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Le pacifisme : maladie infantile de l’écologie politique française ?

avril 2003, par Bruno Villalba

Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’Etat trébuchant sur une belle phrase creuse
tombe dedans et désemparé la bouche grande ouverte
haletant montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent

Jacques Prévert, "le discours sur la paix", Paroles

L’écologie politique est-elle encore pacifiste ? La recherche de la paix demeure une priorité affichée par les mouvements écologistes. Pour autant, elle ne peut plus être considérée comme un objectif prioritaire. Si elle n’est pas - encore ? - une simple procédure supplétive, ponctuellement et partiellement mobilisable, la question pacifiste a considérablement évolué. Icône vieillotte, elle semble laisser la place à une vision non-violente, plus conforme aux orientations stratégiques actuelles de l’écologie politique.

Une rencontre historique fortuite

Il est assez simple de constater que l’écologie politique n’a jamais eu l’exclusivité de cette question. En tant que doctrine, le pacifisme s’insère dans plusieurs traditions philosophiques, religieuses ou juridiques. Mobilisé par différents projets politiques, le pacifisme prend les couleurs du socialisme utopique, ou d’un humanisme chrétien. Ensuite, la notion même de pacifisme aboutit à une multitude de déclinaison. Il peut s’agir d’un rejet de la violence, d’une simple aspiration idéale, ou bien au contraire d’un axe philosophique central. Mais, au-delà de ses différences, on perçoit quand même l’importance accordée à cette aspiration commune à la paix. Enfin, historiquement, le pacifisme a subi différentes phases (Maurice Vaïsse, Le pacifisme en Europe des années 1920 aux années 1950, Paris, Bruylant, 1993). Si on ne peut dresser une histoire linéaire de cette question, on peut signaler que différentes conceptions du pacifisme coexistent (du refus radical de toute guerre, à l’autorisation de certaines formes de conflits armées - comme les guerres défensives). Incontestablement, le pacifisme " à tout prix " du contexte de la Seconde guerre mondiale a considérablement influencé la perception générale du pacifisme (le fameux " esprit de Munich "). La seconde moitié du XXe siècle voit une mutation essentielle du projet pacifiste. Le pacifisme devient avant tout une valeur et un système d’attitudes (on s’interroge davantage sur la méthode pacifiste). Les explosions d’Hiroshima et Nagasaki déplacent les frontières de l’action pacifiste : désormais, le pacifisme ne peut plus être associé exclusivement à l’idée de l’Etat-Nation et à l’exercice de la force militaire, mais devient une réflexion sur le rôle de la technologie et du pouvoir de la connaissance. Avec l’irruption de l’arme nucléaire, le pacifisme amorce une évolution considérable : la potentialité destructrice de cette arme amène les pacifistes à s’interroger sur la paix en dehors de tout conflit… De la même manière, le contexte de la guerre froide impose sa logique duale, mais aussi oblige à une nouvelle confrontation des objectifs pacifistes. Désormais, la frontière du pacifisme n’est plus liée à l’idée d’une frontière territoriale, mais se concentre sur les règlements internationaux (Marcel Merle, Pacifisme et internationalisme, Paris, A. Colin, 1966).

Sur un plan organisationnel, la France n’a jamais été vraiment à la pointe de la mobilisation pacifiste… À la fin des années soixante, le mouvement pacifiste n’est pas très actif, et divisés dans de nombreux petits groupes, à l’idéologie et aux capacités d’actions limitées, exceptés les mouvements liés à l’Eglise catholique et au Parti communiste, qui se mobilisent en fonction d’objectifs parfois assez éloigné du pacifisme ; celui-ci s’inscrit dans un projet idéologique plus global et sert, opportunément, mais ponctuellement, les stratégies politiques du moment (Jean Defrasne, Le pacifisme en France, Paris, PUF, 1994). Deux conceptions du pacifisme coexistent donc : la première se revendique d’un pacifisme " institutionnel " ou " réformiste " et la seconde préconise le développement d’un pacifisme révolutionnaire.

L’écologie politique hérite de cette situation. Elle est tributaire de cette double évolution : une conception traditionnelle du pacifisme (comme idéologie de transformation des rapports sociaux, politiques et économiques) et une nouvelle méthodologie en pleine expansion (irruption des questions juridiques, modifications des réseaux de décisions internationaux…). L’écologie politique s’est engouffrée dans cette double filiation, qu’elle n’a pas été en mesure d’assimiler complètement afin d’en faire un objectif prioritaire d’action politique.

