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Heur et malheur du pacifisme occidental

Pacifisme et transformations militaires dans les démocraties contemporaines

avril 2003, par Jean-Philippe Lecomte

Maître de conférences en science politique à l’Université François Rabelais de Tours, Jean-Philippe Lecomte travaille sur la place de la violence, de la guerre et des institutions militaires dans la société et les systèmes de représentations, et prépare actuellement un ouvrage consacré aux mythologies politiques du service militaire en France (à paraître aux Presses Universitaire de Rennes). Dans ce texte, il analyse l’impact de l’évolution des pratiques militaires sur la pensée pacifiste. Les rapports du pacifisme aux institutions militaires apparaissent plus ambigus, nécessitant une réévaluation des principes originels de cette antique pensée…

La guerre semble ne plus être ce qu’elle était. Depuis la fin de la guerre froide, il n’est pratiquement aucune opération militaire occidentale qui n’ait été avalisée et légitimée par une organisation internationale (et dans certains cas par des ONG humanitaires investies sur le théâtre des opérations) et conduite avec l’objectif affiché de réduire au maximum les pertes humaines (de tous les belligérants). Ces mutations de la guerre posent à ses ennemis d’antan une question évidente : si la guerre "s’humanise", doit-on (et peut-on) continuer de la condamner avec la même force ? Bien sûr, on peut considérer que ces ­"améliorations" restent insuffisantes ou qu’elles ne sont qu’une façade derrière laquelle l’insupportable violence de la guerre demeure intacte. Mais, si cette dernière conception justifie la permanence d’une opposition pacifiste, elle se heurte néanmoins à un problème pratique de taille : comment mobiliser l’opinion publique contre une guerre apparaissant simultanément plus légitime dans ses fondements et plus acceptable dans ses formes ? En outre, ces mutations dans la manière de faire la guerre, vont de pair avec une transformation tout aussi importante des enjeux militaires et de la forme des armées occidentales. Comment, dès lors, mobiliser contre la guerre des populations qui n’ont plus à la subir sur leur territoire et n’ont plus à la faire, ayant délégué cette tâche à des armées professionnelles ?

Même en s’en tenant à l’étymologie, si l’on s’écarte d’un sens commun qui tend à s’estimer quitte en l’assimilant à l’amour et à la recherche de la paix, il faut reconnaître que le pacifisme se laisse difficilement définir. Tant dans ses principes que dans ses incarnations historiques successives, il se présente comme une diversité complexe d’idées, d’attitudes et de comportements. Sans doute son but ultime peut-il sembler clair, mais les moyens qu’il se donnera pour l’atteindre, les fins intermédiaires qu’il visera ou acceptera, eux, le sont beaucoup moins. Car du rêve d’une paix universelle au désir de paix à tout prix, il y a place pour nombre de refus ou d’acceptations. Plutôt que de partir de l’identité des acteurs et mouvements pacifistes - en posant une série de catégorisations (pacifisme chrétien, humaniste, anarchiste, etc.) ou d’oppositions (pacifisme d’inspiration morale vs pacifisme d’inspiration politique, etc.) intéressantes mais insuffisantes [1] - Il semble possible de mettre un peu d’ordre dans cette diversité en précisant la nature des relations existant, ayant existé ou pouvant exister, entre le(s) pacifisme(s) et les activités militaires, d’une part, les institutions militaires, d’autre part. Différentes formes de pacifismes peuvent alors être distinguées, selon la façon dont elles conçoivent leur opposition aux unes et/ou aux autres. Pacifismes qui, selon ces différentes (op)positions, paraissent devoir être plus ou moins affaiblis ou remis en question par les mutations du champ militaire.

