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Une campagne à la campagne

Les stratégies d’intégration de la question écologiste sur une liste UMP aux élections régionales de 2004

mardi 17 mai 2005, par Anne-Sophie Petitfils

Avec l’accroissement des préoccupations environnementales dans la société et la bipolarisation du jeu politique français, les formations politiques traditionnelles n’ont eu de cesse, notamment aux dernières élections régionales de 2004, de déployer tout un arsenal de stratégies visant à récupérer la question écologiste. En étudiant la constitution de la liste UMP-RPF-CNI-PR champ-ardennaise, cet article analyse comment, par le choix d’un candidat issu du monde associatif reconnu pour ses engagements environnementalistes, ces partis politiques de droite s’approprient, et jusqu’à quel point, cette thématique. Doctorante en science politique, Anne-Sophie Petitfils réalise actuellement une thèse sur les militants et les élus locaux de l’UMP au sein du Centre d’Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS) de Lille 2.

C’est depuis la fin des années 1970 que l’écologie s’est progressivement constituée, en France, comme un véritable enjeu politique. Au milieu des années 1980, elle s’est trouvée représentée par des partis politiques qui ont fait de cette question leur marque de fabrique. Les premières candidatures d’écologistes aux élections présidentielles (René Dumont en 1974 et Brice Lalonde en 1981) n’ont pas donné lieu à des réactions importantes de la part des autres acteurs politiques. Mais la constitution, en 1984, de la première formation écologiste conséquente a changé la donne. Désormais, plus aucun parti n’a pu faire abstraction de la question écologique - où tout au moins des problèmes environnementaux. Il faut dire que l’enjeu était de taille : il s’agissait de ne pas laisser le monopole des questions environnementales au seul parti Vert et d’éviter d’essuyer à termes un basculement d’une partie de leur électorat vers les formations écologistes. Il s’agissait aussi pour ces formations de maintenir leur monopole légitime de la représentation politique (non seulement en termes de postes électoraux, mais aussi d’idées légitimes à manipuler dans l’arène politique).

Pour faire face à l’intrusion de ce nouvel entrant, les autres formations ont déployé tout un ensemble de stratégies. Guillaume Sainteny a systématisé la réaction des acteurs politiques établis ; il a déterminé quatre types d’action utilisés soit de façon successive, soit de façon concomitante. Initialement, il s’agissait de tenter d’exclure le thème de l’écologisme du champ politique en le réfutant, en le déformant voire en le reléguant dans des clivages existants, ou de le récupérer - l’intensité de la récupération étant corrélée avec les échéances électorales. Autre stratégie : d’aucuns ont essayé d’exclure l’intrus soit en contestant la légitimité de sa présence dans le champ politique, soit en érigeant ou renforçant des barrières juridiques (dispositions de lois électorales défavorables aux petites formations). Si tout cela ne suffisait pas, il était encore possible de tenter de récupérer une partie de l’électorat de ces mouvements, ou bien encore de dévoyer leurs élus ou leurs principaux dirigeants. Ces actions ont connu des fortunes diverses : "Si les deux premiers types semblent n’aboutir qu’à des résultats médiocres, les deux derniers types semblent avoir été plus efficaces" [1].

Les acteurs politiques établis ont successivement recouru à ces stratégies nonobstant leur tendance politique. Il faut reconnaître que le maintien, pendant près de dix ans, du slogan de principe "ni droite, ni gauche" par les Verts, consacrant le refus de toute parenté avec une idéologie plutôt qu’une autre, pouvait être perçu comme une menace - tant par son potentiel électoral que par le refus d’une quelconque alliance avec l’un et l’autre camp - mais aussi comme une opportunité électoraliste par l’ensemble des formations politiques aussi bien de gauche que de droite, voire d’extrême droite.