L’écologie politique face à ses pacifismes

L’écologie politique ne s’est jamais positionnée catégoriquement sur la vision révolutionnaire du pacifisme. On est loin de l’option insurrectionnelle des anarcho-syndicalistes, confiant dans le pouvoir de la grève et de l’action internationale pour mettre fin, définitivement à la guerre ! Pour autant, il ne s’agit pas d’un pacifisme tactique, comme l’a été le pacifisme du Parti communiste, pendant de très - trop - longues années. Le pacifisme des écologistes s’inscrit dans un courant plus humaniste, moins soucieux d’associer la critique pacifiste avec une dénonciation du système capitaliste, ou marxiste. Ce que l’on discute davantage, ce sont les impasses des politiques nationalistes et ce qu’elles entraînent d’inégalités ; les rapports avec les pays du Sud - et notamment les questions de la décolonisation et des guerres d’indépendance- sont concernés, tout autant que les formes de dominations culturelles que cela peut entraîner - notamment autour des droits et de l’autonomie des femmes.

Enfin, les revendications pacifistes sont surtout liées au risque nucléaire, civil ou militaire (notamment autour de la question de la dissuasion nucléaire).

Les mobilisations écologistes des années 70 redonnent une nouvelle jeunesse à cette thématique. Ce pacifisme conteste tout autant le pouvoir de l’Etat dans ses dérives militaristes et techniques (illustrées par le principe de la dissuasion nucléaire), que les dangers de l’atome civil (notamment à Mururoa, à Flamanville… voir Didier Anger, Nucléaire : la démocratie bafouée. La Hague au cœur du débat, ed. Yves Michel, 2002), ou bien encore dénonce la militarisation de la société (de l’extension des camps du Larzac à la conscription obligatoire).

L’écologie politique porte donc l’image d’un pacifisme-mosaïque, que l’on peut décliner suivant les préoccupations idéologiques portées par les militant-e-s. De ce fait, l’écologie politique accueille les débats qui traversent les mouvements pacifistes. Ainsi, suivant les brochures ou les groupes écologistes, suivant l’état des débats internationaux sur les politiques de désarmement, on trouve des positions proches d’un pacifisme intégral qui préconisent le désarmement unilatéral, sans condition de réciprocité (porté par L’Union Pacifiste, la section française de l’internationale des résistants à la guerre) ou ceux qui préconisent le " transarmement ", c’est-à-dire le passage d’un type de défense armée à une défense non-violente (comme le Mouvement pour une Alternative Non-violente). Sur la base d’une telle multitude, les écologistes se sont longtemps complus dans l’idée qu’ils étaient la seule force contestant les politiques de défenses établies.

Cependant, on peut quand même parler d’un pacifisme catégorique, car à aucun moment, les mouvements écologistes n’ont remis en cause l’importance de la question pacifiste comme élément structurant de la pensée écologiste émergente. Le pacifisme, au même titre que le tiers-mondisme ou le féminisme, est l’un des axes structurants de la critique écologiste du système productiviste. Les responsables politiques des mouvements écologistes ont entretenu cette coexistence. Pourtant, rares sont les dirigeants qui ont tenté d’élaborer des synthèses théoriques et des méthodologies d’actions faisant de la question pacifiste une thématique centrale dans la pensée écologiste. On doit signaler ici le travail constant de Solange Fernex pour associer les réflexions féministe et pacifiste (voir Maria Mies, Vandana Shiva, Ecoféminisme, Paris, L’Harmattan, 1998, pp.142-146).

Lorsque l’écologie politique amorce son processus d’institutionnalisation, qu’elle devient un acteur politique - notamment autour des Verts, dès 1984 -, elle ébauche aussi une réflexion sur la question pacifiste. Cependant, la pensée s’oriente davantage sur la méthodologie des actions pacifistes (modalités d’opposition aux essais nucléaires, stratégies de la non-violence…) que d’une réévaluation théorique d’ensemble sur les finalités du pacifisme. Elle tient compte de l’évolution des combats traditionnels qui ont marqué le pacifisme des dernières décennies : en France, il existe un véritable consensus institutionnel autour de la dissuasion, dont le pacifisme n’est pas parvenu à entamer les fondements ; ensuite, la contestation antinucléaire s’essouffle, et elle peine à se reconvertir dans la contestation antinucléaire militaire (à la différence des mouvements écologistes allemands, certes plus sensibilisés par la présence des Pershing sur leur territoire…) ; enfin, le mouvement pacifiste n’est pas parvenu à construire une vision relativement homogène de ses objectifs.

