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La construction de la gauche écologiste : un mythe ? La réalité d’un chemin difficile

octobre 2003, par Catherine Grèze

Catherine Grèze est membre des Verts et participe depuis quelques années au
Comité exécutif de la Fédération Européenne des Partis Verts. Elle nous
livre cette expérience européenne dans un tableau des contradictions du
mouvement vert européen, entre particularités nationales et grandes
fractures telle la participation ou non à l’Union européenne, à un moment
clef qui est celui de l’organisation de partis politiques à l’échelle
continentale.

De la Fédération Européenne des Partis Verts au parti vert européen : Différentes approches d’une construction

1."H"istoire/histoire :

Chacun le sait : il y a l’Histoire avec un grand "H" et l’histoire avec un petit "h". Il ne faut pas se voiler la face, le mouvement écologiste ne s’inscrit (pas encore) ­dans la première catégorie. Celle-ci regroupe ceux qui "ont fait" l’Histoire du XXe siècle : la Grande Guerre, la Résistance, la fin du colonialisme, les grandes luttes syndicales, etc.
Pourtant, les Verts ont, un peu partout, en Europe et ailleurs, déjà une histoire et parce que leur projet est à la fois en rupture avec un projet productiviste qui a fait l’unanimité de la classe politique du siècle passé et en phase avec les enjeux actuels et de demain de notre planète, ils s’inscriront dans l’Histoire.

2. Une dimension pan-européenne :

Les pages des quotidiens renvoient sans cesse, au pire aux "chamailleries" de quelques leaders, au mieux au "modèle" des grands frères allemands, parfois à quelques apparitions des "cousins" belges ou des députés de l’Union européenne et toujours de manière très discrète aux luttes de terrain. Une chose est sûre, ils ne font jamais état de la dimension verte européenne au sens "vrai" du terme, c’est-à-dire de la Norvège à Malte et peut-être jusqu’à l’Oural !

La construction du mouvement vert à l’Ouest s’est faite essentiellement à partir de la lutte anti-nucléaire, pacifiste et associative puis de la "convergence culturelle" réussie avec une partie du monde syndicaliste et de l’extrême gauche.
L’histoire de la construction du mouvement écologiste à l’Est est tout autre. Les Verts viennent des mouvements de citoyens mobilisés contre le communisme d’Etat : ils sont nés dans la clandestinité et se sont développés avec la chute du mur de Berlin.
Ces deux trajectoires sont essentielles pour comprendre les positionnements politiques des uns et des autres aujourd’hui, avec leurs lots de contradictions et les difficultés pour une construction commune.
Les jeunes partis verts à l’Est sont encore foncièrement "anti-communistes" et utilisent avec méfiance le terme de "gauche" au sens où nous l’entendons : c’est un "choc" pour un écologiste ukrainien que son "frère" du Portugal soit en alliance systématique avec le PC portugais ou pour un Roumain que le parti vert français soit dans le même gouvernement que le parti communiste.
S’ajoutent au contexte historique, des approches culturelles et religieuses contrastées. A Malte, pays foncièrement catholique, le divorce n’est pas encore légal et même les Verts n’osent pas citer ce mot dans leurs campagnes, quant à parler d’avortement… En Roumanie, l’homosexualité est toujours considérée comme un délit passible de prison et rares sont les voix qui dans la société osent exprimer un avis nuancé, voire contraire.

Pourtant, les signes d’une évolution sont là : les "vieux" des "jeunes" partis verts sont peu à peu remplacés dans les structures de "leur parti" par une nouvelle génération, venue aux Verts par les luttes associatives, environnementales, sociales et alter-mondialistes : c’est le cas typique de la Tchéquie. La parole unique du vieux président aux cheveux blancs ­toujours masculin au demeurant ­a été remplacée par une génération étudiante qui a su attirer les leaders de Greenpeace ou des anciens du Printemps de Prague comme Petr Uhl. Le dernier Congrès a définitivement tourné une page de l’histoire.
Sur le fond aussi, les signes ne trompent pas comme l’illustre bien le cas de la Pologne. Traditionnellement catholiques, les mouvements écologistes s’inscrivaient dans cette mouvance "chrétienne" et par voie de conséquence anti-avortement par exemple. Aujourd’hui les rencontres se multiplient avec les groupes de femmes structurés afin de construire une organisation politique commune.

