cette entreprise en terme de fragmentation urbaine et sociale.

Dans un essai stimulant, intitulé Au-delà de Blade Runner, Los Angeles et l’imagination du désastre, Mike Davis (2006) s’interroge sur le devenir de nos villes. Partant d’une analyse du film Blade Runner qui met en scène la ville de Los Angeles en 2019, M. Davis explique combien ce type d’images a contribué à façonner notre imaginaire urbain. Mais si Los Angeles symbolise le gigantisme urbain d’une humanité en mutation, il estime que ce film "n’est pas tant le futur d’une ville que le fantôme des rêveries du passé" (p. 12). Il n’est finalement une représentation du paroxysme de la situation actuelle des grandes mégalopoles, mais il n’offre guère de perspectives sur ce qu’il va advenir (1).
Son livre insiste sur l’inconséquence de nos choix en matière d’aménagement urbain, en mettant en exergue les effets sociaux produits par l’organisation de l’espace des villes. L’essai de M. Davis montre que nous assistons à l’émergence de politiques de la ville qui, faute de pouvoir répondre aux enjeux fondamentaux de l’espace urbain (paupérisation, spécialisation des espaces, déclassement économique…) tentent d’en contenir les conséquences les plus visibles (violence, insécurité, dégradation de l’habitat, extension des frontières de la ville…). Selon lui, ces politiques aboutissent à un renforcement des ségrégations sociales, économiques, culturelles – et pour l’exemple américain, ethnique (2). Or, cette perspective n’est, globalement, pas délibérée ; elle résulte d’une désagrégation progressive des intentions premières, bienveillantes et réfléchies, ainsi que de la superposition de politiques urbaines, aboutissant à une cacophonie politique, se révélant bien incapable de hiérarchiser les priorités.
C’est à la hauteur des enjeux sociaux, systématisés dans Au-delà de Blade Runner, que nous voudrions interroger le concept de "ville durable". Nous souhaitons proposer une lecture politique de cette vision de l’espace urbain en la confrontant à la notion de "ville durable". L’essai de Mike Davis ignore superbement les stratégies "durables" mises en place par la ville de Los Angeles ; il n’évoque pas plus les contraintes environnementales énormes qui pèsent sur la ville (3). On peut schématiquement présenter ainsi notre ligne d’analyse : à quelles conditions un espace particulier peut constituer un cadre de vie que l’on souhaite voir se maintenir dans le temps ? Quels sont, finalement, les critères à retenir pour définir le cadre d’une politique urbaine que l’on veut voir s’inscrire durablement, c’est-à-dire qui rende compatible les intérêts écologiques, sociaux et économiques ? La perspective temporelle n’est pas seule en jeu ici ; après tout, une ville est toujours durable, ne serait-ce qu’à travers les ruines qu’elle laisse (Diamond, 2006)… Ce qui nous intéresse ici, c’est le fait que son inscription dans le temps est devenue moins importante que les conditions qui permettent de la rendre vivable dans le temps…
Nous verrons que ces conditions sont insérées dans une vision utopique de l’espace urbain, qui tente d’associer à une croyance (celle de la durabilité) une méthode (celle de la participation) afin d’aboutir à un projet collectif non seulement reproductible dans le temps, mais adaptable à l’ensemble des espaces anthropiques.
Si l’on tente de confronter cette vision utopique aux contingences sociales, on constatera que les clés d’accès à la ville durable supposent une résilience importante de nos perceptions des contraintes sociales, qui rendent cette approche qualitative compatible avec les conditions de vie de l’ensemble des habitants. Nous présenterons ainsi quelques éléments de réflexions issus d’une recherche portant sur la Fédération des centres sociaux du Nord (4).

Une nouvelle utopie de l’espace urbain ?