Par conséquent, l’objectif premier n’est plus de constituer une réforme morale et institutionnelle profonde, destinée à construire une paix universelle, mais accompagner une évolution plus pragmatique des pratiques de la guerre. L’article d’Antoine Waechter, dans Le Monde du 11 avril 1991 est le chant du cygne de cette conception ; " Le combat pour la paix " évoque le fait que l’écologie en crise pourrait fort bien servir de vecteur pour la recherche du bien commun de l’humanité.

Désormais, il n’est alors plus question de promouvoir l’idée d’un désarmement unilatéral et général ; au contraire, les Verts tentent de définir une conception politiquement défendable du concept de paix. Le pacifisme se décline en différents chapitres : la conscription, la défense civile, les questions de sécurité internationale… Le pacifisme s’accompagne d’une pensée plus complexe des modes de résolution des conflits (comme le recours aux forces d’interposition, ou l’action préventive de l’ONU… voir par exemple les réflexions de Transnational, http://www.transnat.org/groupe-prc.htm). Les militants suivent cette évolution ; si l’on en croit une enquête réalisée en 1993, 7 % des adhérents Verts se sont engagés essentiellement en raison des positions des Verts sur la défense, 53 % partiellement, 21 % peu, 16 % pas du tout et 1 % en dépit de ces positions (Pascal Boniface et Jean-François Gribinski, Les écologistes et la défense, Paris, Dunod, 1994). La pensée écologiste se dote progressivement d’un discours technique sur la guerre, décomposant l’analyse autour d’une évaluation critique des industries de l’armement et de leurs mécanismes de reconversions (Les Verts, Le livre des Verts, Paris, Belin, 1994, pp. 133-141). Mais, étonnamment, elle n’exploite guère la question de l’impact écologique des guerres (une dimension pourtant très souvent présente dans les premiers écritsécologistes, voir Pierre Samuel, Ecologie : détente ou cycle infernal, Paris, 10/18, 1973 p. 276 et s. et plus récemment, Nicolas Skrotzky, La terre victime de la guerre, Sang de la Terre, Paris, 2002).

Vers un pacifisme d’opportunité

Les derniers conflits (première guerre du Golfe, Kosovo, Rwanda…) ont nécessité une expression officielle de la part des mouvements écologistes ; ces expressions témoignent des paradoxes classiques du pacifisme, qui traversent, à leur tour, les mouvements écologistes. Tout d’abord, en assumant la responsabilité d’être une instance de pouvoir, les partis écologistes hésitent à assumer les héritages de la pensée pacifiste. Engagés dans le combat politique et la concurrence électorale, les écologistes vont mobiliser le principe d’une distinction entre la position partisane et la situation personnelle. Autrement dit, le pacifisme devient l’apanage d’une posture individuelle, qui se réfugie dans une philosophie générale de la non-violence. Dans ces conditions, le pacifisme devient l’un des attributs de la spiritualité des militants écologistes.

Les Verts élaborent une doctrine partisane qui officialise cette dualité [1]. L’usage de la force armée peut se justifier sans pour autant remettre en cause sa fidélité personnelle aux idéaux pacifistes ; les deux tiers des militants verts pensent que l’emploi de la force se justifie parfois (Pascal Boniface et Jean-François Gribinski, Les écologistes et la défense, Paris, Dunod, 1994). Le parti entérine et conforte cette position ; le Conseil national interrégional des Verts de janvier 1993 avait reconnu" l’inéluctabilité d’une opération de police internationale en Bosnie ". Il reste encore à faire une sociologie de la conversion militante. Il est encore difficile d’établir les méandres d’un parcours individuel, qui va d’une réforme progressive de l’engagement individuel en faveur d’un pacifisme relativement radical, à une acceptation passive de l’usage de la puissance militaire. L’une des indications est la baisse du militantisme dans des organisations pacifistes ou non-violentes : 33 % y ont milité alors que 20 % seulement y militent en 1993 (Pascal Boniface et Jean-François Gribinski, Les écologistes et la défense, Paris, Dunod, 1994).

Le deuxième paradoxe est illustré par l’appréciation de l’échelle de la guerre. Il n’est toujours pas question de remettre en cause l’opposition à la dissuasion nucléaire (76 % des adhérents restent opposés à son existence). Nous sommes donc face à une position de rejet de la guerre dans son absolu : l’usage de l’arme nucléaire reste une hypothèse que l’on continue à percevoir comme inenvisageable, au sens où touchant au cœur même de la survie de l’espèce humaine et après les premières expériences de la Seconde guerre mondiale, il ne peut être concevable qu’on ne l’utilise… Par contre, la guerre réduite, tant dans son espace géographique que dans ses objectifs affichés, devient une réalité acceptable, voire même souhaitable dans certains cas. L’idée de guerre reste rejetée, mais l’acte de guerre devient acceptable (Les Verts, et en premier plan Daniel Cohn-Bendit soutiennent les frappes aériennes de l’OTAN en Yougoslavie dès avril 1999). Cette évolution est aussi le résultat d’un nouveau positionnement politique des Verts. Ainsi, en s’affirmant comme un partenaire politique crédible, capable de s’associer à d’autres acteurs politiques, l’écologie politique se trouve dans l’obligation d’assumer l’impossibilité chronique des autres formations politiques à remettre en cause les principes de dissuasion ou bien encore de l’industrie d’armement dans l’économie nationale.