Au début des années 90, les Verts ont amorcé leur ancrage à gauche. Mais, à la différence d’un positionnement idéologique de moins en moins nuancé par les dirigeants Verts (notamment suite au départ d’A. Waecher), une partie de l’électorat écologiste a continué "à affirmer une certaine spécificité idéologique en termes de positionnement sur la dimension gauche/droite. Ainsi en 1997, 35% des électeurs écologistes se classaient "ni à droite, ni à gauche" contre 18% en moyenne. De même, 60% d’entre eux ne faisaient confiance "ni à la droite, ni à la gauche" pour gouverner le pays (37% en moyenne)" [2].

Les principaux partis politiques de droite ont alors accentué leurs stratégies de séduction d’une partie de l’électorat écologiste. Cette stratégie se décline à la fois nationalement (par la construction progressive d’une réponse de droite aux préoccupations environnementales) et localement (par l’intégration de ces notions dans la construction de pratiques électoralistes par exemple).

Nous souhaitons illustrer la manière dont, localement, les problématiques écologiques vont devenir un enjeu interne au sein de l’UMP (Union pour un mouvement populaire). Plus précisément, à l’occasion des élections régionales de 2004, comment la constitution d’une liste électorale intègre la question écologique ? L’hypothèse est que, en devenant une thématique officielle de leur campagne, les candidats locaux s’approprient réellement cette idée, non seulement en direction de leur électorat, mais aussi de leur appareil militant. Pour comprendre l’intensité de cette appropriation, le détour par une analyse organisationnelle s’impose : les procédures d’investiture des candidats sont l’occasion de tester la validité des engagements théoriques d’un mouvement politique, de voir comment s’opère les arbitrages entre une rhétorique électoraliste et une transformation des priorités identitaires du parti. Dans le cas présent, la constitution de la liste régionale requiert la prise en compte de tout un ensemble d’intérêts locaux parfois difficilement conciliables. En examinant comment les enjeux environnementaux sont mis en concurrence avec des enjeux économiques - en l’espèce agricoles - ou des intérêts catégoriels - en l’espèce ceux du monde de la chasse -, on pourra ainsi se demander, comment les acteurs politiques se convertissent, et jusqu’à quel point, à cette thématique.

Insérer la question écologiste sur une liste UMP

Incontestablement, le contexte d’extension des croyances en une "crise du politique", qui frappe la France depuis une vingtaine d’année, oblige les formations gouvernementales à élargir leur offre idéologique et à renouveler leur personnel politique. Ainsi, dès le milieu des années 80, les partis se sont intéressés aux acteurs de la "société civile", censés contribuer à façonner une nouvelle image de la politique, plus proche des préoccupations réelles des Français. La droite gaulliste et ses alliés, qui ne bénéficient pas d’un héritage militant important dans les thématiques écologiques, vont utiliser cette ouverture vers la "société civile" pour combler cette lacune militante et théorique.

Insérer la question écologiste dans son programme militant et électoral ne s’improvise pas... Tout d’abord, il faut accepter de reconsidérer cette thématique et parvenir à la conclusion de son importance. Ensuite, il importe de solliciter des acteurs sociaux (re)connus localement pour leurs engagements associatifs et pouvant se prévaloir d’une certaine extériorité au monde politique. Enfin, si l’on ne veut pas perdre toute crédibilité, ces acteurs doivent parvenir aux postes de responsabilités politiques, en avançant rapidement dans le cursus politique - au risque de mécontenter les vieux militants...

Prenons donc un candidat - placé en position éligible - de la liste UMP de Champagne-Ardenne aux élections régionales de 2004. Ce candidat a été expressément choisi par la tête de liste pour ses engagements environnementalistes et ses propriétés sociales [3]. Il peut être assimilé, à ce que d’aucuns appellent, une "personnalité issue de la société civile". Professeur en marketing et communication, il est directeur d’un IUT de la région, ce qui lui a offert une forte reconnaissance sociale locale. Il est aussi fortement engagé dans les mouvements associatifs environnementalistes locaux : "Le bon politicien qui voudrait être élu plus tard, il n’a qu’à créer quatre ou cinq associations de défense de la nature et puis... Je sais bien pourquoi on est venu me chercher pour être suppléant de ci, de ça, ce n’était pas gratuit : il y avait la formation - j’avais réussi là dedans - mais, en même temps, j’avais une image de défenseur de la nature, des grands problèmes qui se présentent ou qui se présenteront." En tant que fondateur d’un centre de soin pour les animaux sauvages blessés (autofinancé), et membre actif de plusieurs associations de protection de la faune dont la Ligue de Protection des Oiseaux, il s’est imposé au niveau local comme une figure incontournable des problèmes environnementaux. Enfin, il n’est pas encarté à l’UMP.