On peut s’interroger sur l’idée que nous voulons constituer, à travers le concept de "ville durable", un équilibre, voir une harmonie, partagée par une population et qui deviendrait un modèle destiné non seulement à se perpétuer dans le temps. Nous renouons ainsi avec l’idée qu’il puisse exister une utopie réalisable (Choay, 1965) (5)… L’utopie de la ville durable consiste à lui conférer un "futur perpétuel, sans limites naturelles ou contraintes sociales" (Davis, 2006, p. 144).
Matérialisons cette proposition à travers l’exemple de l’aménagement du Plateau Mont-Royal de la ville de Montréal (6). Les animateurs (associant citoyens et spécialistes de l’aménagement urbain) proposent "aux citoyens du Plateau Mont Royal et de la Ville de Montréal un engagement personnel et collectif pour concilier les aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement durable en milieu urbain, en répondant à nos besoins présents sans compromettre ceux des générations futures". L’imagerie offerte présente une ville réconciliée avec l’écologie et bien sûr conviviale, grâce à la mise en place de pratiques démocratiques efficaces. Une telle réorganisation de l’espace urbain ne peut se réaliser qu’à une condition majeure cependant : "Nous proposons une avenue Mont Royal sans voitures, avec transport en commun efficace et écologique. Cette proposition fait partie d’une stratégie de réduction de l’utilisation de la voiture, dans une ville centrée sur la personne !" Nous percevons là l’ambivalence d’un projet collectif qui s’effectue au détriment de la voiture… cet exemple nous permet de nous arrêter quelques instants sur les conditions constitutives de ce projet utopiste.

Adhérer à un nouveau compromis
Le projet utopiste est souvent le résultat d’un compromis, minimisant la complexité du réel. La ville durable tend à devenir la production de sa propre image idéalisée. Une telle vision se construit en s’éloignant des contraintes existantes, afin de parvenir à la constitution d’un imaginaire positif, pouvant mobiliser les acteurs concernés.
La ville durable se caractérise comme utopie, dans sa volonté d’adopter une démarche anthroposystémique. L’anthroposystème est défini "comme étant un système interactif entre deux ensembles constitués par un (ou des) sociosystème(s) et un (ou des) écosystème(s) naturel(s) et/ou artificialisé(s) s’inscrivant dans un espace géographique donné et évoluant dans le temps, sous l’effet de facteurs externes ou internes au système" (Muxart et al., 2003, p. 18). Dans cette optique, une "ville durable" entend procéder à une réconciliation des enjeux temporels (ce qui peut constituer un avenir envisageable pour les générations à venir tout en assurant une équité intra-générationelle) et spatiaux (résoudre les conflits liés à la définition des frontières de la ville, tant à l’égard des acteurs nationaux que locaux – ruralité, rurbanité, etc.) (Veltz, 1996).
Mais la "ville durable" ne conduit-elle pas à délimiter artificiellement les frontières de l’espace urbain (du quartier à la conurbation, ces zones d’habitat humain s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres…), afin de le considérer comme un espace clos, permettant une intervention efficace des élites politiques et techniques ? Ne tente-t-elle pas de valoriser les approches fonctionnalistes au détriment d’une vision plus systémique ? Une telle incarnation peut-elle matériellement se réaliser à l’échelle de la totalité de l’espace urbain, en raison du coût financier par exemple ?

