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Comment l’Europe se sanctuarise en créant des camps hors de ses frontières

octobre 2003, par GISTI

Après l’Europe forteresse, l’externalisation. L’Union européenne s’attache désormais à mettre en place des structures pour bloquer les migrants dans des camps, soit dans les pays d’origine, soit aux frontières de l’Union. Nous reprenons ici un communiqué du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) datant de juin 2003, au moment où la question devait être discutée lors du sommet européen de Thessalonique.

Le Parlement s’apprête à voter une réforme de l’asile qui inaugurerait la notion d’"asile interne" - c’est-à-dire la possibilité de refuser d’accueillir un demandeur d’asile si dans le pays qu’il fuit, même loin de chez lui, se trouve une zone où il pourrait être à l’abri. Cette introduction de la notion d’asile interne n’est en fait que la partie (française) émergée d’un iceberg européen, qui vise à remettre fondamentalement en cause la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés. Les quinze États membres de l’Union européenne envisagent en effet de mettre en place un programme d’"externalisation" de l’asile, qui pourrait être discuté au Conseil européen de Thessalonique à la fin du mois de juin 2003. Le principe, conçu pour "mieux gérer le dispositif d’asile en Europe" (comprenez : pour éviter d’avoir à accueillir trop de demandeurs d’asile), est simple et comprend deux volets :

1) L’instauration de "zones de protection régionale" (par exemple l’Iran, la Somalie, les États des Balkans ou la Turquie…), qui se trouveraient au plus près des pays de départ des populations contraintes à l’exil - parmi lesquelles d’éventuels candidats à l’asile. L’idée est de les empêcher de poursuivre leur route jusqu’à l’intérieur de l’Union, en leur assurant une "sécurité" sur place. L’histoire, avec Srebrenica par exemple, nous a appris ce qu’il en était parfois de ces garanties internationales de protection…

2) La création, dans ces zones ou dans d’autres pays non-membres de l’Union européenne (on a parlé de l’Albanie, de l’Ukraine, du Maroc…), de "centres de transit" où seraient déportés et maintenus, le temps d’instruire leur requête, les étrangers qui, ayant pénétré dans l’un des pays de l’Union, demandent l’asile. Ces centres pourraient être gérés par des organisations internationales, sous le contrôle du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). C’est seulement dans le cas où ils seraient reconnus réfugiés qu’ils pourraient revenir en Europe.

Selon Tony Blair, initiateur du projet, ce système permettra de répartir plus équitablement la "charge" que représentent les demandeurs d’asile dans les pays susceptibles de leur offrir une protection, et de dissuader "les faux demandeurs d’asile" en les empêchant de rester en Europe. Nicolas Sarkozy a récemment fait connaître son intérêt pour cette perspective. L’Espagne et l’Italie sont enthousiasmées par cette nouvelle façon d’envisager l’asile.

Le HCR, lui aussi, s’est dit favorable à la mise en place de solutions permettant une "meilleure répartition des responsabilités et de la "charge" que représentent les demandeurs d’asile" entre les pays de l’Union européenne, et approuve la création de camps fermés pour placer, hors d’Europe, les personnes qui utilisent "manifestement" la procédure d’asile pour contourner les lois sur l’immigration. (…) Jusqu’à ce que la Commission européenne rende, le 3 juin, un rapport dans lequel elle exprime des réserves par rapport à la proposition britannique, aucune communication officielle sur la délocalisation de l’asile que l’Union est en train de décider n’était disponible. Ni le Parlement européen, ni les Parlements nationaux n’ont été appelés à se prononcer sur ces projets de création de camps pour demandeurs d’asile. En France, au moment même où l’Assemblée nationale débat du projet de réforme de la loi sur l’asile, le gouvernement mène des discussions avec ses partenaires européens sans aucune information du public ni des associations concernées. La presse n’en a pas fait état. Or la sanctuarisation de l’Union européenne qui se dessine ainsi a pour objet et aura pour effet de neutraliser l’application de la Convention de Genève. Car si celle-ci ne fait pas obligation aux États d’accueillir les demandeurs d’asile, elle n’en pose pas moins un principe de non-refoulement. Et un système qui consiste à éloigner d’emblée les réfugiés du pays où ils ont présenté leur requête, et à les enfermer dans un centre de transit à des milliers de kilomètres est, à l’évidence, en totale contradiction avec l’esprit de Genève !

Pourquoi ne pas imaginer ensuite que l’Union charge, moyennant finance, des États tiers de garder chez eux ceux à qui elle aurait finalement reconnu le statut de réfugié, et ne les fasse entrer qu’en fonction de ses besoins de main d’œuvre ?

Petit à petit, dans le cadre d’une confidentialité aussi peu démocratique que possible, l’Europe place des persécutés en quarantaine exactement comme s’il s’agissait de pestiférés.


Plus d’informations : http://www.gisti.org.