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La Charte de l’environnement
... ou comment construire une représentation minimaliste de l’écologie
mardi 17 mai 2005, par
Le gouvernement et le Congrès ont introduit dans la Constitution une troisième génération des droits de l’homme : après les droits du citoyen de la déclaration de 1789, après les principes économiques et sociaux du préambule de la constitution de 1946, les droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement. Promise par Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle de 2001, celle-ci résulte du travail d’une commission, présidée par le paléontologue Yves Coppens, au cours de l’année 2002, et d’un débat national lors de l’année 2003. La Charte est affichée comme devant avoir une "portée universelle", apportant à tous, le "droit à un environnement sain et au développement durable". Désormais, l’environnement a une valeur constitutionnelle. Mais que recouvre ce vocable ; ne contribue-t-elle pas pour autant à lui donner un sens particulier, plus conforme aux valeurs techniques et économiques de ce gouvernement libéral ?
Comment peut-on codifier la prise de conscience environnementale ? Comment imposer un cadre de perception de notre environnement qui répond aux critères du droit ? La Charte de l’environnement tente de répondre à ce double objectif : donner à l’avenir de l’environnement une valeur constitutionnelle (c’est-à-dire faire entrer dans la Constitution le droit à l’environnement) et attribuer une même valeur aux objectifs et principes qui le gouvernent. En procédant à une telle codification de l’environnement, le gouvernement actuel lui attribue un sens particulier ; en lui offrant des frontières légales, un contenu juridiquement légitime, la constitutionnalisation de l’environnement fixe les limites normatives de sa compréhension et de ses utilisations. Interrogeons nous alors sur la capacité réellement novatrice de cette codification : va-t-on assister à un bouleversement des équilibres juridiques, permettant ainsi une réorganisation des priorités constitutionnelles ? Assistera-t-on à des réajustements techniques, permettant ainsi de concilier la question de l’environnement avec les priorités antérieures (croissance, travail, sécurité -principalement dans sa dimension régalienne, à savoir, militaire) ?
Loin de ces vertueuses ambitions, cette codification a deux objectifs essentiels :
1) unifier la question de l’environnement à l’ensemble du droit français ;
2) équilibrer l’utilisation de cette notion par rapport aux principes actuels du droit français.
Ce second objectif nous paraît traduire une régression dangereuse de l’usage de la notion d’environnement. Comme le souligne le rapport de la commission Coppens, "la charte est d’abord une démarche politique avant d’être juridique, dont la portée est éminemment symbolique". Ce travail de codification est donc avant tout l’expression d’une représentation politique qui va se traduire dans un ordre juridique, ce dernier qualifiera, pour des années, ce que doit être l’environnement dans notre société technique et productiviste : la charte permettra d’encadrer le travail du législateur. Son inscription constitutionnelle aurait pour effet juridique d’imprimer une direction, d’engager une longue mise en cohérence d’un domaine comme trop segmenté et traité de manière trop technique.
Laissons de côté les arguments classiques mobilisés contre ce texte par ses adversaires de droite et de gauche, qui invoquent le risque de frein à l’innovation, à la compétitivité de l’industrie, de la recherche sur la scène mondiale, voire même d’obscurantisme... Concentrons-nous sur trois dimensions qui nous semblent circonscrire l’environnement à une thématique conservatrice, limitée et déresponsabilisante.
Une vision réduite de l’écologie à la conservation de l’environnement
N’oublions pas le rôle essentiel du portage politique de cette Charte. Le 29 janvier 2002, le Président de la République avait souligné l’importance du projet : "Aux côtés des droits de l’homme, proclamés en 1789, et des droits économiques et sociaux adoptés en 1946, et au même niveau, nous allons reconnaître les principes fondamentaux d’une écologie soucieuse du devenir de l’homme, avec des droits mais aussi avec des devoirs." Jacques Chirac fait de cette question l’un des "grands chantiers" de son mandat ; personnalisant cette politique, puisqu’elle marquera l’originalité de sa présence à l’Elysée (en la matière, le bilan mitterrandien est plutôt léger...) et imprimera les politiques à venir. La charte est donc présentée comme un "acte politique fort", destiné à marquer les esprits et canaliser les choix juridiques. Ce chantier s’inscrit dans la dans la continuité de certaines déclarations lors de rencontres internationales (Paris, 2005 ; Johannesburg, 2002) et de la promotion du Développement durable par le gouvernement Raffarin.
Mais surtout, la portée est essentiellement politique et symbolique, puisque la Charte doit, selon Jacques Chirac, ouvrir "la voie à une véritable révolution, celle de l’écologie humaniste". Cette perspective est essentielle pour comprendre son acharnement à imposer l’adoption de ce projet à sa propre majorité, mais aussi à certaines institutions (économiques et scientifiques). Cette "écologie humaniste" développe la vision d’une écologie adaptée aux formes actuelles du développement. Elle caractérise l’environnement comme un patrimoine qu’il convient de maintenir dans un bon état écologique. Qu’apporte alors cette vision de l’écologie, en la réduisant ainsi à une thématique classique, largement dépassée depuis la critique de l’écologie politique des années 70 ?
