Accueil > Les dossiers > De l’automne 2004 à l’automne-hiver 2005/2006, du n° 18 au 21 > N° 19 (printemps 2005) / Soigne ta droite ! Vers une écologie de droite ? > Dossier > Masques et visages de la solidarité internationale
Masques et visages de la solidarité internationale
lundi 16 mai 2005, par
Selon Bernard Dréano, du Cedetim, la gauche n’aurait pas plus de légitimité que la droite à revendiquer un discours, des représentations ou des pratiques dites écologistes. Sur le terrain, les valeurs de l’écologie, comme l’humanisme, la solidarité, le partenariat de développement n’ont pas d’étiquette. Seul compte l’universalisme dont ces valeurs sont porteuses et dont les nombreuses organisations de solidarité internationales font la promotion, et même s’il est souvent en retrait par rapport au "charity business". Mais entre toutes, sans aucun doute, l’Ecologie politique reconnaîtra les siennes.
La solidarité internationale semble être démonstration de l’universalisme, et l’universalisme démonstration du progressisme de toute pensée politique. L’écologie politique, qui se veut justement et avant tout universaliste, devrait donc en faire une matrice essentielle de son projet. A l’inverse, ceux que les progressistes identifient comme réactionnaires le seraient notamment parce que, demeurant rétifs au grand dessein humaniste, universel et égalitaire, ils récuseraient cette générosité globale, se réfugieraient dans l’égoïsme, ou au mieux se contenteraient de la charité qui, comme chacun sait, "quand elle est bien ordonnée commence par soi-même".
Pourtant, au-delà des slogans, les courants "progressistes" n’ont pas très souvent mis en œuvre cette solidarité internationale proclamée (quand elle l’était). Cela vaut pour l’ensemble des forces de ce que l’on appelle la gauche en France, y compris les écologistes. A l’inverse, certains courants de droite, à commencer par les libéraux, se sont régulièrement fondés sur les thèmes de l’universalisme pour mettre en pratique à leur manière diverses formes de solidarité. Quelques exemples récents illustrent fort bien cet état de chose.
Ce que nous apprend un raz de marée
Le cas du Tsunami du 26 décembre 2004 en Asie du Sud est de ce point de vue instructif. L’opinion publique mondiale, du moins celle qui est connectée aux programmes des grands médias internationaux, a réagit avec compassion. C’est une attitude humaine anthropologiquement fort répandue et moralement fort respectable. Et si c’est sans doute une condition de la solidarité, ce n’est pas la solidarité.
Juste après le raz de marée, l’essayiste indien Praful Bidwai soulignait : "les catastrophes naturelles ne sont naturelles que dans leurs causes. Elles sont socialement déterminées et transmises à travers des mécanismes et des organisations qui sont des créations des sociétés et des gouvernements. Les désastres naturels ne sont pas socialement neutres dans leurs impacts. Ils frappent plus les faibles et les pauvres que les privilégiés" [1].
Comment passer, dans ces conditions, de la compassion à la solidarité ? D’abord en comprenant qu’une intervention extérieure, même de bonne volonté, doit tenir compte d’une situation locale. Il se trouve les deux zones les plus durement frappées par le Tsunami sont deux régions en guerre : au Sri Lanka avec la guerre qui à opposé pendant des années le gouvernement central et les rebelles "Tigres" tamouls du LTTE, et qui est censée être entrée dans une phase de "processus de paix" ; en Indonésie, dans la province Ajteh (Aceh), avec la guerre qui oppose depuis seize ans le gouvernement central et les rebelles musulmans.
