Accueil > Les dossiers > De l’automne 2002 à l’été 2003, du n° 10 au 13 > N° 10 (automne 2002) / scénarios pour une france sans nucléaire > dossier : scénarios pour une france sans nucléaire > Le nucléaire américain : une crise ancienne et durable

Le nucléaire américain : une crise ancienne et durable

par Yves Marignac, Directeur adjoint de WISE-Paris

octobre 2002, par Yves Marignac

Malgré l’absence très remarquée de Georges W. Bush au récent Sommet de la
Terre, les Etats-Unis se sont sans complexe posés à Johannesbourg en
« champions mondiaux du développement durable ». Un comble pour un pays qui
refuse de ratifier le Protocole de Kyoto alors qu’il représente moins de
5 % de la population mondiale, mais est responsable de 30 % au moins des
émissions de gaz à effet de serre.

Mais les Etats-Unis sont également les leaders mondiaux du nucléaire, avec
un parc de 104 réacteurs qui assure 30 % de la production électronucléaire
mondiale, et qui décharge chaque année environ 2000 tonnes de combustibles
usés. Toutefois, dans un contexte international morose pour cette
industrie, le nucléaire américain n’échappe pas à la crise.

La situation du nucléaire aux Etats-Unis apporte aux moins deux
enseignements.

D’une part, le parallèle entre le gaspillage d’énergie fossile et le
développement de l’industrie atomique aux Etats-Unis tord le cou à l’idée
simpliste selon laquelle le nucléaire serait la parade à l’effet de serre.
Risque nucléaire et changement climatique sont en réalité deux effets parmi
les plus néfastes d’un même mode de développement, mélange de productivisme
et de consumérisme, qu’incarne justement le géant américain.

D’autre part, les maux qui rongent le nucléaire sont si profonds que le
soutien des plus hautes autorités politiques ne suffit pas à relancer cette
industrie. Ainsi, le plan énergétique présenté en février 2001 par le Vice-
Président Dick Cheney, acclamé ou dénoncé pour ses objectifs de
construction de nouveaux réacteurs, n’a pas amorcé la dynamique promise.

Aucun projet de construction de nouveau réacteur n’a été engagé, ni même
simplement annoncé, par les exploitants depuis un an et demi malgré cette
conjoncture apparemment favorable. Le nucléaire reste tout simplement, aux
Etats-Unis comme ailleurs, une technologie peu attractive pour les
investisseurs : il est cher, manque de flexibilité, n’est rentable qu’à
long terme, présente des risques financiers liés à la gestion de déchets ou
à la responsabilité civile et s’expose à des mouvements hostiles de
l’opinion publique.

Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Au total, les Etats-Unis ont enregistré
47 arrêts de réacteurs (les plus anciens) et 138 annulations de commandes,
dont plus de 60 avant même l’accident de Three Mile Island, survenu en
mars 1979. La dernière commande qui ait abouti remonte à 1973 ; et il n’y a
eu aucune commande depuis 1978.

L’un des problèmes les plus aigus est celui de la gestion des déchets à vie
longue, qui n’est pas résolu alors que ces déchets - principalement le
combustible usé - s’entassent depuis plus de 40 ans. Le projet des
autorités fédérales, un enfouissement sur le site de Yucca
Mountain (Nevada), reste après 24 années de débats et 4 milliards de
dollars d’études officielles si contesté sur le plan scientifique et
politique que l’approbation du Sénat et une résolution signée du Président
Bush, en juillet 2002, n’ont pas suffi à débloquer la situation.

Enfin, la perspective d’une renaissance du nucléaire américain s’est un peu
plus éloignée après les attentats du 11 septembre 2001 : pas plus
qu’ailleurs, les réacteurs construits aux Etats-Unis ne résisteraient à une
attaque similaire, qui pourrait provoquer une catastrophe.

Dans cette crise, un seul secteur connaît une forte expansion :
l’assainissement et le démantèlement des installations et des stocks du
nucléaire militaire devenus obsolètes après la fin de la guerre froide et
les accords de désarmement partiel passés avec la Russie.