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L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie

Hervé Kempf, Le Seuil, 2011, 192 pages, 14 euros.

avril 2011, par Pierre Thiesset

Copenhague, 16 décembre 2009. Lors du sommet des Nations unies sur le climat, Hugo Chavez brandit à la tribune le livre d’un journaliste français, Comment les riches détruisent la planète. Publié en 2007 et traduit en plusieurs langues, cet ouvrage retentissant a fait d’Hervé Kempf une figure de l’écologie politique. Cette stature sera renforcée par un second succès, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (2009).

Avec L’Oligarchie ça suffit, vive la démocratie, Hervé Kempf poursuit sa réflexion liant lutte écologique et lutte des classes. Son analyse percutante, condensée et documentée, frappe fort, encore. L’auteur, qui écrit au Monde et sur reporterre.net, constate : « Les oligarques ont repris le pouvoir. Bouffis de morgue et de suffisance, ils pressurent le peuple, détruisent la nature, bafouent toute règle. »

Alors que certains écologistes en viennent à remettre en cause la démocratie pour promouvoir un régime autoritaire qui prendrait en charge la pénurie et imposerait des restrictions [1], Hervé Kempf dénonce leur aveuglement. Si nous étions en démocratie, cela supposerait que le peuple gouverne et que ses représentants mettent en œuvre leur volonté. Nous en sommes loin. C’est l’oligarchie qui règne, « le pouvoir de quelques-uns, qui délibèrent entre eux des solutions qu’ils vont imposer à tous ».

Une élite dirigeante formée dans les grandes écoles contrôle la destinée collective. Pour entrer dans cette caste, une seule condition : l’argent. « Quelle est la valeur qui, en régime capitaliste, confère prestige et statut ? La fortune. Le critère pour dessiner la classe des oligarques est donc simple : le revenu et le capital. » Le journaliste n’hésite pas à parler de ploutocratie. Le pouvoir, fondé sur la richesse, se transmet de génération en génération. Il s’appuie sur une conscience de classe aiguë : les membres de l’oligarchie sont solidaires, partagent une même idéologie, contrôlent les médias, se réunissent dans des clubs ultra select où ils cimentent leur union (Davos, Le Siècle, Bilderberg, la Trilatérale, les conseils d’administration des grandes entreprises…). Le pouvoir politique et économique est parfaitement imbriqué. Comme en témoignent les allers-retours entre État et entreprises privées de barons comme Dominique Strauss-Kahn. Ces seigneurs parlent de rapport « décomplexé » à l’argent. Hervé Kempf préfère qualifier de « corruption » cet abus d’une fonction publique, utilisée à des fins d’enrichissement personnel.

Cette élite médiocre, coupée du monde et méprisante, n’a pour seul idéal que la cupidité. « Le comportement de l’oligarchie est fondamentalement vicié, (...) sa morale est pervertie, (...) elle place son profit au-dessus de l’intérêt général. » Egoïstes, indifférents au sort commun, « les puissants visent d’abord la conservation de leur puissance », la poursuite de leur avidité insatiable et de leur « voracité destructrice ». Leur obsession de la croissance, érigée comme objectif incontournable, véritable religion que l’on ne peut critiquer sans être taxé d’hérétique, sert leurs profits : « Le système social est aujourd’hui organisé pour attribuer la plus grande part possible du produit de l’activité collective à un petit nombre de membres dirigeant la société. »

Mais leur domination ne repose que sur la fragmentation du peuple en une masse d’individus isolés, qui ont perdu leur conscience de classe au profit d’une lutte pour la consommation ostentatoire. A l’heure où le déclassement touche une large partie des classes moyennes, et notamment les jeunes générations [2], nous assistons à une nouvelle polarisation sociale. Le creusement des inégalités devient insupportable quand le sommet de la pyramide se détache et que les plus hauts revenus poursuivent leur ascension. Une volonté d’en découdre s’exprime clairement depuis la fin des années 1990 : les éditorialistes, membres de l’oligarchie et imbus d’eux-mêmes, ont beau railler les manifestants, le peuple est capable de se soulever (après le plan Juppé de 1995, le même scénario s’est répété contre la réforme Fillon de 2003, le Traité constitutionnel de 2005, le contrat première embauche de 2006, la réforme des retraites de 2010…). Dans toute l’Europe se multiplient les luttes contre les plans d’austérité imposés par les agences de notation. Les élites sont désavouées, les médias dénoncés, l’abstention devient majoritaire lors des élections. L’oligarchie et le capitalisme ne fédèrent plus.

Dans la lignée de ses précédents ouvrages, Hervé Kempf appelle à limiter drastiquement le train de vie des dominants pour leur opposer la liberté, la sobriété et le partage. Ce qui impose une démocratie radicale, et rend inévitable la confrontation du peuple contre ceux qui monopolisent le pouvoir. L’Oligarchie ça suffit, vive la démocratie : la lutte écologiste est une lutte des classes.


[1Voir EcoRev’ n° 34, « Urgence écologique, urgence démocratique », hiver 2009-2010.

[2Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Le Seuil, 2006 ; Camille Peugny, Le Déclassement, Grasset, 2009.