Une méthode participative
La "ville durable" exprime "la relation paradoxale [que la ville entretient] avec la plupart des idéaux de la métropole démocratique" (Davis, 2006, p. 13). Lieu de la proximité (Gilly, Torre, 2000), elle tend à devenir l’espace d’expérimentation des procédures participatives censées faire émerger l’intérêt collectif, et permettre ainsi la conciliation des ambitions architecturales ou commerciales avec les visions plus routinières des habitants. Cette ville valorise l’adoption d’une méthode participative, qui suppose que le cadre démocratique qu’elle promeut soit accepté et mobilisé par les acteurs concernés (Geindre, de la Gorce, 1993).
La vision de cette "ville durable" ne procède-t-elle pas à un refoulement de la dimension conflictuelle de l’espace urbain : de ses inégalités territoriales, mais aussi de contradictions difficilement conciliables des autorités politiques et morales, mais aussi des intérêts personnels de chacun d’entre nous ? Si l’on reprend l’exemple du contrôle de la voiture de la ville, il semble bien que l’on touche là une question fondamentale qui illustre bien la complexité de réduire l’individu à une dimension singulière (Dupuy, 1999).
Ne tend-elle pas à amplifier l’insertion des communautés installées au détriment des populations les plus fragilisées (par rapport à l’emplois, la situation scolaire, etc.) ? La proximité souhaite avant tout éviter la promiscuité…. Cette ville compacte favorise l’émergence d’un citadin visant "l’expérience subjective de plus en plus réduite à la sphère privée" (Davis, 2006, p. 79).

Une dynamique vertueuse
Le concept de ville durable suppose d’adhérer à une croyance (la durabilité), une méthode (la concertation) afin de parvenir à des effets induits, c’est-à-dire qu’en adoptant certaines conduites positives, nous mettrions en place un cycle vertueux, qui permettrait de réguler les contingences négatives liées à la vie urbaine.
Il y a là pourtant une limite sémantique importante. La "durabilité" ne doit pas simplement se confondre avec ce qui dure dans le temps ; elle se perçoit davantage comme ce qui confère un sens à ce que l’on souhaite perpétuer ; cela suppose que l’on associe à cette durée, une analyse des conditions (politiques, économiques, sociales) qui permettent de faire émerger un compromis concernant les finalités de la durée. Si la ville doit durer, se maintenir comme entité vivable et viable, comment doit-elle produire un consensus social qui soit partagé par le plus grand nombre, en tenant compte des contraintes environnementales ? Dans cette optique, la durabilité associe une dimension temporelle à une dimension dynamique – au sens qui tente de créer un équilibre entre les tensions centrifuges du social, de l’économique et de l’environnemental. La durabilité procède d’une méthodologie qui entend mettre en place un équilibre auto-reproductible.

Perceptions de la durabilité à l’échelle de l’action sociale

Sans même anticiper ce qu’il adviendra des villes dans une vision aussi radicale et pessimiste, nous souhaiterions présenter quelques éléments qui peuvent permettre de tester le processus de développement de cette ville durable. Ces données résultent d’une enquête réalisée sur la Fédération des centres sociaux du Nord (7).
L’objectif est d’analyser les modes d’appropriation et d’intégration possibles de cette notion par des acteurs mobilisés autour de l’action sociale. La thématique du développement durable semble, encore aujourd’hui, faiblement intégrée dans les dispositifs professionnels des acteurs sociaux (Dubois, Mahieu, 2002, p. 73-94 ; Ballet et al., 2005). Nous voulions apprécier les représentations du développement durable par ces acteurs et comprendre les stratégies d’évitement ou d’ajustement qu’ils pouvaient entreprendre. Les centres sociaux ont comme objectif principal de promouvoir le développement social local. pour cela, ils mettent en place des opérations locales contractualisées (CAF, collectivités locales, associations, etc.) afin de répondre aux priorités de leurs usagers (principalement des populations en situation de précarité). Il devenait donc intéressant d’étudier la manière dont ces médiateurs de l’action sociale entendaient décliner les principes généraux du développement durable au sein de leurs pratiques professionnelles et de leurs objectifs politiques (8). Comment ce projet de ville durable, inscrit dans la rhétorique du développement du même nom, est-il perçu par les acteurs sociaux ? Trois perspectives de réflexion émergent de cette confrontation.