Soulignons encore que, sur le plan juridique, ce texte est sans intérêt, inutile et inefficace ; il ne ferait qu’entériner l’état actuel du droit communautaire. Les principes - prévention, précaution, correction à la source pollueur-payeur et intégration dans les collectivités publiques - figurent déjà dans le Traité de l’Union européenne. Ce traité a bien évidemment une portée supérieure à la loi et il conviendrait même de s’interroger sur le point de savoir s’il est ou non supérieur à la Constitution.
Une vision fonctionnaliste de l’environnement
La représentation de l’environnement dans cette charte est très restrictive, à la fois sur son domaine d’intervention, sur son champ d’application, mais encore sur sa méthode. L’écologie, qui englobe cette seule préoccupation environnementale, met l’accent sur la complexité des interactions entre l’homme et son milieu. La Charte ignore cette approche systémique, au profit d’une vision fonctionnaliste : l’environnement se décompose en problèmes environnementaux, pratiquement séparés les uns des autres, et socialement, complètement decontextualisé ! Là où l’écologie politique est une recherche sur le sens des conflits environnementaux, l’écologie humaniste est une réponse technique aux nuisances environnementales... Mme Kosciusko-Morizet (députée de l’Essonne et Rapporteuse sur la Charte de l’environnement) n’a cessé de souligner l’esprit humaniste dans lequel s’inscrit cette charte, avec ses préoccupations pour le bien-être et la santé des hommes. Une telle perception de l’environnement est réductrice. La manière dont trois principes - de précaution, du développement durable et du pollueur-payeur - sont interprétés dans cette Charte illustre ce point de vue.
1) Le Medef et l’Académie des sciences (avis rendu le 23 mars 2003) s’étaient opposés à l’inscription du principe de précaution dans la Constitution sous l’argument d’un possible effet dissuasif sur la recherche française. Cela signifie que l’innovation scientifique à des fins de croissance économique risquerait d’être atteinte. Le Medef va plus loin, puisque "la constitutionnalisation du principe de précaution va mettre à bas l’édifice juridique français hérité de la Révolution française" (les Échos, F. Ewal). En maintenant ce principe de précaution dans la Charte, on pourrait penser que J. Chirac donne à cette question un rôle fondamental dans la construction d’une nouvelle vision de la recherche et du développement économique... Mais la version finale ("Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à la mise en œuvre des procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation du dommage"), est moins ambitieuse... Une telle formulation relativise la mise en application de ce principe ; la question fondamentale demeure de savoir s’il existe des dangers actuels et/ou de nouveaux risques exigeant la mise en application de ce principe, quels que soient les domaines de l’activité humaine, bien au-delà de cette catégorie de "dommage". Elle pose aussi une limite importante sur les acteurs autorisés à se prévaloir de ce principe ("les autorités publiques"). Par le passé, de nombreux exemples ont montré l’impossibilité technique de ces mêmes autorités à concevoir l’inconcevable, à admettre son ignorance... Or, les risques actuels (nucléaire, OGM, dissémination des molécules chimiques, etc) sont sans commune mesure. Non seulement cette formulation risque d’annihiler la portée provocatrice d’un tel principe, en lui donnant une dimension purement scientifique, mais elle risque de permettre d’évacuer les débats citoyens pour en définir le contenu, suivant les cas d’études. Il ne s’agit que de principes applicables aux pouvoirs publics, et non de droits individuels qui peuvent être revendiqués et défendus par des associations ou des particuliers. Or, la Convention d’Aarhus, partie intégrante du droit communautaire, contraint d’ores et déjà les pouvoirs publics à intégrer ces principes de manière beaucoup plus importante que ce qui existe aujourd’hui.
D’un point de vue strictement juridique, cette formulation tend à réduire l’impact de ce principe. Le principe de précaution est progressivement entré dans le droit de l’environnement, tant en France (loi Barnier de 1995) où il nourrit une jurisprudence croissante, qu’au niveau international (traité d’Amsterdam de 1992, protocole sur la biosécurité de 2000). Il est au cœur de la diplomatie environnementale, où il est surtout porté par l’Union européenne - dans les négociations sur le climat, le développement durable, ou les OGM - face à l’opposition des Etats-Unis. En donnant à ce principe un vague contenu constitutionnel, ne risque-t-on pas d’appauvrir le pouvoir créateur du Parlement ? Là ou la Loi peut constituer un lieu de débat pertinent, le législateur ne va-t-il pas avoir tendance à se décharger de sa responsabilité au profit d’une vague formulation de ce principe ?