Comment en tenir compte ? Dans le cas sri-lankais par exemple, le Forum pour la démocratie au Sri Lanka (SLDF) a salué l’aide nationale et internationale apportée au victimes et applaudi "l’extraordinaire vague de générosité civile, constatée tant au Sri Lanka qu’au niveau global, qui démontre les liens indéfectibles de la compassion humaine", mais pour ajouter aussitôt "que toutes les parties concernées doivent rejeter le militarisme et communalisme" visant explicitement le gouvernement d’une part, les rebelles du LTTE d’autre part, les enjoignant de coopérer, avec le soutien international, dans un même effort national de reconstruction, car "une solution permanente du conflit ethnique peut s’enraciner dans l’effort de reconstruction social et économique du territoire ravagé par le Tsunami" [2]. De même l’organisation de défense des droits de l’homme Asia Watch a appelé tous les donateurs à "éviter de financer la haine" en oubliant la réalité indonésienne ou sri lankaise [3].
Qui a tenu compte de tels facteurs parmi les généreux donateurs, qu’ils soient de gauche ou de droite, chez nous ? Pas grand monde, en tout cas pas de manière explicite et visible. Sauf évidemment un donateur qui n’a rien de généreux : si les Etats-Unis ont mobilisé deux porte-avions avec leurs escortes, soit un total de 12 navires et 41 hélicoptères ce n’est pas "innocent" comme le souligne a juste titre Praful Bidwai [4], mais plutôt, selon le lapsus significatif de Condoleeza Rice devant le Sénat des Etats-Unis, pour profiter de cette "merveilleuse occasion" de redorer le blason américain au yeux des musulmans. L’administration Bush avait même envisagé d’organiser son aide autour d’un core group court-circuitant l’ONU, comprenant l’Australie et auquel l’Inde avait accepté de participer. Mais les autres puissances, l’Europe, la Chine (qui a envoyé sur zone pas moins de 11 destroyers de la classe Yutang) et les pays de l’ASEAN ont fait reculer Washington sur ce point. Tandis que son allié indien cherchait à s’imposer en sauveur aux Maldives ou au Sri Lanka tout en délaissant ses propres populations des îles Nicobar et Adaman situées tout près de l’épicentre du séisme ! L’aide d’urgence de la "grande politique" n’est pas la solidarité désintéressée.
Après l’urgence vient la reconstruction. Distingue-t-on un programme "de gauche", d’un programme "de droite" en la matière ? Oui, vous diront les progressistes : il faut que cette reconstruction soit socialement juste, et conforme à une vision économiquement durable. Mais tout le monde ou presque, des multinationales du tourisme aux bureaucrates locaux les plus corrompus, va se réclamer de tels beaux discours. La réalité sera différente, mais pas selon un clivage droite/gauche... Les "missionnaires de l’humanitaire" de certaines ONG ou institutions internationales, tombant du ciel avec leurs 4x4 rutilants et leurs excellentes intentions progressistes et humanistes, contribueront, comme souvent, à la désarticulation sociale et au développement erratique. A contrario du travail des organisations catholiques indiennes [5], incarnées par un autre missionnaire, jésuite celui-là, Pierre Ceyrac, enraciné dans la réalité sociale des communautés de paysans pauvres et des pêcheurs. Ou de l’action de Via Campesina qui appelle à soutenir la Fédération nationale indonésienne des organisations paysannes ou l’organisation nationale des pêcheurs du Sri Lanka (NAFSO), mais cet appel n’a guère été relayé au delà des amis de la Confédération Paysanne (la branche française de Via Campesina). On comprend dans ces conditions l’inquiétude d’un Ludovic Jonnard, de l’organisation Architecture et Développement, et de ses partenaires sur le terrain : "Il serait vain de croire qu’une opération de solidarité menée par une ONG ou une collectivité - fusse-t-elle bien dotée - puisse contribuer de manière définitive à la reconstruction. Il est important de reconstruire non seulement les infrastructures et les logements, mais aussi les communautés, les pratiques sociales et culturelles, finalement, ce qui constitue les conditions d’un habitat décent et viable" [6]. Qu’est-ce qui distingue ces organisations du vibrionage "progressiste" d’ONG émargeant au charity business ? Pas le fait d’être "de gauche" ou de sensibilité "écologiste" (beaucoup le sont, d’autre pas, pour d’autres ces catégorisations ne veulent rien dire), mais de travailler avec des organisations indépendantes locales, loin des pratiques parachutées, de l’ignorance apolitique du terrain. Bref, les véritables organisations de solidarité internationale, sont celles qui ne se situent pas en extériorité (pour aider de manière intéressée ou désintéressée, utile ou néfaste), mais qui construisent de projets partagés avec des partenaires.