Ces images ne doivent pas être caricaturales de l’ensemble de l’Est : en Hongrie, par exemple, l’héritage communiste a laissé une place toujours prépondérante aux femmes et les Verts en sont eux aussi l’expression.

Par contre, si un élément est bien commun à tous les Verts de l’ex-bloc de l’Est, ce sont les difficultés financières, logistiques et linguistiques : à cet égard des pays comme l’Albanie ou la Moldavie qui sont économiquement ravagés ont bien du mal à s’inscrire dans une démarche de réflexion politique commune. De même, ces éléments ont été déterminants dans les tentatives d’infiltration de quelques partis verts d’ex-URSS, où on a pu craindre une influence mafieuse.

Pourtant, malgré toutes ces différences, l’histoire verte a eu la volonté d’intégrer la dimension paneuropéenne dans sa construction et ce dès le départ. La Fédération Européenne des Partis Verts née en 1993 comprend aujourd’hui trente partis et les débats y sont menés en sont sein y compris sur les questions qui ne font pas unanimité : femmes, fédéralisme, rapport à l’OTAN et politique de sécurité, etc.

A l’Est comme à l’Ouest : le déséquilibre institutionnel

Contrairement à d’autres familles politiques, les Verts n’étant pas prédominants dans leurs pays respectifs, ont encore une représentativité très contrastée, ce qui ne facilite pas une construction commune. Petit parti, gros parti : la notion est toutefois très relative si l’on considère les Verts français aujourd’hui ou quinze ans en arrière, par exemple.

La faiblesse ou la force de la représentativité écologiste ne sont pas uniquement liées au projet politique mais aussi aux systèmes politiques en vigueur. Les systèmes proportionnels allemand et belge favorisent la famille écologiste alors qu’à l’inverse le bipartisme anglais ou maltais la dessert totalement, tandis que le système français pousse à des alliances.
L’autre élément à prendre en considération est l’histoire politique différente selon les pays et ce, y compris à l’Ouest. Ainsi la "niche" politique verte est déjà occupée par d’autres forces : alternatives en Grèce ou régionalistes en Espagne. Plus au Nord, SF, issu de la mouvance communiste ou socialiste, qui revendique au Parlement européen l’appellation de "Gauche Verte Nordique", mais est rattaché au Groupe de la Gauche Unitaire Européenne (communiste) concurrence les Verts en Suède ou en Finlande et ne leur laisse aucune place au Danemark et en Norvège.

Malgré un projet et une vision commune de la société, basés sur le rapport au productivisme, le positionnement sur les questions nucléaires et énergétiques, de citoyenneté participative, de paix, de rapports Nord/Sud,) les déclinaisons politiques sont très différentes selon l’histoire, la culture et le système politique des pays concernés : autant de difficultés à surpasser pour une construction commune !

Au plan de la stratégie politique, la représentation institutionnelle dans des gouvernements et les coalitions parfois contradictoires avec notre prisme politique ne facilitent pas la lisibilité d’une gauche écologiste européenne : c’est par exemple le cas du Portugal, où les écologistes sont élus sur les listes d’un PC encore marqué par le stalinisme alors qu’à l’inverse en Pologne, ils faisaient partie d’une plate-forme de centre droit.

Un rapport mitigé avec le concept de "gauche"

Ce qui précède montre que le rapport au concept de "gauche" tel que nous, Français, l’entendons, ne fait pas l’unanimité du mouvement écologiste dans sa définition.
Il y a l’Histoire à l’Est, le contexte politique en Scandinavie. Pourtant là encore la simplification serait réductrice : les Verts finlandais étaient membres d’un gouvernement large de centre droit mais leur participation reposait sur la base d’un contrat programmatique et ils n’ont pas hésité à quitter le gouvernement quand la construction d’une cinquième centrale nucléaire a été décidée ! (Pour mémoire, le budget total du ministère de l’environnement et de la coopération représentait 10 % du budget total.)
Plus proche de nous géographiquement, Déi Gréng, le parti vert luxembourgeois, n’hésite pas à gérer des communes en coalition avec la droite, mais toujours sur la base d’un contrat programmatique. Ecolo, en Belgique, a participé pendant quatre ans au gouvernement, aux côtés des libéraux et les Verts autrichiens négociaient il y a quelques mois une éventuelle participation gouvernementale avec les chrétiens démocrates : là encore très en détail sur une base programmatique.

