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Europe écologie : un sujet politique au défi de l’urgence et de la durabilité

mardi 23 mars 2010, par André Gattolin

Consensus sur le projet, hésitation sur le devenir… Dans cet article, André Gattolin,
maître de conférences associé à Paris 3 et délégué national adjoint d’Europe Écologie, revient
sur le sens de l’engagement de ce parti. Si le constat de la situation écologique semble
acquis, l’objectif de ce rassemblement – qui doit encore assurer ses fondations – est plus
délicat à mettre en mouvement car il pose fondamentalement la question de la transformation
écologique du politique. Europe Écologie ne peut se contenter d’invoquer la transformation,
il lui faut agir sur les institutions sans renoncer à défendre un projet bien souvent en contradiction
avec les finalités de notre système politique.

S’il fallait , en une formule simple, définir
l’objet social d’Europe Écologie – ce qui
fonde sa raison d’être dans l’espace
public –, on pourrait sans trahir la pensée
de celles et ceux qui ont participé à son
émergence le résumer ainsi : l’urgence
politique à engager la transformation écologique
de la société.

Ce processus de transformation doit
a minima s’inscrire dans trois champs :
l’économique, le social et le politique.
S’agissant du champ de la transformation
écologique du politique, celui auquel nous
nous attacherons plus particulièrement
dans cet article, nous devons reconnaître
sans nous voiler la face qu’il constitue la
question la plus délicate et la plus
immédiate pour Europe Écologie en tant
que rassemblement agissant et intervenant
sur le terrain politique.

Au moins trois questions fondamentales
se posent aujourd’hui à Europe Écologie
d’un point de vue éthique et "écopolitique"
 : 1) sa pérennisation politique ou
non ; 2) sa forme organisationnelle et les
modalités "démocratiques" de ses
instances ; 3) sa conformité-compatibilité
en tant qu’objet politique avec ce qui
constitue les fondements d’une écologie
politique éthiquement et socialement
acceptable.

Ancrer la transformation écologique du pouvoir

À la différence de la plupart des autres
formations politiques, nous nous refusons
à faire l’économie d’une réflexion critique
sur les moyens politiques que nous
mettons en œuvre au regard des finalités
auxquelles nous aspirons.

Autrement dit, les instruments organisationnels
dont nous avons commencé à
nous doter ne sauraient s’inscrire en
contradiction avec le projet que nous
portons pour la société dans sa globalité.
Concernant les valeurs qui guident notre
démarche, il faut rappeler que, depuis son
émergence dans le milieu des années 1960,
la culture de l’écologie politique s’est bâtie
dans le sillage de la pensée anti-autoritaire.
C’est cette culture d’essence
libertaire, pluraliste et tolérante qui nous
préserve – à condition de nous le rappeler
régulièrement – de la tentation des
minorités éclairées, fussent-elles écologistes,
d’agir autoritairement au seul
prétexte du bien de tous ou du plus grand
nombre. Une politique écologiste, même
juste, ne se décrète pas à partir d’une
instance de pur pouvoir.

Sans sombrer dans un fondamentalisme
aussi incantatoire qu’inefficace, reconnaissons
que le modèle politique de
l’écologie ne peut dissocier totalement son
projet collectif des pratiques individuelles.
Il y a longtemps déjà, André Breton disait
que pour "transformer le monde" il faut
aussi "changer la vie". Beaucoup plus
récemment, Peter Sloterdijk insistait sur
l’ "impératif absolu" de "changer TA vie"
(le "Tu" étant ici une adresse collective
autant qu’individuelle à l’endroit de
l’humanité). À l’évidence, il ne peut y avoir
de transformation durable et légitime de la
société qui puisse s’opérer sans l’acceptation
et la prise de responsabilité du plus
grand nombre.

On ne peut cependant pas renvoyer la
responsabilité collective d’une société à la
somme des responsabilités individuelles
considérées de manière indifférenciées. Oui,
responsabilités collectives et individuelles
sont interconnectées ; non, elles ne sont
pas identiques ou égales entre chacun des
individus ou des groupes acteurs de la
société. C’est le message porté par une
écologie véritablement politique et sociale
au regard d’une écologie purement incantatoire
qui diluerait la responsabilité de
chacun dans la responsabilité de tous.

Entrer dans l’arène politique (et pas
seulement dans l’arène électorale), ce n’est
pas seulement rechercher des consensus
dynamiques avec d’autres pour faire
évoluer le fonctionnement de la société.
Cela suppose aussi d’affronter ceux qui,
au premier rang, détruisent la planète et
d’accepter de rendre compte de son action
auprès des citoyens.

Un des points cardinaux de l’écologie
politique telle qu’incarnée aujourd’hui par
Europe Écologie est parfaitement exprimé
par Daniel Cohn-Bendit quand il affirme
qu’ "il faut penser radicalement la transformation
écologique de la société et agir
pragmatiquement à sa mise en œuvre". Le
pragmatisme politique de l’écologie ne
signifie cependant pas l’acceptation et la
conformation aux règles injustes d’un
système suranné, mais bien de définir les
partenariats civils qui permettront une
transition d’un modèle de pensée en faillite
vers des formes acceptables de rééquilibrage
de la société au regard de ses
environnements.