Ainsi, de par la visibilité sociale dont il bénéficie au niveau local dans différents champs sociaux (le milieu associatif environnemental, celui de l’enseignement supérieur), il fait figure de "bon candidat". Une personnalité parviendra d’autant plus facilement à s’imposer si elle peut bénéficier d’une certaine notoriété accumulée localement du fait de ses activités militantes - associatives et/ou syndicales - qu’elle réinvestit dans l’espace politique local. Les têtes de liste, en l’occurrence, tendent à favoriser les profils "en fonction de leur rentabilité escomptée du fait de leur capacité de mobilisation présumée de certaines couches de la population" [4] En d’autres termes, il semblerait que la "promotion de la "société civile" "corresponde à la valorisation de candidats détenteurs d’un capital personnel - "notoriété" et "popularité" d’un homme fondées sur "le fait d’être connu et reconnu dans sa personne" - au détriment des détenteurs d’un capital délégué d’autorité politique -" produit du transfert limité et provisoire (quoique renouvelable parfois à vie) d’un capital détenu et contrôlé par l’institution et par elle seule" [5].

Il est également une autre spécificité des "personnalités issues de la société civile". Dans un contexte de dévalorisation du politique, dans son ensemble, celles-ci ont tendance, dans leurs discours notamment, à se démarquer de tout ce qui peut les assimiler à des professionnelles politiques. Elles se définissent donc volontiers comme des bénévoles, des actrices désintéressées. Notre candidat n’échappe pas à la règle. Sur la liste UMP-RPF-CNI-PR sur laquelle il s’est présenté, il considère être "un peu à part" : "Les hommes politiques il faut savoir une chose, ils ne pensent qu’à une chose : être élu, et ils ne pensent qu’à court terme. Bon, moi, je suis un peu à part, parce que je fais de la politique pour faire avancer les idées, pas pour le pouvoir. Beaucoup, c’est pour le pouvoir, la recherche personnelle, c’est une compensation pour des tas de trucs, on peut aller loin au niveau psychanalytique..." Mais bien plus que le désintéressement, les personnes mettent l’accent sur leur dévouement, le don d’eux-mêmes aux autres, leur altruisme... autant de valeurs qui ne peuvent être réduites à l’une ou l’autre tendance politique. En ce sens, l’environnementalisme - au même titre, d’ailleurs, que l’engouement pour l’humanitaire ou la féminité, promue en politique par l’entrée en vigueur de la loi sur la parité [6] - présente "l’aspect d’une idéologie "morale", neutre voire activement "neutralisée", condition de son succès dans la France des années 1980, dans un double contexte de dépolitisation et d’irreligion croissantes" [7]. Mobiliser ainsi l’environnement permet, à bon compte, de témoigner d’une volonté d’ouverture aux enjeux de la "société civile", en mettant en avant ses vraies priorités...