S’agissant du rapport entre pacifisme et activités militaires, il semble possible de s’en tenir au constat relativement simple d’un rapport d’opposition absolue. Fondamentalement, parce que l’état de guerre constitue par définition l’antithèse absolue de l’horizon de tous les pacifismes. Mais aussi parce que nombre de mouvements pacifistes se nourrissent d’une condamnation plus générale de la violence, dont l’activité militaire/guerrière constitue une forme d’apogée. Non seulement parce que dans la recherche de la destruction des forces de l’adversaire cette violence atteint des degrés particulièrement élevés, mais aussi parce qu’en situation de combat, la violence apparaît redoublée, simultanément subie et infligée par les combattants. Cette opposition de principe à la violence, cette condamnation morale, apparaît centrale dans les pacifismes d’inspiration religieuse (chrétienne en particulier) ou affichés par les groupes sectaires (Krishna…).
Les rapports du pacifisme aux institutions militaires apparaissent, eux, plus ambigus. Dans certains cas, cette condamnation de principe de l’activité militaire s’étend à ceux qui l’exercent. Non seulement il ne saurait alors y avoir de forme "bonne" de l’institution militaire, mais celle-ci peut même être tenue pour principal (sinon unique) responsable de la survenance des guerres. Et le "A bas toutes les armées" que reprirent presque tous les mouvements anarchistes depuis la fin du XIXe siècle, s’accompagne souvent d’une condamnation des généraux "va-t-en guerre". Ici, pacifisme et antimilitarisme, souvent alliés, de surcroît, à un vif sentiment antimilitaire, se rejoignent et s’épaulent l’un l’autre [2]. Ainsi retrouve-t-on aujourd’hui encore dans le pacifisme de la CNT-AIT une condamnation indistincte de la guerre "pour elle-même" et en tant qu’elle contribue à asseoir le pouvoir (politique) des militaires et, par là, l’ordre social, puisque " une armée sert toujours les mêmes buts : contrôle des populations et répression des mouvements sociaux à l’intérieur du pays, soutien de l’impérialisme et des intérêts de l’Etat français à l’étranger. Nous savons que tout mouvement qui veut changer l’ordre social trouve tôt ou tard sur sa route les militaires, fidèles gardiens des riches et des puissants. " [3]

Mais ni la recherche de la paix, ni le pacifisme ne supposent nécessairement cette condamnation sans appel des institutions militaires et des forces armées. Pas plus en principes, qu’au vu de la diversité des acteurs et des mouvements qui ont composé l’histoire fragmentée du pacifisme. Non seulement, l’objectif de la paix peut s’accommoder de l’existence de forces armées, mais ces dernières peuvent même être conçues comme la garantie de la première. Ainsi, le Projet de paix perpétuelle de Kant, s’il appelle à la disparition des armées permanentes, conçues comme facteur de guerre, fait-il pour partie reposer la paix entre les Etats sur la forme des régimes, mais aussi, implicitement, des armées. Récusant les formes des institutions militaires de son temps, et particulièrement les armées permanentes, il ne remet pas en cause la légitimité de la fonction militaire. Et c’est précisément dans l’exercice de cette fonction par les citoyens eux-mêmes qu’il veut voir le premier obstacle à la survenance des guerres : "la constitution républicaine […] offre la perspective de la conséquence souhaitée, à savoir la paix perpétuelle, dont le fondement est le suivant. Quand (et ce ne peut être autrement dans cette constitution) on exige l’assentiment des citoyens pour décider si une guerre doit avoir lieu ou non, il n’y a rien de plus naturel que, étant donné qu’il leur faudrait décider de supporter toutes les horreurs de la guerre (comme combattre soi-même […] ), ils réfléchissent beaucoup avant de commencer un jeu aussi néfaste…" (Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle, Paris, GF-Flammarion, 1991 [1795], p.85-86) On peut encore retrouver ce type de pacifisme "rationalisé", départi de l’idéalisme et de la répugnance instinctive de certaines formes de non-violence, dans les analyses fondant la paix, non sur un inaccessible désarmement universel, mais sur un système de dissuasion dans lequel c’est précisément l’existence des forces armées, la crédibilité de leur usage et de leur efficacité qui prévient la guerre.

Les liens très étroits que le pacifisme entretient avec ce double objet de sa critique invitent à s’interroger sur son devenir au moment où tant les formes de la guerre menée par les démocraties occidentales que les formats et les missions de leurs armées connaissent de très importantes mutations. En d’autres termes, ces évolutions sont-elles susceptibles de transformer ou d’affaiblir le pacifisme, notamment en le privant de tout ou partie de son objet et de son ressort ? Sans entrer dans le détail de transformations que nombre de travaux de sociologie militaire ont étudié depuis qu’elles ont commencé de se faire jour, on peut tenter de dégager les effets possibles, sur les mouvements et les mobilisations pacifistes, de deux de ces évolutions majeures :
– d’une part, l’objectif, désormais presque systématiquement affiché par les démocraties occidentales, de mener des guerres à "zéro morts" (Kosovo 1999, Afghanistan 2001…) ;
– d’autre part, la transformation simultanée des missions et du format des armées en forces d’intervention ou d’interposition, agissant hors (et souvent loin) de leurs territoires nationaux, souvent dans le cadre de contingents multinationaux et sous l’égide d’organisations internationales (ONU, OTAN, UE peut-être demain), principalement chargées du maintien ou du rétablissement de la paix, de fonctions de police ou, encore, de fonctions de type humanitaire d’aide aux populations civiles.