Les questions que nous révèlent les oranges et les roses
Une véritable solidarité internationale suppose un partenariat, se voulant exempt des diverses formes de paternalisme, de domination ou d’instrumentalisation, Ce principe est volontiers revendiqué au sein de la gauche européenne, singulièrement de la gauche française, et notamment de la gauche écologiste. Malheureusement, les diverses formes de paternalisme, de domination ou d’instrumentalisation que l’on constate ne sont pas un privilège "de droite" ; elles sont hélas monnaies courantes aussi dans les pratiques "internationalistes" de gauche, quand il ne s’agit pas du simple maquillage de l’égoïsme national. Et cela est vrai de toutes les formes de l’action solidaire, économiques et sociales, d’aide d’urgence ou de partenariat de développement, mais aussi en matière de droits civiques et politiques ou de paix. Les belles paroles n’ont pas toujours de conséquences sur le terrain, et quand elles en ont ce n’est pas toujours du fait de la gauche.
Prenons l’exemple d’événements récents, et qui ont fait grand bruit dans le monde, les révolutions "des roses" en Géorgie fin 2003 et "orange" en Ukraine fin 2004. Ces mouvements de masse non violents, revendiquant la démocratie, ont renversé des pouvoirs post-communistes, en suivant l’exemple du mouvement qui avait fait tomber Milosevic en Serbie à la fin de 2000. Ils ont bénéficié d’une évidente sympathie des médias occidentaux, et d’une solidarité active venant plus de forces de droite que de forces de gauche. Sans doute parce qu’au-delà de la dénonciation de la corruption et de la fraude électorale, leur programme se réclamait du libéralisme, au sens politique, mais aussi économique du terme.
On trouvera là encore, comme pour le Tsunami, la "solidarité" intéressée du département d’Etat américain et des agences officielles et officieuses états-uniennes. Il n’empêche que ces mouvements représentent une authentique aspiration à plus de démocratie, l’expression de nouvelles générations exaspérées devant la corruption des classes dirigeantes issues des anciennes nomenklaturas. Ils ont bénéficiés aussi d’un soutien indépendant des Etats et qui ne venait pas tellement de ce que l’on qualifie généralement de "gauche". A l’Est, il y a, pour des raisons historique, une certaine carence de la gauche solidaire telle qu’elle existe à l’Ouest, toutes tendances confondues. Par contre dans ces pays anciennement communistes et tout particulièrement dans les zones de conflit des Balkans et de l’ex-URSS, on peut identifier l’existence d’une autre forme de solidarité cohérente et durable aux processus de démocratisation ; elle été organisée à partir du réseau "pour une société ouverte" mis en place par le financier américain George Soros [7]. Il présentait ainsi lui même son action en 1997 [8] : [9] Ces organisations ont mis en œuvre, dès le début des années 90, un appui actif aux mouvements de paix ou non nationalistes pendant les conflits yougoslaves ou sud-caucasiens [10]. Leur soutien aux mouvements de solidarité avec les Roms en Europe Centrale et dans les Balkans, et plus généralement aux groupes antiracistes et antifascistes, n’a jamais cessé. Or George Soros, s’il est notoirement hostile à la politique de G.W. Bush, n’est pas un "homme de gauche" au sens français du terme. Et si ce spéculateur international est aussi un critique de l’ultra-libéralisme économique [11], il se réclame d’abord du libéralisme politique et fonde sa conception de la solidarité sur une vision de la "société ouverte" qu’il a empruntée au français Henri Bergson et à l’autrichien Karl Popper.