Beaucoup de partis estiment qu’une social-démocratie vieillissante et conservatrice ou au contraire libérale à la Blair, n’est pas foncièrement différente d’une démocratie chrétienne un peu sociale et que le rapport de force doit être construit face à ces deux familles qui tendent de fait à se rapprocher. Evidemment, l’épisode Raffarin, en France, conduit à une analyse différente.
Mais la conclusion est bien qu’une construction commune ne peut aboutir que sur un projet programmatique puis politique commun, doublé d’une réflexion stratégique commune de notre rapport à la social-démocratie.

Rapport à la "société civile", mouvement alter-mondialiste

Si la réflexion du positionnement écologiste par rapport aux différentes familles politiques est essentielles, une autre réflexion est tout aussi capitale pour construire un mouvement qui offre une voie alternative : celle du rapport à la "société civile".

Comme nous l’avons vu, les partis verts sont nés, à la fin des années 70, de la société civile (mouvements associatifs, féministes, de consommateurs, antinucléaires, pacifistes, citoyens, ou Bürgerinitiativen en Allemagne) .
Celle-ci ne trouvait pas de débouché politique satisfaisant dans les partis politiques traditionnels . Pour sortir de la logique de simple groupe de pression, la création de nouveaux partis s’avérait donc nécessaire.
D’autant que l’extrême gauche avait montré ses impasses et apparaissait sclérosée et sourde à ces nouvelles revendications . L’importance de la crise écologiste planétaire a donné une couleur verte à ces nouveaux partis qui ne se cantonnaient pourtant pas aux simples luttes environnementales .

Pourtant, force est de constater que depuis plusieurs années se développent de nouveaux mouvements citoyens, associatifs, alter-mondialistes, qui, s’ils occupent un espace social important, ne se traduisent pas en force électorale car dispersés entre vote vert, régionaliste, extrême gauche, communiste ou abstention. Les Verts fortement présents dans ces mouvements sont tour à tour taxés de suivisme et de récupération. L’articulation entre les partis verts et ces différents mouvements est un des enjeux essentiels de ces prochaines années.

La construction institutionnelle et ses aléas

Les succès électoraux des écologistes un peu partout en Europe dans les années 90 les ont conduit au gouvernement dans onze pays : une crédibilité certaine pour l’ensemble de la famille politique verte en a découlé.
Pourtant, aujourd’hui, seules la Lettonie et l’Allemagne ont encore des ministres verts.
Au-delà des raisons conjoncturelles qui ont amené les Verts à quitter leur gouvernement (démission liée à une politique pro-nucléaire en Finlande, défaite électorale de la coalition électorale en France et en Italie ou du seul parti vert en Belgique et en Slovaquie), le bilan de ces premières expériences gouvernementales est pour le moins mitigé et souvent critiqué au sein même des partis écologistes. Les résultats obtenus dans des compromis avec des partenaires ont paru très insuffisants aux militants engagés dans les luttes de terrain et beaucoup de partis verts débattent aujourd’hui de leur future stratégie.
Plusieurs orientations s’opposent : celle d’un repli identitaire vers un parti écologiste purement environnemental ou vers le monde contestataire à travers la vie associative type Attac ou Greenpeace ou, à l’opposé, celle de l’absorption dans une "grande gauche" qui noierait le projet écologiste dans la social-démocratie. Si cette tentation existe chez Agalev, en Belgique flamande et chez une partie des Verts français, elle n’est pas partagée y compris par l’aile realo d’Ecolo qui a tiré comme enseignement principal de la dernière défaite électorale la nécessité de mieux construire un rapport de force en rendant plus lisible le projet écologiste.

le Parti Européen, une opportunité ?

C’est bien dans ce contexte politique général (luttes sociales, alter-mondialistes) qu’il faut replacer la construction d’un mouvement écologiste européen ; le parti européen doit être utilisé comme une opportunité, l’occasion de faire un pas en avant.