Si, depuis la guerre du Golfe au moins, ces tendances apparaissent clairement dans la définition des missions et des formats des forces armées, leurs effets éventuels hors du champ militaire ne sont, eux, encore qu’en germes ou, à tout le moins, encore peu visibles. Cet article se propose donc moins de dresser le constat d’évolutions non encore avérées que d’envisager un faisceau d’hypothèses relatives à leur possible éclosion.

Quelles que soient les ambivalences et les incohérences de l’objectif ou de l’impératif " zéro mort ", il demeure que, du côté des armées occidentales, les pratiques de la guerre en sont profondément changées. Et même en considérant, selon un soupçon fréquemment élevé lors de ces interventions, que ces changements ne toucheraient que les informations et les images du conflit (contrôlées, sinon produites, par les armées et/ou le pouvoir) et non la réalité de la violence et de la mort infligées, ne sont-ils pas en mesure, précisément parce qu’ils modifient ces représentations de la guerre (ses moyens, ses coûts et ses fins), d’atténuer d’éventuelles oppositions se réclamant du pacifisme ? Rien n’est moins sûr.

De façon évidente, même si l’hyper-sensibilité des sociétés occidentales à la violence tend à le masquer, il y a bien une rupture radicale, si on considère le nombre de victimes, du côté des armées occidentales, mais aussi chez leurs adversaires, entre les guerres conduites depuis la fin de la Guerre froide et celles qui les ont précédées. Mais, le refus et la condamnation de la violence (physique) trouveront toujours de quoi nourrir leur hostilité, car il y aura toujours des victimes et, parmi elles, toujours des victimes innocentes (i.e. civiles) - sauf à imaginer que l’on en (re)vienne à des pratiques conduisant à ne combattre que dans l’espace clos et accepté par les deux adversaires du champ de bataille.

Ensuite, la question de la violence des armes et des morts qu’elle provoque ne semble jamais être seule en cause dans la condamnation de la guerre. On perçoit, au fondement des insurrections du pacifisme, souvent plus qu’une simple condamnation de la violence militaire. De façon évidente, les oppositions à une éventuelle guerre en Irak qui, à l’automne 2002, se réclament du pacifisme, ne se dressent pas uniquement contre le possible usage des armes [4]. Ce qui est ici condamné, c’est aussi, et peut-être surtout, les prétentions hégémoniques de l’administration Bush. Le pacifisme apparaît ainsi souvent mu par un refus de la contrainte et de la force dans les rapports internationaux - et particulièrement, peut-être parce qu’il est le plus fréquent ou parce qu’il est jugé "encore plus condamnable", de la contrainte exercée par les pays riches ou puissants à l’encontre d’Etats supposés incapables d’y faire face -, et ce, quelles que soient les voies et les moyens de cette contrainte. Dans le cas de guerres effectives, les dénonciations simultanées de la violence militaire et des visées impérialistes des belligérants occidentaux (Français en Algérie, Américains au Vietnam ou en Irak, mais aussi Russes en Afghanistan) en témoignent souvent.

Bien sûr, on devrait pouvoir distinguer l’opposition à la guerre de l’opposition à une guerre particulière, la seconde n’impliquant pas nécessairement une attitude pacifiste. Mais, en pratique, la distinction apparaît délicate, tant les oppositions circonstanciées à une guerre singulière tendent presque toujours, à des fins de légitimation, à se revendiquer d’un pacifisme de principe [5]. Il n’y a dès lors aucune raison pour que les arguments du pacifisme, au moins sous cette forme instrumentalisée, disparaissent de l’espace public. Il n’est pas plus certain qu’une restriction (encore une fois, difficile à établir) de l’appellation "pacifiste" à ses seules formes "véritables" ou "sincères", doive conduire à un autre pronostic. Car, le pacifisme apparaissant souvent peu séparable d’une opposition de principe à la violence et à la force [6], l’apparente décrue de la violence militaire (qui n’est en rien une transformation des normes des rapports internationaux), ne paraît guère susceptible de l’amoindrir.