Avec ses forces et aussi ses faiblesses,
Europe Écologie incarne aujourd’hui assez
bien les valeurs de l’écologie politique à
l’épreuve de l’urgence et de la contrainte
"extérieure" que constitue le contexte
sociopolitique dans lequel ce mouvement-rassemblement
a émergé durant ces
derniers mois.

Il convient d’abord de rappeler que dans sa
forme initiale, Europe Écologie n’est pas
une formation arrêtée : elle a été constituée
à l’occasion des élections européennes de
2009 et officiellement déclarée "parti
politique" pour une durée au départ limitée
à un an. La forte espérance suscitée par
celle-ci au sein de l’opinion et la
perspective des élections régionales de
mars 2010 ont très récemment conduit les
Verts et leurs partenaires à prolonger son
existence pour une année supplémentaire.

Cooptation, négociation, stabilisation

Bien des voix à l’intérieur du rassemblement
s’élèvent contre le mode de
"cooptation-négociation" qui a prévalu lors
de la constitution, d’abord des listes
européennes, puis des listes régionales. Si
la méthode s’est avérée efficace lors du
scrutin européen et a quelques chances de
l’être aussi lors des régionales, elle n’est en
revanche pas satisfaisante dans la constitution
à plus long terme d’un courant
écologiste d’importance au sein d’un
espace politique national qui souffre déjà
d’une atrophie de ses mécanismes
démocratiques.

Il faut cependant, et sans la négliger pour
autant, relativiser la fameuse question de la
désignation "pseudo-démocratique" des
candidats qui a eu lieu à l’occasion de ces
deux scrutins. Jusqu’à l’heure, le seul cadre
véritablement et durablement institué au
sein de l’écologie politique en France était
le parti Vert. Au gré des saisons électorales
jusqu’en 2009, il recueillait des scores
électoraux oscillant entre quelques
centaines de milliers de voix et un peu
moins de deux millions de suffrages en se
fondant sur des processus de désignation
parfois un peu complexes et s’appuyant
sur une base d’adhérents dépassant
rarement 8 000 personnes, dont à peine la
moitié étaient actives lors des scrutins
internes. La terrible séquence des années
2000 (vaudeville de la désignation du
candidat vert à l’élection présidentielle de
2002 et résultats des scrutins présidentiel
et législatifs de 2007) a montré le danger
politique d’une formation partisane qui
s’était progressivement placée en "offshore"
par rapport à la société civile en
général (c’est là une dérive qui n’est
d’ailleurs pas propre au seul parti Vert),
mais aussi et surtout en "off-shore" à
l’endroit des autres expressions de la
culture de l’écologie politique dans ce pays.
Une des grandes vertus d’Europe Écologie
est d’avoir su, très opérationnellement,
rétablir des ponts entre la principale
formation écologiste, la grande nébuleuse
éco-mouvementiste et l’univers des ONG
et de grandes associations environnementalistes.
Elle a aussi ouvert – et surtout
rendu visibles – les problématiques écologistes
classiques à des domaines jusque-là
peu embrassés par le parti Vert. D’une
certaine manière, Europe Écologie a donné
corps à une cohabitation intelligente des
diverses pratiques écologistes dans un
cadre proprement politique et mis en
musique les composantes de ce que
Guattari nommait "les trois écologies".

Ainsi, et en dépit de sa forme pouvant
paraître parfois un peu "brutale", le principe
de cooptation a donc permis de renforcer
deux éléments démocratiques fondamentaux
 : la diversité et la pluralité des
composantes du rassemblement d’une part,
et l’élargissement de l’"assiette des populations
représentées", ce que d’aucuns appellent
la "base" ou le "peuple de l’écologie".

Au-delà de la précarité, les conditions de la durabilité

Admettons que ce qui fait la force actuelle
d’Europe Ecologie, mais aussi congénitalement
sa faiblesse pour demain, c’est
d’être un agencement politique
polymorphe, émergent, transitoire et transformiste.
Répété en des termes savants,
cela signifie qu’Europe Ecologie est un
pouvoir constituant et non un pouvoir
institué. Elle n’a pas été conçue suivant un
schéma théorique préétabli, mais elle a
répondu pragmatiquement à une urgence
tout autant politique qu’écologique.

Au passage, si le qualificatif d’OPNI ("Objet
Politique Non Identifié") qui est
fréquemment attaché à Europe Ecologie est
séduisant car il connote l’idée d’une forme
nouvelle ne relevant pas des canons traditionnels,
il est sur le fond très elliptique et
relativement inapproprié. Il serait plus juste
de désigner le rassemblement en
mouvement sous l’appellation "Europe
Ecologie" par un autre acronyme : "SPEED"
– Sujet Politique Ecologiste En Devenir –
pour signifier une "forme subordonnée à
l’urgence politique, de nature transitoire
car en construction permanente".