Ce versant libéral de la solidarité n’est pas seulement américain. En France, au début des années 80, la virulente critique "anti tiers-mondiste" de certains militants de l’aide humanitaire, regroupés dans la fondation Liberté sans frontière, avait fait apparaître, de manière alors inédite, des approches très contradictoires de la solidarité internationale : certains comme Claude Malhuret [12] se réclamaient clairement du libéralisme au sens de la droite française, contre "l’apolitisme" des ONG tiers-mondistes et le "gauchisme" des anti-impérialistes, accusés de cautionner des régimes dictatoriaux ou totalitaires. Pourtant, aucune organisation du type de celles du "système Soros" n’a émergé à partir des libéraux français, et il est intéressant de noter que ce débat, qui a semblé tourner en faveur de la droite au niveau médiatique, s’est révélé positif, au niveau militant, pour une certaine gauche de mouvement, celle des ONG tier-mondistes et des organisations de solidarité internationalistes, produisant en leur sein une féconde réflexion sur les fins et les moyens et contribuant à renouveler leurs pratiques [13].
Indépendamment de la "solidarité" instrumentale des grandes puissances (dont les gouvernements sont parfois "de gauche"), ou de la "solidarité" intéressée des multinationales, et parfois contre celles-ci, existent donc des activités de solidarité qui ne se réclament pas de l’internationalisme dans la tradition du mouvement ouvrier ou de la solidarité globale de l’écologisme, mais du libéralisme politique. Elles prospèrent d’autant plus que la solidarité internationaliste progressiste est absente, comme on l’a vu lors des guerres yougoslaves. Ces différentes approches de la solidarité vont s’opposer mais aussi se combiner parfois selon les situations historiques. D’ailleurs on oublie trop souvent que chacune de ces idéologie de solidarité cosmopolite se réclame in fine de la même matrice, celle des lumières du XVIIIe siècle occidental, chacune pouvant faire sienne la fameuse maxime de Montesquieu : "Si je savais quelque chose qui me fut utile et qui fut préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fut utile à ma famille, et qui ne le fut pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose qui fut utile à ma patrie et qui fut préjudiciable à l’Europe ou au genre humain, je le regarderais comme un crime." [14]
Humanitaire international contre solidarité internationale ?
S’il peut exister plusieurs manières politiques de considérer la solidarité internationale, celle-ci est toujours l’expression d’une conception philosophique universaliste, fondée sur l’unité du genre humain, cherchant à se traduire par une coopération entre égaux pour promouvoir des valeurs partagées et jugées universelles. Les différences qui vont diviser ces courants universalistes vont tenir compte de leurs appréciations de ces valeurs, notamment en termes de priorités : égalité en droit et en dignité, justice sociale, libertés démocratiques, etc. Et ces différences auront plus ou moins d’acuité en fonction des conditions concrètes (situation de dictature ou d’oppression, exploitation économique, réaction à une catastrophe naturelle, etc.). Cet universalisme paraît ainsi devoir donc toujours s’opposer aux ethnicismes, sectarismes, communautarismes et autres solidarité restreintes (de clans, de religions, de nations, etc.) antagoniques à la véritable solidarité internationale. Est-ce bien sûr ?
Le point de vue "universel" n’est souvent universel que selon les conditions du dominant, de sa position de vue de classe et/ou de nation. C’est au nom de l’universalisme, et de ses corollaires, la "civilisation" et le "progrès", que la gauche, plus encore que la droite, a encouragé la conquête coloniale et la gestion raciste de l’empire. C’est au nom de l’universalisme, et de ses corollaires, la "liberté", la "démocratie", que la droite, mais aussi une partie de la gauche, ont justifié leur solidarité avec des dictatures pendant la guerre froide.