Ainsi, notre candidat a, avant de rejoindre les rangs de l’UMP, été régulièrement sollicité pour participer à des scrutins aussi bien par des partis politiques de droite que de gauche. A le voir ainsi solliciter indistinctement par chaque camp, on peut sans doute confirmer l’hypothèse que ses engagements sont perçus comme "apolitiques"... Une fois intégré dans la liste, son image "apolitique" pouvait constituer un atout, puisqu’il pouvait collecter sur son nom plus de suffrages, en mobilisant au-delà des clivages politiques traditionnels : "Il fallait ratisser, ils ratissent, c’est ça. Ils voulaient bien que je sois dans les têtes de liste parce qu’ils savaient que je ratissais large encore plus que tout le monde puisque (les chasseurs) ne représentent plus que deux pourcents".
L’instrumentalisation de son image d’environnemantaliste-hors-des-clivages-partisans pouvant permettre la captation d’électorats qui, de plus en plus dépolitisés, se laissent aller à voter pour des thématiques plus morales, affectives, émotionnelles - ou tout du moins, perçues comme telles.

Si ces personnalités ont tendance à dénigrer le caractère "intéressé" des professionnels de la politique, en retour, les acteurs politiques établis revendiquent pleinement leur rôle de professionnels de la politique expérimentés et compétents, politiquement parlant. Ces derniers, en posant ainsi la légitimité de leur présence dans le champ politique, tendent à contester toute légitimité aux nouveaux entrants. La présence sur la liste du candidat interviewé a, elle aussi, été contestée par certains colistiers mécontents d’avoir été relégués dans des positions non-éligibles. Sa présence était d’autant plus facilement contestable qu’il avait été placé en position éligible par la tête de liste départementale : "C’est pour cela que souvent j’étais interpellé dans les meetings, il y a eu de grosses discussions au départ, avant les régionales, parce qu’on avait mis un mouton noir sur la liste, il y en a même qui se dressaient et qui disaient : "qu’est-ce qu’il fait là celui-là ?", vu que j’étais éligible. Mais, ils ne comprennent pas cela. Pour eux, faire de l’écologie, c’est être gauchiste, alors que ça concerne tout le monde. C’est ça que j’essaie de faire passer. Mais, ce n’est pas politique, c’est complètement en dehors, puisque c’est une question de survie. Et ils ne s’en aperçoivent même pas, gauche ou droite." Les autres candidats ont mis en cause la légitimité de sa présence et de sa position sur la liste sans doute autant, si ce n’est davantage, pour la thématique qu’il a investie que pour son extériorité au monde politique. En réaction contre les critiques formulées à son égard par des acteurs appartenant à son propre camp, sa stratégie consistait à rappeler le très récent engouement de certaines couches de la population pour la thématique environnementaliste et sa légitimité - difficilement contestable de nos jours - qui, par ricochet, contribuait à asseoir sa propre légitimité sur la liste.

Au regard des éléments d’analyse ainsi présentés, il apparaît que l’une des stratégies pour intégrer la question environnementaliste à droite - et, en l’occurrence, sur une liste UMP-RPF-CNI-PR - a été d’en appeler aux "personnalités issues de la société civile". Le recours à cette stratégie - qui ne peut se faire que pour des scrutins de liste - se comprend dans un double contexte de positionnement, désormais sans nuance, des Verts, et d’extension des croyances en "une crise du politique". Dans ce contexte, la promotion du recrutement au sein de la "société civile" est sans doute perçue par les têtes de liste comme un moyen de rénover et de moderniser la vie politique française et d’endiguer, un tant soit peu, le processus de professionnalisation du personnel politique. Solliciter des personnalités connues pour leurs engagements associatifs et leur extériorité au monde politique présente donc plus d’un avantage. Cela permet non seulement de profiter du savoir-faire associatif et professionnel - en tant que spécialiste de communication et de marketing - mais aussi de bénéficier de la notoriété acquise par certaines figures de la vie locale dans l’optique de rallier des couches de la population plus larges que celles auxquelles s’adresse généralement la droite. Cependant, cette stratégie comporte un risque non négligeable, celui d’entraîner la désaffection de certaines parties de l’électorat traditionnel de droite.