Mais, toutes les interventions militaires auxquelles ont participé des démocraties occidentales ou auxquelles elles peuvent demain être amenées à participer, dans le contexte des transformations stratégiques et politiques internationales de l’après-guerre froide, ne les ont pas impliquées ou ne les impliqueront pas comme belligérant (cf. par exemple les opérations en Somalie, au Rwanda ou en Ex-Yougoslavie). Le Pacifisme n’est-il pas alors, particulièrement lorsque ces interventions se proposent de limiter le déchaînement de la violence, de porter secours aux populations civiles ou d’imposer (ou maintenir) la paix, susceptible de les accueillir favorablement ? Même s’il n’apparaît pas encore possible de donner une réponse claire sur ce point, il faut pourtant envisager qu’elle ne saurait être univoque. Ne serait-ce que parce que, se donnant presque toujours à voir comme une opposition de principe à la guerre ou à l’usage de la violence (militaire bien sûr, mais aussi économique, financière...) dans les rapports internationaux, le pacifisme ne paraît guère devoir s’adonner à un calcul entre bonnes et mauvaises actions militaires - i.e. que les "bonnes" ne sauraient, dans sa perspective, venir équilibrer ou compenser les "mauvaises" qui, elles, susciteront sans doute toujours autant d’indignations et, à condition que les ressources en soient réunies, de mobilisations.
Il faut s’arrêter un instant sur cette question, sur la capacité mobilisatrice du pacifisme. Car, si ces transformations du champ militaire ne paraissent pas devoir priver la contestation pacifiste de ses objets, il n’est pas certain qu’elles ne contribuent à affaiblir sa capacité de mobilisation et, simultanément, à dégrader les conditions de sa visibilité et de sa portée sociales et politiques.
Cette mutation des missions des armées occidentales s’accompagne, en effet, d’une autre transformation, peut-être susceptible, elle, de modifier, non les fondements du pacifisme ou de son opposition à la guerre, mais les conditions de son expression publique et de sa capacité de mobilisation contre la guerre (ou en faveur de la paix). Ces transformations des missions militaires vont de pair, dans un nombre croissant de démocraties occidentales, avec une professionnalisation des armées et la suppression des formes de recrutement fondées sur la conscription [7]. Or, historiquement, opposition au service militaire et pacifisme se sont fréquemment épaulés l’un l’autre. Le refus du service militaire a ainsi souvent utilisé les arguments du pacifisme à des fins de justification d’un refus sur lequel pèsent des soupçons permanents d’incivisme, d’égoïsme, voire de lâcheté [8]. Les idées pacifistes, en retour, ont pu trouver dans ces motivations en partie étrangères à son projet, les ressorts des mobilisations lui assurant visibilité, audibilité et parfois efficacité. De ce point de vue, la suppression des services militaires, n’apparaît évidemment en rien susceptible de modifier la nature et la prégnance des idées et des exigences du pacifisme. Elle peut, en revanche, en le privant d’une part importante de ses ressources en termes de mobilisations, tendre à le cantonner dans une opposition assourdie. Plus largement, on peut, au moins à titre d’hypothèse, envisager que la délégation des fonctions militaires à une institution un peu plus coupée encore du reste de la société tende à éloigner l’opinion publique des enjeux militaires ou, plus précisément, à rendre ces derniers moins prégnants et moins cruciaux. En d’autres termes, en "désimpliquant" (matériellement et affectivement en particulier) un peu plus encore l’opinion publique des opérations militaires, ces mutations des formes de la guerre occidentale ne risquent-elles pas de réduire le volume des ressources mobilisables par les mouvements pacifistes ?

Les transformations des formes de la guerre, ou à tout le moins les transformations des discours officiels sur la nature des guerres modernes, ne paraissent guère en mesure d’affaiblir des oppositions pacifistes qui semblent souvent se construire sur un refus et/ou une condamnation plus générale de la violence et trouveront toujours, jusque dans ces formes "adoucies" de la guerre, les aliments de leur insurrection.