1. Rappel du cadre institutionnel

Le cadre institutionnel, à proprement parler, est à distinguer du débat sur l’orientation politique que nous voulons donner au futur parti vert européen.
L’idée de partis européens est présente depuis longtemps dans les traités.
Les traités de Nice et de Maastricht en ont donné les contours juridiques.
Le cadre institutionnel en vigueur avant le Traité de Nice impliquait des décisions en Conseil des Ministres à l’unanimité. Depuis le 1er février, le cadre institutionnel a changé : le traité de Nice est en vigueur et c’est la co-décision (Conseil des Ministres + Parlement) qui s’applique. La Commission, le Parlement et les états membres doivent donc se mettre d’accord sur la définition des critères d’un parti politique européen. D’ici la fin de l’année les partis européens entreront en vigueur, ce qui en clair signifie leur possibilité de financement directement par l’Union Européenne et a contrario l’impossibilité pour les groupes politiques actuels au Parlement Européen de financer les fédérations.
La Fédération Européenne des Partis Verts s’est donc mise en conformité statutaire pour remplir les critères nécessaires pour recevoir le financement de l’Union européenne en tant que parti européen. Le vote final sur ses statuts aura lieu au Conseil de Luxembourg, en novembre.
L’objectif du groupe de travail ayant conduit à la réforme des statuts de la fédération était clair : "établir une structure souple pour les Verts européens, au sein de laquelle tous les partis aient leur place, qu’ils soient membres de l’Union européenne ou pas et avec des priorités politiques différentes, mais qui en même temps permette une coopération plus étroite au sein de l’Union européenne".

Le premier débat a porté sur les différentes significations culturelles du concept de "parti écologiste européen".
La plupart des sujets en discussion, liés aux différentes visions culturelles (ex. : dons des entreprises privées) aussi bien que politiques (vision fédéraliste ou pas, vision pro "U.E."ou "paneuropéenne" de l’Europe) au sein même des Verts européens ne sont pas le résultat de la discussion sur le statut de partis européens. Le statut des partis membres des pays qui ne sont ni de l’Union européenne, ni candidats (Russie, Ukraine, Georgie, etc.) pose encore problème. Le groupe de réforme des statuts a tenté de faire des propositions qui articulent le caractère paneuropéen et les critères de l’Union Européenne pour le financement.
Au final, malgré le souhait de certains eurodéputés de créer une structure nouvelle sous l’appellation "Parti européen" avec une connotation très "Union européenne" et une coopération renforcée entre les "grands partis", c’est la vision paneuropéenne qui a prévalu et le parti vert européen existera donc officiellement dès le Conseil de Luxembourg en novembre prochain.

2. La campagne européenne 2004

Le lancement médiatique du parti vert européen se fera au Congrès des Verts européens en février 2004, à Rome.
Pour autant, la vocation du parti européen ne se réduit pas à l’animation d’une campagne électorale : sa mise en place s’inscrit pour une construction politique dans la durée.

L’idée est de saisir l’opportunité institutionnelle pour renforcer le sentiment d’unité des citoyens européens et des militants verts européens.

Conclusion

C’est avec la conscience de la responsabilité politique face aux enjeux planétaires que doit se faire la construction d’un mouvement écologiste tant à l’échelle européenne que mondiale.
D’un côté, les atteintes à l’environnement (réchauffement climatique, nucléaire) et une mondialisation déclinée sous tous ses aspects (dont les conséquences sont le renforcement des inégalités sociales, avec une privatisation toujours plus grande des bénéfices et une mutualisation toujours plus grande des coûts, tant entre pays du Nord et du Sud, qu’à l’intérieur même de chacun d’entre eux) illustrent la nécessité évidente d’apporter une réponse au-delà de nos frontières nationales étriquées.
De l’autre côté, la maturation politique et la représentation croissante des partis verts un peu partout dans le monde nous donnent aujourd’hui la possibilité non seulement de dénoncer mais aussi de définir ensemble des stratégies pour renforcer notre action.
Il ne s’agit pas de masquer nos différences : elles existent, elles sont d’ordre culturel, historique et même politique. Nous n’avons pas tous la même vision du rapport entre l’homme et la nature, et nous ne sommes, bien sûr, pas unanimes sur tout : le débat existe, tant entre partis qu’à l’intérieur même des partis.
Mais l’essentiel est là : notre orientation politique autour de valeurs communes concrétisée par un plan d’actions politiques.

Avec toutes nos imperfections, le doute n’est plus permis : les quinze dernière années ont marqué de façon définitive l’émergence d’un nouveau courant politique de dimension européenne voire mondiale : les Verts.