Ce même mécanisme produit aujourd’hui, et toujours au nom de l’universalisme et de ses corollaires, maintenant "la sécurité" ou les "valeurs républicaines", des formes perverses de l’idéologie de guerre des civilisations auxquelles adhèrent, consciemment ou non, des personnes par ailleurs chantres de la solidarité internationale authentique. C’est le cas par exemple de Jean-Christophe Rufin dans son rapport officiel sur le racisme et l’antisémitisme [15] . Ce qu’il croit constituer l’antisémitisme dans la France contemporaine s’inscrit dans un double contexte mondial, socioculturel, de "l’arrachement à la culture d’origine" des pauvres issus de l’immigration, et politique, de la "bataille d’Europe" que mènent les "terroristes islamiques" [16]. Et si ces classes dangereuses déculturées sont enrôlables dans les rangs de l’ennemi global terroriste, c’est notamment grâce à des "facilitateurs", des "antisionistes radicaux" s’inscrivant "au confluent des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes, tiers-mondistes et écologistes (...) fortement représentés au sein d’une mouvance d’extrême gauche altermondialiste et verte". Au nom même de l’autorité que lui donne sa place éminente dans "l’humanitaire international", il ne craint pas d’affirmer que le racisme est porté par ceux-là même qui se réclament de la solidarité internationale, et de prendre comme exemple emblématique la Confédération paysanne. On retrouve là l’ancienne logique de guerre froide, avec ses "ennemis intérieurs", mais appliquée cette fois-ci dans le contexte équivoque d’une "guerre mondiale contre le mal", où s’opposent l’humanitaire international et la solidarité internationale. Le point de vue maladroitement exposé par Jean-Christophe Rufin est porté par un courant beaucoup plus large, celui qui, par exemple, n’a retenu de la conférence de l’ONU à Durban, et surtout de la réunion parallèle de la société civile où s’étaient retrouvées des centaines d’ONG du monde, qu’une manifestation de racisme antisémite. Ce dénigrement a eu pour effet de délégitimer l’acquis majeur de cette réunion qui avait été d’ériger les victimes des racismes en acteurs sur la scène internationale (notamment les "Dalits" intouchables indiens, les minorités "aborigènes" de plusieurs continents, etc.), au grand dam, à l’époque, des gouvernements des Etats-Unis, d’Arabie Saoudite, d’Inde, etc.
Ainsi, au nom de la lutte pour un universalisme qui se veut laïque et antiraciste et même de la solidarité envers des opprimés, par exemple les femmes vivant sous la loi musulmane, on en vient à frapper de suspicion les organisations de solidarité internationale et leurs militants. Ces attaques, très fréquentes aujourd’hui en France, qui peuvent provenir de courants de droite comme de gauche, ne critiquent pratiquement jamais les courants ou organisations de stigmatisées pour leurs pratiques effectives. Elles portent sur leur idéologie supposée - voire inventée pour les besoins de la cause par un Alain Finkelkraut, un Pierre André Taguieff ou une Caroline Fourest - présentée comme une sorte de "haine de soi" post-coloniale et anticapitaliste assortie d’antisémitisme. On y ajoute une forme rhétorique classique de la guerre froide recyclée dans le contexte de la guerre des civilisations, celle du "naïf", de "l’idiot utile", de l’adversaire (l’adversaire étant en l’occurrence l’intégriste islamiste). Ceux qui s’engagent dans cette dialectique infernale sont même parfois des acteurs importants de la solidarité internationale. Nous l’avons vu avec un Jean-Christophe Rufin, mais n’est ce pas aussi le cas de Bernard Cassen, le président d’honneur d’ATTAC ? N’emboite-t-il pas les pas de Rufin en reprenant des arguments similaires dans l’hebdomadaire Politis, début 2005 [17], parlant de la "naïveté des compagnons de route" d’altermondialistes "en perte de repères" parce qu’ils coopéraient avec des organisations musulmanes, ces altermondialistes étant justement précisément des membres des courants les plus expérimentés et les plus impliqués dans la solidarité internationale parmi les fondateurs d’ATTAC [18] !
Derrière le visage généreux de l’activiste d’ONG, la tradition fraternelle de la solidarité internationaliste ouvrière, l’abnégation exemplaire du militant chrétien, etc. se cachent les milles visages de la solidarité et les milles masques de son contraire. Mais c’est aux fruits que l’on juge l’arbre.