On entre alors dans le troisième paradoxe. Comment évaluer ces guerres parfois acceptables ? Suivant quels principes justifier l’usage des armes et leurs impacts sur les populations civiles ? Comment attribuer la responsabilité de certains responsables politiques justifiant leur sanction par un acte de guerre ? La question pacifiste devient ainsi plus un argument philosophique mobilisé pour justifier une certaine prudence dans l’action ou dans la juste mesure de l’usage de la violence armée, que pour établir une stratégie politique active de refus de recourir à la coercition. La guerre peut, sous certaines conditions - et l’on sait que le débat reste ouvert sur ces conditions - devenir légitime, et elle peut même devenir un processus souhaitable. On assiste donc à la présence simultanée de discours justifiant la guerre dans certains lieux et niant son utilité dans d’autres lieux. Vis-à-vis de la guerre du Golfe, l’intransigeance est de mise ! Le pacifisme se construit alors davantage comme un argument comparatif que comme une réalité applicable à toutes les situations de conflits. Il devient le supplétif d’un principe de justice, voire de liberté, lorsqu’il s’agit de protéger certaines populations menacées. Cela participe à une évolution plus globale de la notion de justice et des moyens légitimes à utiliser pour la préserver. Ainsi, un Michael Walzer ou un Jürgen Habermas s’interrogent sur les conditions légitimes pour recourir à la non-violence, en prenant bien soins d’en énumérer soigneusement les conditions et en balisant consciencieusement le cadre de son usage (Jürgen Habermas, La paix perpétuelle, le bicentenaire d’une idée kantienne, Paris, Cerf, 1996 ; Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Paris, Belin, 1999).

Une " logique de guerre " acceptable ?

La position actuelle des écologistes est équivoque ; elle ne consiste pas à renoncer à l’idéal pacifiste, mais simplement à accepter le principe de la nécessité ponctuelle et partielle de l’art militaire… (dont le livre de Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, constitue un parfait bréviaire : l’impossibilité de choisir la manière de gérer les rapports de forces et des enjeux de pouvoirs…). A propos de la guerre du Kosovo, Jean Zin avait déjà parfaitement résumé ce dilemme : " Cette guerre produit curieusement cet effet que chacun se sent responsable de la politique internationale décidée sans nous et qu’on croit devoir donner notre plan de paix ou de guerre (trop ou pas assez réaliste). Qu’allons nous faire dans cette galère ? Nous ne sommes pas en position de diriger les opérations, comme nous ne pouvons accepter un état de fait que nous n’avons pas voulu. " (http://perso.wanadoo.fr/marxiens/politic/guerres.htm) Et pourtant, il nous faut décider… Toute la question est de savoir quelles vont être les justifications que les écologistes vont donner à cette décision.

Bien sûr, les écologistes continuent à mobiliser les éléments clés du discours pacifiste. On songe ainsi aux déclarations solennelles qui précédent ou concluent chacun des conflits (" L’humanité doit se dégager des comportements archaïques : la résolution non-violente des conflits est le progrès que nous vous invitons à soutenir. " Vert-Contact, n°184, janvier 1991 ; " Nous pensons qu’il n’y a ni guerre sainte, ni guerre juste, ni bonne guerre. Toute guerre est illégitime. " Dominique Voynet, Oser l’écologie et la solidarité, ed. de l’Aube, 1995, p. 103).