Concilier des intérêts a priori contradictoires : la mise en cohérence idéologique et discursive

Les dernières élections régionales, celles de 2004, ont connu une modification sensible de la morphologie de l’offre électorale : l’augmentation du seuil pour se maintenir au second tour à 10% des suffrages exprimés (au lieu de 5% en 1998) a contribué à renforcer encore davantage la bipolarisation du jeu politique autour des deux grandes formations de droite et de gauche. Mais, surtout, cela a entraîné, de facto, la disparition d’une multitude de listes indépendantes, telles notamment les listes des écologistes indépendants, des chasseurs, des régionalistes. Leur personnel politique, loin d’avoir disparu du jeu électoral, s’est allié aux formations existantes [8]. La nécessité de prendre en compte ces divers intérêts sectoriels et sensibilités politiques a parfois donné naissance à des rassemblements, a priori improbables, de personnalités pour le moins hétérogènes. C’est ainsi que pouvaient cohabiter sur une même liste des écologistes indépendants, des chasseurs - anciens partisans de Chasse, Pêche, Nature et Tradition, ou non - et des exploitants agricoles adeptes de l’agriculture intensive - particulièrement développée dans les plaines champenoises. Toute la question est de savoir comment ces intérêts a priori contradictoires, ou du moins divergents, se concilient, au concret, le temps d’une campagne. Autrement dit, comment rendre cohérente, auprès de l’opinion publique notamment, l’intégration sur une liste de droite de militants environnementalistes - qui ont même été, avant, concurrent des listes de droites - sans risquer d’entraîner la désaffection de certaines couches de l’électorat, dont la propension à voter à droite est plus élevée.

La conciliation des intérêts s’effectue par le recours successif voire simultané à différentes stratégies. Le cas qui nous occupe est, en ce sens, significatif. Tout d’abord, le choix des candidats tient une importance particulière. Il s’agit de choisir des colistiers aux positions modérées qui ainsi pourront s’accorder sur certains sujets. Notre candidat écologiste, de par la notoriété essentiellement, mais non exclusivement, professionnelle dont il bénéficiait localement et de certaines ressources qu’il pouvait mobiliser en tant que directeur d’un IUT, a réussi à asseoir aussi bien sa propre légitimité que la légitimité de la cause qu’il défend. La tête de liste lui a donc proposé de figurer en position éligible. Cette position avantageuse lui a permis de participer au choix des autres colistiers placés en position non éligible. S’il a accepté que soient représentés les intérêts des chasseurs, il a cependant refusé la présence sur la liste de représentants de Chasse, Pêche, Nature et Tradition (CPNT) : "Il y avait un chasseur, un président de chasse, alors, oui, on s’est entendu, on ne s’est pas aligné, mais, bon... Il fallait ratisser chez les chasseurs mais, pas mettre un virulent, un gars honnête, un petit président de chasse qui représente la ruralité. Il y en avait un, je n’en voulais pas, mais il fallait qu’il y ait un chasseur. Donc, ils me l’ont imposé en me disant on va en prendre un doux." Dans cette configuration spécifique, les représentants du mouvement de CPNT se sont alliés, au premier tour, à la liste UDF, qui a elle-même fusionné entre les deux tours avec la liste UMP-RFP-CNI-PR.
Outre le choix des colistiers, la conciliation des intérêts des différents protagonistes passait également par une adaptation circonstanciée du discours selon les publics potentiellement concernés. En fonction de la localisation des meetings, ses colistiers, mais surtout les têtes de liste l’incitaient à développer un discours environnementaliste ou, au contraire, freinaient ses élans. Evoquant les réunions de campagne : "Moi, j’en distillais un petit peu à chaque fois. Ils étaient sur le qui-vive tous les collègues. A chaque fois qu’on rentrait dans un meeting, ils disaient : "Déconne pas, bon, les oiseaux, c’est bien, mais, tu vois, là dans tel canton, tu parles de la formation, de la santé". Et puis, normalement, on devait me donner l’environnement et la santé. Ils ont peur : ils essayent de ménager la chèvre et le chou, il n’y a pas vraiment de discours direct." Ses engagements associatifs en faveur de l’environnement étaient affichés ostensiblement dans certaines configurations - dans des meetings en milieu urbain ou auprès d’acteurs environnementalistes - mais tus dans d’autres circonstances - en milieu rural, où l’agriculture et la chasse tiennent encore une importance particulière. L’adaptation de son discours n’était possible que parce qu’il était un acteur multipositionné dans le champ social. En tant que membres de plusieurs associations environnementalistes, enseignant et directeur d’IUT, il pouvait, en campagne électorale, tour à tour évoquer légitimement les questions de formation et d’environnement. De par son caractère pour le moins interchangeable, l’on voit combien la question environnementale est loin d’être jugée prioritaire par les principaux représentants locaux du parti.