Une culture différenciée de la durabilité et des priorités de l’action en milieu urbain
Au niveau national comme au niveau régional, la problématique du développement durable n’apparaît pas en tant que telle comme orientation programmatique. La Fédération des centres sociaux et socioculturels de France se positionne sur la notion de développement, qu’elle souhaite voir plus soucieuse d’équité sociale, mais qu’elle considère comme indissociable du progrès matériel des usagers et habitants. Cependant, les approches environnementalistes ne sont pas absentes, dans la mesure où elles participent à un effort de socialisation des usagers, puisqu’elles s’inscrivent dans des processus d’éducation populaire (protection de la nature perçue comme le respect de son propre environnement, et donc de sa personne). Les contraintes techniques de fonctionnement (recherche de partenariat financier sur une base contractuelle) conditionnent le cadre de l’action formelle : par conséquent, les actions visent prioritairement à promouvoir un accompagnement social des publics en difficulté.
D’une manière générale, nous avons constaté, qu’interrogés sur cette notion de développement durable, les directeurs de centres sociaux présentaient une perception élaborée (vocabulaire, références historiques, cadres théoriques…), mobilisant des articulations complexes des différents éléments constitutifs de la notion, en valorisant les dimensions pragmatiques du concept (dimensions empiriques, formes d’usages locaux, illustrations locales…). Dans le même temps, ils construisent un discours critique, empreint de scepticisme, sur la dimension opératoire de cette notion au sein du fonctionnement des centres sociaux. À l’interne, ils évoquent les questions de formation du personnel salarié, de la gestion politique avec les membres des conseils d’administration. A l’externe, ils mettent l’accent sur les risques d’incompréhension avec les adhérents (notamment les plus précarisés) ou les différences d’interprétation avec les partenaires financiers (comment concilier les intérêts avec les élus, les bailleurs sociaux, etc.).
Le développement durable, même mobilisé à l’échelle d’un quartier, comme facteur d’animation de l’espace local, n’est donc pas – encore ? – une priorité pour ces acteurs.

Comment constituer une culture partagée des finalités de la ville durable ?
Poser la question de la durabilité, c’est soulever la question de la définition des priorités en matière de gestion urbaine : comment gérer une politique publique locale en tenant compte du changement climatique, en anticipant sur les conséquences (prévisibles ou potentielles) des risques émergents – notamment en termes de santé –, en essayant de réduire la fracture des inégalités écologiques… ? La prise en compte de ces préoccupations nouvelles peut-elle se réaliser autrement que de manière segmentée ? À un niveau plus pragmatique, comme en témoignent certains directeurs, comment peut-on concilier les objectifs premiers de ces populations en situation sociale difficile, avec les priorités d’aménagement qui leur apparaissent comme davantage ressortissant d’un "confort résidentiel" (9) ?
Les directeurs nous disent qu’ils ont affaire à des populations qui n’ont peut-être pas exactement la même vision de la durabilité. C’est-à-dire que leurs priorités ne sont pas les mêmes en termes de gestion temporelle, en termes de priorité d’existence quotidienne, etc.