Mais, plus fondamentalement, la rhétorique officielle consiste à construire les éléments justifiant l’adaptation du pacifisme aux temps et aux situations. Progressivement, les écologistes sont passés d’une position pacifiste proclamée à une réflexion politique sur " la logique de guerre ". A présent, il importe d’avoir une attitude compréhensive vis-à-vis de l’acte de guerre ; cela ne veut pas dire que l’on valorise cette solution. Mais il convient d’analyser une situation de conflit pour évaluer le recours aux armes [2]. Cette évaluation comprend non seulement l’analyse socio-historique de la zone géographique concernée, mais aussi celle de la situation géostratégique, sans oublier l’état d’innovation technologique des militaires (les fameuses " frappes chirurgicales " qui ont permis une plus grande tolérance des attaques de villes serbes puis irakiennes). La logique de guerre impose que les écologistes construisent un discours dissociant " pacifisme " et " passivité ". Le conflit en Bosnie-herzégovine sera l’étape décisive : le pacifisme des écologistes devient un pacifisme " actif " qui accompagne l’action militaire, sans toutefois s’associer à ses ressorts idéologiques (la guerre contre le Mal) ni économiques (la pression des lobbies militaro-industriels ou la volonté de contrôle des ressources énergétiques). Les termes du discours accompagnent une telle évolution idéologique ; on évoque les " opérations de police internationale ", " les frappes préventives "… L’euphémisation de la critique participe à cette dévalorisation latente du discours pacifiste, et par conséquent, selon certains, à un éloignement des mouvements pacifistes du combat de l’écologie politique (Hervé Ott, " Ecologisme et pacifisme ", in Jean-Paul Bozonnet et Joël Jakubec (eds), L’écologisme à l’aube du XXIesiècle, De la rupture à la banalisation ?, Georg Editeur, Genève, , 2000, pp. 59-60).

Il ne faut pas ignorer tout le discours des écologistes portant sur la dénonciation des origines de la guerre : la négation des droits des pays du tiers-monde, les conditions d’un développement respectueux de l’avenir et des choix des générations à venir (par exemple la question nucléaire), sans oublier la critique d’une société individualiste et consumériste à l’excès ou encore l’émergence d’un cadre démocratique international pour la régulation des tensions… Finalement, le principal glissement s’est opéré vers un recentrage plus non-violent que pacifiste. La non-violence semble prendre une position plus centrale dans le débat, car elle permet l’usage d’une violence légitime (comme l’a maintes fois souligné Gandhi, sur l’idée que la non-violence n’est pas la lâcheté et mieux vaut la violence que la collaboration ou la complicité avec l’oppression) et renvoie davantage à une conception morale, une exigence intérieure, une conduite à tenir selon des normes du devoir. Elle engage une responsabilité personnelle, avant que d’être une exigence de l’action collective. Il est par conséquent beaucoup plus facile de jouer sur le double registre de l’individuel et du collectif, pour dans le même temps continuer à refuser la guerre et préparer les conditions techniques de sa réalisation.

Certes, le débat sur la non-violence et le pacifisme contribuent à structurer un discours politique valorisant la préparation d’une culture de paix à l’échelle planétaire. Mais cette individualisation morale du rapport à la guerre nous éloigne du caractère fondamental de toute politique guerrière : la guerre est la politique du court terme. L’écologie politique se veut la politique du devenir. Or, même si les écologistes accordent toujours l’essentiel de leur action à une solution politique au conflit, dorénavant, la guerre constitue une continuité acceptable à la politique… Cette solution n’est pas considérée comme automatique ; en ce domaine, c’est-là la dernière excentricité de l’écologie politique.


[1Il ne s’agit pas de capter l’idée de l’écologie au profit des seuls Verts, mais simplement s’interroger sur la visibilité de la parole Verte sur ce sujet ; voir par exemple : Brice Lalonde " La dérobade ne nous sauvera pas " in Le Figaro, 28 octobre 2002 , et de terminer par : " quand un ennemi nous déclare la guerre, la mobilisation est la seule priorité.". Cap 21 peine de son côté à construire un discours sur ce sujet et s’installe dans ses hésitations théoriques, voir : http://www.cap21.net/forum/ . Et difficile d’entendre la voix du Mouvement des écologistes indépendants…

[2Une position assez conforme à l’évolution d’autres partis verts européens, comme les Grünen : ils ont ainsi renoncé à leur pacifisme radical des années 1980, en adoptant lors de leur congrès de Berlin de 2003, un préambule de leur nouveau programme fondamental qui reconnaît que le recours à la force militaire ne peut pas toujours être exclu. L’aile gauche du parti est toutefois parvenue à imposer un passage qualifiant de "juste et nécessaire la résistance à la globalisation", rejetant par 284 voix contre 246 un texte qui proposait initialement de "façonner de manière positive la globalisation". "La force ne doit pas remplacer la politique. Mais nous savons aussi que le recours à une violence légitimée par l’État de droit et le droit international ne peut pas toujours être exclu", déclare le texte du préambule adopté après de vifs débats. De leur côté, en octobre 2001, les ministres verts belges, solidaires au sein de la coalition Arc-en-ciel ont donné leurs accord aux opérations de " paix " en Afghanistan, en échange du respect de certaines " conditions " dans la réalisation de cette intervention états-unienne.