Bernard Dréano
Du Centre d’études et d’initiative de solidarité internationale (Cedetim), co-président du réseau Helsinki Citizens’ Assembly international, représenté en France par l’Assemblée européenne des citoyens (AEC).
[1] Praful Bidwai : "The Tsunami warns us all", South Asian Citizens’ Wire, 31 décembre 2004.
[2] Communique du Sri Lanka Democracy Forum (www.lankademocracy.org), South Asia Citizens’ Wire, 8 janvier 2005
[3] Communique de AWAAZ - South Asia Watch (www.awaazsaw.org), 5 janvier 2005
[4] Praful Bidwai : "Tsunami impact : loss of innocence in the politic of aid", South Asian Citizens Wire, 5 janvier 2005
[5] Leur principal partenaire en France est le Comite catholique contre la faim et pour le developpement (CCFD).
[6] Ludovic Jonard : "La reconstruction de post-urgence est une affaire de developpement", Architecture et developpement, www.archidev.org, 5 janvier 2005
[7] Des fondations ou des instituts "Open Society" existent dans la plupart des pays de l’Est. Ils sont soutenus par les mouvements de jeunes "Otpor" en Serbie, "Khmara" en Georgie, "Pora" en Ukraine, fers de lance de ces revolutions reussies, ou "Zbur" au Belarus, qui n’est pas parvenu a renverser le dictateur Lukaschenko.
[8] cf. l’article publie en 1997 dans la revue americaine The Atlantic Monthly "What kind of society do we want ?" ou il resume les fondements philosophiques de sa pensee.
[9] "Ma première opération importante a eu lieu en Afrique du Sud, mais elle n’a pas été couronnée de succès. Le système d’apartheid était si subtil que tout ce que j’entreprenais finissait par me rendre partie du système plutôt que de contribuer à le changer. J’ai ensuite dirigé mon attention vers l’Europe Centrale, où j’ai eu beaucoup plus de succès. J’ai commencé à soutenir la Charte 77 en Tchécoslovaquie en 1980, Solidarnosc en Pologne en 1981. J’ai établi des fondations indépendantes en Hongrie, mon pays natal en 1984, en Chine in 1986 (fermée en 1989), en Union Soviétique en 1987, et en Pologne en 1988. Mon engagement s’est accentué avec la chute de l’URSS, et j’ai fondé un réseau qui existe dans plus de 25 pays".
[10] Et fort logiquement des militants connus venant de la gauche, comme Sonia Licht à Belgrade ou Zdravko Grebo à Sarajevo, ont activement contribué à la mise en place des organisations "pour une société ouverte", un des rares cadres efficaces de résistance aux ultra-nationalismes ethniques.
[11] Sur sa critique de l’ultra-libéralisme cf. George Soros La crise du capitalisme mondial, ed. Plon, 1997
[12] Claude Malhuret, l’un des fondateurs de Médecins sans frontières, secrétaire d’Etat aux droits de l’homme du gouvernement Chirac en 1986, proche d’Alain Madelin.
[13] Ce renouvellement s’est fait sentir notamment dans le CRID (Centre de recherche et d’information sur le développement) qui est devenu l’une des principales coordinations d’ONG en France, et a permis l’éclosion de ce qui a constitué l’avant-garde du mouvement altermondialiste avant le premier Forum social mondial.
[14] Portrait de Montesquieu par lui-même.
[15] Jean-Christophe Rufin, Chantier sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, rapport remis au Ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales le 19 octobre 2004.
[16] Il emprunte le premier concept à Oscar Lewis, parlant des indiens mexicains, et le second à Gilles Keppel parlant des islamistes djihadistes, pour les appliquer au jeunes des banlieues françaises.
[17] Bernard Cassen : "Ces altermondialistes en perte de repères", Politis, 20 janvier 2005, contribution au dossier "Tariq Ramadan, Islamiste ou Citoyen".
[18] Par exemple membres d’associations du CRID, syndicalistes, journalistes - notamment du Monde Diplomatique, etc.