Enfin, et c’est sans doute l’une des limites fondamentales, ainsi codifié, ce principe ne concerne que les seules thématiques environnementales, pour "s’arrêter aux portes de l’espèce humaine" (C. Lepage). Ainsi, le droit à la santé est consacré par l’article 1, mais la reconnaissance du lien environnement/santé n’a malheureusement pas été suivie dans l’article 5.
2) En se référant à l’idée du développement durable, la Charte participe à l’institutionnalisation d’une certaine vision de ce concept. Ainsi, l’adoption de la Charte de l’environnement consacrera non seulement le pilier environnemental du développement durable mais aussi, par la même occasion, la valeur constitutionnelle du développement économique ; au nom même d’une vision "humaniste" de l’écologie, l’équilibre de l’environnement ne pourra plus être évalué pour soi, mais devra voir son sort lié avec l’efficacité économique... Induisant un affaiblissement du droit de l’environnement : si la priorité est de donner l’idée d’une nécessaire conciliation entre ces principes, dès lors, un cadre supérieur de conciliation viendrait relativiser le droit de l’environnement resté à un niveau législatif. Cela pourrait conduire, comme le soulignent certains esprits sceptiques, à réduire la portée des principes protecteurs de droit de l’environnement qui existent au niveau législatif pour les intégrer dans un magma juridique sous couvert de développement durable.
Une telle perception de l’environnement n’offre guère de possibilité de s’interroger sur les causes profondes qui génèrent un tel état écologique. L’objectif n’est sans doute pas aussi machiavélique, mais il y contribue. Notons les paroles du Président : "La Charte de l’environnement va élargir nos responsabilités individuelles et collectives. C’est un tournant majeur pour notre modèle de développement", a-t-il précisé. Le chef de l’Etat n’a pas nié que cela aller créer de nouvelles "exigences", mais il a estimé que la France va ainsi acquérir "les savoir-faire et les technologies de l’avenir", ce qui lui donnera une longueur d’avance sur ses concurrents et en fera "un pays exemplaire, mettant ses actes en accord avec sa parole". En forçant un peu le trait - soyons désinvolte... - les solutions technologiques viendront corriger les inévitables dommages collatéraux du développement.
3) Enfin, la disparition de la référence au principe pollueur-payeur traduit un net recul en matière d’attribution des responsabilités. Autrement dit, une charte sans principe pollueur-payeur, donc sans responsabilité automatique, avec un principe de précaution restreint aux activités publiques, laisse entièrement béante la question de la prise en charge des conséquences environnementales et sanitaires du progrès technologique. S’il faut bien reconnaître que la réparation, tout spécialement en matière de dommages globaux, n’est pas toujours un objectif atteignable, rien n’empêche de faire de ce temps de débat un lieu permettant de faire émerger des solutions innovantes...
Cohérence et indécision...
Il n’est donc pas certain, comme le soulignait la rapporteuse, Mme Kosciusko-Morizet, que ce texte constitue "une grande avancée juridique et philosophique". Si la Charte se révèle adaptée au souci naturaliste du Président, elle marque une profonde indécision sur la nature réelle de la question écologique. Nous considérons qu’il s’agit là d’une conception réduite de l’environnement qui risque d’induire, par la même occasion, une conception réduite du développement durable. Une telle codification légitime une vision de l’écologie limitée aux domaines de la Nature et du Cadre de vie, privilégiant une approche assurantielle du principe de précaution (alors que l’on sait depuis plus de 20 ans que cette approche est obsolète...). C’est, enfin, faire le choix d’une vision technique et non pas réellement politique de l’écologie ; la Charte est loin d’attribuer une valeur symbolique fondamentale à l’environnement, en lui permettant de s’inscrire dans un projet global. On pourrait, facilement, faire l’inventaire des décisions publiques du gouvernement Raffarin en parfaites contradictions avec cette priorité (diminution des crédits de recherches, stagnation des budgets des structures publiques ou para-publiques dans ce domaine - Ademe, Ifen, etc. - ; remise en cause du rôle des associations dans ce domaine, etc.). Constatons simplement que la thématique environnementale ainsi constitutionnalisée ne permet pas de revoir la hiérarchie des priorités en termes de politique publique. Et, malheureusement, force est aussi de constater que cette conception semble assez largement partagée par ses opposants, puisque du PS aux Verts, le mot d’ordre s’est résumé à un ralliement pathétique : "Charte faute de mieux". À considérer même que la Charte "va dans le bon sens", fallait-il se satisfaire d’un rythme de marche aussi lent et ouvrant de potentiels conflits dans un futur proche entre la Charte et une directive établissant une responsabilité environmentale adoptée par l’UE en 2004 ?
Bruno Villalba
Lecture conseillée : dossier sur la Charte de l’environnement, site de l’Assemblée nationale. http://www.assemblee-nat.fr/12/dossiers/charte_environnement.asp