Comment faire réellement émerger des modes de conciliation d’intérêts antagonistes ?
La ville durable s’élabore selon une méthodologie accordant une place centrale aux procédures de délibération publique, supposant une perspective commune, rendant compatible les intérêts spécifiques des populations concernées. En ce qui concerne l’action des centres sociaux, une telle perspective soulève deux difficultés majeures.
1) Comment faire entrer les populations précaires dans ces dispositifs délibératifs (Brun, Rhein, 1994 ; Maurin, 2002, 2004 ; Caillé, 2006) ? et ainsi mieux appréhender leur vision de la ville durable (comment la faire émerger, comment l’intégrer dans les options prédéfinies des experts et des décideurs politiques et économiques…) ? Les directeurs des centres sociaux expriment un certain scepticisme face à une ville qui deviendrait un espace davantage partagé, offrant une mixité sociale, culturelle et ethnique assumée. Trivialement, la question qu’ils posent est de savoir pour qui est une ville est-elle durable ? (logement (10), qualité de l’environnement urbain, santé (11), mobilité) la durabilité ne se mesure pas de la même manière.
2) Comment élaborer un dispositif délibératif permettant d’aboutir à un compromis compatible avec les enjeux à long terme de la durabilité ? La ville est essentiellement un espace d’expression, de matérialisation concrète des choix de vie individuels (Viard, 2004). Ces choix se construisent sur une hiérarchisation de ses besoins (en termes d’espace privé, de sécurité individuelle et collective…) et de ses capacités (financières principalement). Ils résultent aussi des priorités sociales et économiques que l’espace collectif se donne et qui continue à faire la part belle aux objectifs de la croissance économique et du plein emploi. Peut-on envisager la constitution d’une culture urbaine partageant les mêmes valeurs fondamentales ? Ou bien, ne risque-t-on pas d’aboutir à la constitution d’espaces segmentés, pouvant, en leur sein exclusivement, procéder à l’élaboration d’une politique durable ? Si l’on accepte l’approche de M. Davis, cela conduit à une surenchère des politiques sectorisées : "As city life, in consequence, grows more feral, the different social milieux adopt security strategies and technologies according to their means." (Davis, 1995).
Ces procédures délibératives ne constituent pas en elles-mêmes les réponses aux finalités proposées par la ville durable. Il convient d’y associer le pouvoir de décision émanant des autorités politiques légitimes, qui, in fine, détiennent la capacité de proposer au débat les options alternatives, mais qui conditionnent aussi l’inscription de ces propositions dans les réseaux de la décision publique. La ville durable participe pleinement à cette tendance du management territorial à associer le terme de "durabilité" à des modalités de gouvernance relativement traditionnelles (Goxe, 1995).

Une utopie technicienne plutôt que politique ?

Finalement, la ville durable n’est-elle pas une utopie technicienne ? Cette fiction dispose-t-elle d’un registre technique suffisant pour résoudre les tensions du moment ? Ainsi, la frontière de la ville (en raison de son étalement et de sa fragmentation) est de moins en moins pertinente (Emelianoff, 2005) pour apprécier les contraintes écologiques et les frontières des inégalités sociales. La ruralité, l’internationalisation des relations sociales (éducation, loisirs, etc.), l’absence de frontière de l’espace urbain au regard de certaines pollutions (atmosphérique, nucléaire…) rendent caduques l’idée d’une maîtrise raisonnée de ces questions (Berdoulay, Soubeyran, 2002). Par ailleurs, la "durabilité" d’un territoire local n’a guère de sens, compte tenu des besoins des générations présentes et futures, et des tensions entre le local et le global (Theys, 2000 ; Zuindeau, 2000).
L’aménagement urbain "durable", soumis à des pressions sociales importantes, risque quand même d’aboutir à une écologie architecturale différenciée (zone de loyers modérés, zone d’activités commerciales de luxe, bulles touristiques – quartiers historiques, secteurs de divertissement, centres commerciaux, etc.). Bien souvent, les discours utopiques de la ville durable assimilent la durabilité avec l’amélioration des systèmes techniques gérant les dispositifs actuels (ex. énergétique : mobilité et pollution et mobilité et disparité sociale). Or, la durabilité ne peut se confondre avec le choix de moyens permettant de perpétuer les choix d’aménagement et de développement constitués dans un contexte historique achevé (accessibilité à l’énergie, dérives climatiques limitées, globalisation restreinte au pays du Nord) (Mongin, 2005).
La ville durable ne peut se satisfaire d’une réponse technique (compacité de l’espace urbain, pluralité et qualité des modes de transport…) ; la réponse technique doit s’imbriquer et se justifier par un discours politique qui donne un sens aux contraintes sociales qui accompagnent ces solutions innovantes (12). Autrement dit, comment justifier l’utilité de ces mesures – qui apparaissent contraignantes à tout à chacun, suivant le moment de la journée… ? La proximité ne peut se dédouaner d’une vision idéale, où les populations déambulent, insouciantes, sous des arbres bien taillés, harmonieusement insérer dans la dernière perspective paysagère à la mode… Elle doit aussi prendre en compte les tensions engendrées par les choix politiques portés par ces options techniciennes (Sachs, 1996). Que les solutions techniques progressent, tout à chacun peut s’en réjouir. Que cela suffise à faire d’une ville un espace durable, c’est une utopie assez peu convaincante. Mais il reste à déterminer qui finalement de labelliser un projet "ville durable" : l’enjeu est de savoir qui va définir cette durabilité. Et dans ce domaine, comme dans d’autres, le mot de la fin appartiendra à celui qui aura les moyens d’imposer sa vision.