Si au lendemain des élections régionales
l’urgence écologique sera plus vive que
jamais, l’urgence politique qui a prévalu à
la mise en acte d’Europe Écologie devra
cependant s’autoriser un temps de réflexion
pour envisager sérieusement son devenir.
A notre sens, cette réflexion sur le "sujet
politique écologiste" devra se structurer
autour de deux objectifs qui, de fait, sont
étroitement liés : 1) Faire passer la politique
du système propriétaire à celui du logiciel
libre ; 2) "Politiser" la société civile en
même temps que "civiliser" la société
politique.

Sur le fond, la question majeure est celle de
savoir quelle forme politique permettra au
mieux d’assurer la "pollinisation" de nos
idées, de nos pratiques et de notre action
dans une société où l’implication politique
réelle ne concerne aujourd’hui guère plus
de 5 à 10 % de sa population. Car fondamentalement,
ce qui pose problème
aujourd’hui dans la "maison verte", ce
n’est pas la couleur des murs, mais bien les
murs eux-mêmes. La vocation d’Europe
Écologie n’est pas seulement d’ouvrir la
politique à la société civile, elle est aussi de
politiser-repolitiser cette société civile
suivant des paradigmes différents de ceux
qui ont eu cours au siècle dernier.

Pour cela, Europe Écologie doit engager
une nouvelle métamorphose et se doter
d’instances intelligentes pour faciliter sa
réflexion, son action et sa propagation au
sein de la société et à l’intérieur du champ
politique. Sans préempter le débat qui
s’ouvrira bientôt à ce sujet, nous
évoquerons ici et à titre personnel quelques
pistes qui nous paraissent essentielles dans
le cadre d’une démarche constituante.

D’abord, il nous semble qu’Europe Écologie
ne peut prendre corps sur la base d’une
simple rénovation et extension des murs de
ce qui a jusqu’à présent constitué le parti
Vert. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas
ici de liquider l’apport considérable que
cette formation politique a eu et continue
d’avoir dans l’incarnation d’une certaine
écologie politique en France.

Mais à défaut de prétendre pouvoir devenir
un véritablement "parti de masse", l’écologie
politique dans ce pays mérite mieux
que de demeurer un "parti de cadres" où
plus de la moitié de ses membres sont des
élus ou des collaborateurs d’élus. Pour être
en correspondance avec les réalités
multiples de l’écologie politique, la forme
organisationnelle qui doit voir le jour ne
peut continuer à consacrer l’essentiel de
son énergie aux seuls enjeux électoraux.

De la même manière, "Europe Écologie-
2.0" ne peut se satisfaire d’un principe de
transfert par cooptation des représentants
de l’écologie civile vers le champ des institutions
politiques représentatives. Entre
l’électeur, acteur très occasionnel du jeu
politique, et l’élu, acteur permanent et
professionnalisé du même jeu, les réalités
de l’implication politique laissent bien peu
d’espace aujourd’hui à une citoyenneté
active en dehors de la figure dévouée et de
plus en plus rare du militant désintéressé.

C’est là l’enjeu : un élargissement quantitatif
et qualitatif qui suppose au préalable
de se doter d’instances et de modalités de
fonctionnement à la fois plus démocratiques
et plus adaptées aux réalités de
notre époque. Pour éviter les logiques
représentatives en cascade qui étiolent la
vie, le débat et l’initiative politiques et qui,
in fine, créent toujours davantage de murs
entre l’univers "partidaire" et la société
civile, il faut inventer un corps politique
ouvert, évolutif et polycentrique. Il est
notamment nécessaire, à côté des mécanismes
représentatifs traditionnels, de faire
vivre nos principes démocratiques suivant
des modes sachant recourir à des pratiques
"assembléistes" et des modes d’action
"initiativistes" souvent usités par les
courants mouvementistes et les émanations
activistes de l’écologie politique.
Europe Écologie ne pourra se propager sur
les seuls fondements institutionnels du
parti Vert et un mode de délégation-représentation
en poupées russes.

Il devra avoir notamment l’audace de créer
de nouvelles instances de délibération et
de contrôle fondées sur des principes
innovants, comme celle par exemple qui
consisterait à instaurer une assemblée des
adhérents désignée par tirage au sort. Il
faudra aussi, au nom du respect de l’autonomie
de chacun, favoriser l’initiative des
individus et des groupes parties prenantes
du mouvement sans procédures lourdes de
validation, mais dans le cadre d’une charte
éthique et politique dont le mouvement à
intérêt à se doter. Pour s’ancrer véritablement
dans la société civile et oeuvrer
opérationnellement avec celles de ses
émanations sociales souhaitant accompagner
le mouvement, Europe Écologie
devra aussi définir les bases d’un "partenariat
sur objectif spécifique et partagé"
avec certaines instances associatives, syndicales
ou expertes. Ce statut d’ "associé
sur contrat" devra pouvoir trouver sa place
dans les instances formelles du fameux
"parti-réseau", souvent invoqué mais trop
rarement précisé.

Le 22 mars 2010, la dynamique de l’écologie
politique aura en France la tâche
d’entrer en phase constituante ; une étape
indispensable pour engager une véritable
transformation écologique de la société.