Même lorsqu’il était invité à prendre position sur les grandes questions écologiques dans des meetings, son intronisation, par certains colistiers, pouvait conduire à jeter le discrédit sur l’ensemble de son discours. La présentation de son discours était sur le mode : " Bon alors maintenant on laisse la parole à notre candidat environnementaliste, alors lui, c’est les petits oiseaux, c’est le ciel bleu, c’est tout ça..." Il estime ne pas avoir reçu un soutien effectif, ni même passif de la part des autres candidats. Cette stratégie visant à euphémiser la portée du discours environnementaliste a également été utilisée dans le tract de campagne de la liste UMP, distribué à l’ensemble des habitants de la région. Sur les huit pages, seul un encadré tenant sur le tiers d’une page était consacré à "l’environnement, le cadre de vie et la ruralité". Parmi les propositions phares, figuraient la volonté de promouvoir le patrimoine non classé, favoriser le tourisme et assurer l’égalité entre territoires ruraux et urbains. Ne venaient qu’ensuite les intentions d’aménager les bassins fluviaux, et de développer les énergies propres. C’est comme si le discours proprement environnementaliste était purement et simplement noyé dans un discours généralisant - et quelque peu dépolitisé - sur la ruralité. En tant que sénateur suppléant, il a parfois l’occasion de discuter des problèmes d’environnement avec un sénateur UDF des Ardennes élu en 1998 : "Je suis suppléant d’un sénateur, et lui, je le vois, il n’est pas du tout sensible à ça, mais pas du tout. Au contraire, il me dit : "il faut laisser faire la nature". Il adore venir ici pour dialoguer avec moi, mais il me dit : "mais, pourquoi vous perdez votre temps, pourquoi vous vous intéressez à cela ?", c’est du détail pour eux..."

Anne-Sophie Petitfils


[1Guillaume Sainteny, L’introuvable écologisme français ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2000. Voir surtout le chapitre 4, intitulé "La réaction des acteurs politiques établis".

[2Daniel Boy, "Ecologistes", in Pascal Perrrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, pp.319-321.

[3Mes remarques et conclusions reposent sur un entretien approfondi avec ce candidat, dont je reproduis certains propos.

[4Philippe Garraud, Profession : homme politique. La carrière politique des maires urbains, Paris, L’Harmattan, 1989, p.32.

[5Pierre Bourdieu, "La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°36-37, 1981, p.18-19.

[6Il m’a été donné d’étudier l’activation du concept de "société civile", au moment de la mise en œuvre de la loi sur la parité aux élections municipales de 2001. J’ai repris ces conclusions dans une communication intitulée : "Les logiques sociales et les conditions pratiques du recrutement des élues. L’exemple des élections municipales de 2001 dans le Nord Pas-de-Calais.", Communication aux journées d’études sur "L’invention de l’élue", Angers, 18-19 juin 2004.

[7Johanna Siméant établit un parallèle entre le succès de l’humanitaire et l’engouement pour le conceptde "société civile" : Johanna Siméant, "Entrer, rester en humanitaire : des fondateurs de MSF aux membres actuels des ONG médicales françaises", Revue Française de Science Politique, vol. 51, n°1-2, février-avril 2001, p.49.

[8Claude Patriat, "Equation sans inconnus. Les nouveaux paramètres de l’offre électorale régionale", Revue française de science politique, vol.54, août 2004, pp.545-570.