(1) Dans son livre, M. Davis précise ces enjeux : la ségrégation sociale et spatiale, le confinement des lieux (des ghettos dorés aux prisons surpeuplées), le contrôle social renforcé (via les utilisations technologiques), la violence sociale et économique sans régulation politique (municipale ou étatique…).
(2) Cette approche perpétue une tradition sociologique ancienne d’études des phénomènes urbains, à la suite de l’école de Chicago, voir Grafmeyer, Isaac, 2004.
(3) Tout juste se contente-t-il de mentionner les conséquences à venir du Big One, le tremblement de terre tant redouté qui devrait être fatal à la côte Ouest.
(4) Notamment par une confrontation empirique avec un terrain élaboré dans le cadre d’un contrat de recherche Action Concertée Incitative ("Sociétés et cultures dans le développement durable") sur le thème "Instituer le développement durable" (voir http://aciidd.net).
(5) Voir par exemple, les réflexions du séminaire "Développement durable entre utopie et expérimentation", 7 mars 2006, Séminaire organisé par Corinne Larrue (CITERES/VST, Tours).
(6) http://www.montroyal-avenueverte.org/, consulté le 25 mai 2006.
(7) La Fédération des centres sociaux et socio-culturels du Nord a été créée en 1966, et la Fédération des centres sociaux et socio-culturels du Pas-de-Calais en décembre 1997. En 1998, ces deux fédérations se sont réunies en une union régionale. Ils sont membres d’un réseaux national de 2000 centres sociaux, dont la majorité se regroupe au sein de la Fédération des centres sociaux de France (FCSF) à laquelle adhèrent les fédérations du Nord et du Pas-de-Calais. Actuellement, la région Nord-Pas de Calais compte un peu moins de 150 centres (130 sont gérés par des associations, les autres sont à gestion municipale). Cela représente plus de 3500 bénévoles et administrateurs, 3400 salariés (animateurs socio-culturel, éducateurs, intervenants ponctuels…) et cela constitue, au total, un budget consolidé de 70 millions d’euros par an.
(8) L’enquête a été réalisée entre mai 2004 et mai 2006. Sur le plan méthodologique, elle a consisté à mener une vingtaine d’entretiens avec des directeurs de centres sociaux, et à suivre la constitution d’un comité de pilotage destiné à construire une stratégie de conciliation des objectifs du développement durable avec le projet politique des centres sociaux. Nous tenons à remercier l’ensemble des directeurs (notamment Jean-Luc Deleforge) et des administrateurs de la fédération qui nous ont accueilli avec une grande disponibilité.
(9) "Malgré de réelles prises de conscience en ce qui concerne le changement climatique, les notions de ’confort résidentiel’ ou de ’liberté’ dans les déplacements apparaissent sinon encore contradictoires, du moins difficilement compatibles avec une politique drastique d’économies d’énergies." in Viguerie (Paul de), Les Politiques de l’urbanisme et de l’habitat face aux changements climatiques, projet d’avis, http://www.ces.fr/rapport/pravi/PA060210.pdf.
(10) Idem, Viguerie.
(11) Coûts de santé publique avec une prévalence en forte hausse des maladies respiratoires.
(12) Voir en ce sens, la Charte des villes européennes pour la durabilité – Charte d’Aalborg, 27 mai 1994 ; L’appel de Hanovre, 11 février 2000, etc.

Bibliographie
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