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Une éducation mondialisée ?

vendredi 6 mai 2005, par Christoph Wulf

En contrepoint au texte de Nico Hirtt, le point de vue de Christoph Wulf, anthropologue à l’Université libre de Berlin et auteur de plusieurs études pour des organismes internationaux, pour qui, face à une inévitable mondialisation, l’éducation et la formation se doivent de développer une véritable interculturalité.

Compte tenu de l’évolution politique, économique et culturelle en Europe, qui fait entrer la mondialisation dans tous les domaines de notre vie, il devient nécessaire de développer des perspectives communes et d’agir en fonction de celles-ci, tout en conservant les différences culturelles, qui constituent la diversité et la richesse de ce continent. Toujours plus nombreux/ses à se considérer comme responsables du destin du monde entier, tout en refusant d’abandonner leurs liens profonds avec les contextes dans lesquels ils et elles vivent, hommes et femmes doivent apprendre à vivre ensemble tout en restant eux et elles-mêmes. Cette évolution engendrera inévitablement une augmentation des tensions entre le local, le régional et le global qu’il nous faut apprendre à gérer.

La mondialisation rapproche les différents pays d’Europe et permet aux Européens de connaître de nouveaux espaces culturels et sociaux, qui ne correspondent plus aux territoires nationaux séparés par des frontières. Grâce aux nouveaux médias (le téléphone, la télévision et l’informatique) il est possible de franchir d’énormes distances pratiquement à la vitesse de la lumière. L’espace se rétrécit. Les images, les discours et le tourisme de masse nous rapprochent de ce qui est loin. L’ordre traditionnel de l’espace, du temps, du lointain, de la proximité, de l’inconnu et du familier est brisé. C’est ainsi que naissent de nouveaux mélanges : cette société mondiale et transnationale n’est pas caractérisée par l’uniformité et la clarté, mais au contraire par la diversité, la différence et la complexité. Le monde se compose de plusieurs centres culturels, économiques et politiques qui ont tous un certain impact dans le domaine de la technologie, des finances, des médias, des images et des débats internationaux.

L’impact de la mondialisation sur la culture et notamment sur l’éducation est d’une très grande importance pour notre problématique. Jusqu’à présent, la culture est surtout considérée comme quelque chose de national, et en tant que telle, on l’associe à un territoire précis et à une langue, des traditions, des souvenirs, des symboles et à des rituels communs. Au sein des institutions scolaires, comme l’école par exemple, on parle des autres cultures nationales d’Europe uniquement si elles ont un rapport avec la propre culture nationale. Les autres cultures ne servent qu’à dégager le caractère unique et particulier de sa propre culture. Il suffit de jeter un coup d’œil dans les manuels scolaires pour s’apercevoir de cette conception de l’éducation et de la formation, centrée sur l’Etat-nation. On n’y trouve presque plus de stéréotypes et d’idées préconçues sur les autres nations, mais le regard que l’on porte sur elles reste restreint et limité. C’est un fait qui ne se vérifie pas ou moins dans l’enseignement des langues étrangères car il est plutôt orienté vers la culture du pays où est parlée la langue qui est apprise. Mais cela est valable, par exemple, pour l’enseignement de l’histoire. Le caractère national de l’éducation et de la formation est relativisé par la mondialisation, on essaie en classe de parler d’autres régions du monde. Les écoles en Europe ne peuvent plus faire comme si l’histoire de la Chine et du Japon n’existait pas. Il en va de même pour le Mexique, le Brésil et l’évolution de l’Afrique, un continent qui reste toujours en marge. Mais il ne s’agit pas seulement de s’ouvrir à de nouveaux contenus, il faut aussi davantage s’intéresser à ce qui est étranger, à d’autres façons de penser et de faire.

Nous assisterons à la naissance de nouveaux mélanges culturels. La culture mondiale ou européenne sera aussi hétérogène et diverse qu’avant, à condition de développer de nouvelles représentations de l’autre, de nouveaux points de repère et de nouvelles loyautés, voire solidarités transnationales, à l’image de ce que les mouvements écologiste et pacifiste commencent à mettre en place (cf. les manifestations du monde entier contre les essais nucléaires dans le Pacifique que le gouvernement français refusait d’arrêter). Ce sont les nouvelles valeurs culturelles et les nouvelles perspectives globales qui rendent et rendront toujours davantage possibles de telles manifestations transfrontalières.

Christoph Wulf