Ces mutations dans la façon de faire, de dire et de montrer la guerre posent toutefois un double défi aux pacifismes. Le premier tient à la recevabilité sociale de leurs protestations. Bien sûr, la forte réactivité des opinions publiques occidentales à la violence (ou plus généralement aux images de la violence), et la condamnation que suscite cette dernière semble assurer les partisans de la paix d’un certain soutien public. Mais s’en tenir à cette position revient, d’abord, à méconnaître la nature profondément ambivalente de cette réactivité (ou de cette hyper-sensibilité) qui, si elle conduit à un rejet de la violence, peut, dans le même temps, soutenir une intervention militaire destinée (ou supposée telle) à mettre fin aux situations de violence données à voir par les médias (Rwanda, Somalie, Afghanistan, etc.). Elle tend, ensuite, à faire fi, d’une part, de la moins grande visibilité de la violence dans ses opérations, résultant autant d’une baisse effective du nombre des victimes que du contrôle opéré par les autorités politiques et militaires sur les images publicisées, d’autre part, du travail de légitimation des interventions développé par les pouvoirs publics [9]. Globalement, on doit de façon évidente considérer que les protestations pacifistes rencontreront d’autant moins d’échos dans l’opinion publique que les guerres apparaîtront plus acceptables dans leurs formes et plus légitimes dans leurs fondements. La disparition du ressort de mobilisation que pouvait constituer l’implication des populations occidentales par le biais du service militaire, constitue un second défi posé à l’efficace des mouvements pacifistes. Peut-on imaginer, au vu des dernières mobilisations contre la guerre en Irak, que les mouvements antimondialisation au sein desquels ou avec lesquels le pacifisme semble nouer des liens similaires d’instrumentalisation réciproque, en constitueront un substitut ou un équivalent fonctionnel ? L’avenir le dira. Encore conviendra-t-il que la spécificité de la protestation pacifiste demeure audible dans ces discours plus vastes.


[1Ne serait-ce que parce qu’on aboutit alors à une peinture extrêmement fragmentée du pacifisme, ne permettant guère de saisir les continuités, les convergences et les antagonismes qui peuvent exister de l’une à l’autre de ces oppositions. Peinture qui, en outre, conduit à l’inverse, à tisser de la continuité là où il n’y en a guère : doit-on ainsi considérer comme appartenant à un même ensemble le pacifisme des premiers chrétiens refusant de servir Rome sous les armes, les entreprises de réglementation des activités militaires par les autorités ecclésiastiques au milieu du moyen âge et les mouvements pacifistes d’inspiration catholique aujourd’hui (Pax Christi, par exemple) ?

[2Nous avions ailleurs proposé de baptiser antibellicisme cette attitude où pacifisme et antimilitarisme se rejoignent sans se confondre. Sur ces distinctions entre pacifisme, antimilitarisme, sentiment antimilitaire et antibellicisme : Jean-Philippe Lecomte, "L’Antimilitarisme. Proposition de définition", Les Champs de Mars, n°9, 1er semestre 2001, p.111-133.

[3Site internet de la Confédération Nationale du Travail - Association Internationale des Travailleurs, http://cnt-f.org, automne 2000.

[4Outre les manifestation de Florence "contre la guerre en Irak", cf. les nombreuses manifestations ayant eu lieu sur ce thème, particulièrement aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne.

[5Voir par exemple, à l’automne 2002, l’opposition du PCF à une intervention américaine en Irak et les affiches produites pour la circonstance, dénonçant en énormes caractères "NON A LA GUERRE" et, en beaucoup plus petit en dessous : "en Irak".

[6Souvent autant dans les rapports interétatiques que dans les rapports interindividuels. Encore une fois, ceci ne signifie pas que tout pacifisme soit par principe non-violent (alors qu’en revanche, toute attitude non-violente est par nature pacifiste). Il semble pourtant qu’en pratique, les deux aillent souvent de pair, comme dans pratiquement tous les cas où le pacifisme s’appuie sur un sentiment religieux.

[7Depuis le début des années 1990, on assiste à une vague de suppression du service militaire dans un grand nombre d’Etats européens (Pays-Bas, Belgique, France, Italie, Espagne…), faisant suite a sa suppression en Grande-Bretagne (1963) et aux Etats-Unis (1973).

[8On ne peut ainsi sans doute pas saisir les mobilisations contre la guerre du Vietnam aux Etats-Unis sans tenir compte du fait que la génération qui se revendiquait du pacifisme - aussi sincère qu’elle fût - était aussi celle que menaçait le risque d’un service au Vietnam, et se trouvait exposée à l’obligation de justifier son refus d’y servir et d’y risquer sa vie (le "selective service" américain laissant ouverte, même à cette période, une assez large possibilité d’échapper au service). Quoique les conditions d’expression d’un semblable refus fussent très différentes, on peut sans doute aussi interroger dans la même perspective certaines oppositions à la guerre d’Algérie.

[9Les efforts déployés pendant l’automne et l’hiver 2002-2003 par l’administration Bush pour établir les fautes possibles du régime irakien, alors même qu’il semble acquis qu’une intervention militaire a d’ores et déjà été décidée et organisée, témoignent clairement de cette importance accordée par les pouvoirs publics à obtenir le soutien des organisations internationales comme des opinions publiques nationales et du travail fait en vue de l’obtenir.