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Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable
vendredi 27 février 2009, par
Riesel René, Semprun Jaime, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris, 2008
La trame du livre : la propagande catastrophiste, dans sa volonté de sauver le monde, participe en fait à l’instauration d’une "administration du désastre", qui construit une soumission durable et volontaire de la part de tout à chacun. Le catastrophisme est une préparation à la "soumission anticipée aux états d’exception, l’acceptation des disciplines à venir, l’adhésion à la puissance bureaucratique qui prétend, par la contrainte, assurer la survie collective" (p. 78). A force de vouloir contribuer à sauver le monde, le discours catastrophiste aide finalement le capitalisme à surmonter une nouvelle contradiction, et par conséquent, tout adepte du catastrophisme est, de fait, un allié du système bureaucratique destiné à préserver la survie du monde, certes, mais surtout, à perpétuer le régime capitalisme. Si les auteurs s’étaient contentés de décrire ce schéma, expliquant clairement le mécanisme qui conduirait à une telle subversion du catastrophisme et un tel embrigadement de la critique écologiste et technique au service du capitalisme, sans aucun doute, ce livre aurait une vertu salutaire. S’il avait tenté, sérieusement, de démonter le mécanisme de "réorganisation bureaucratique en cours, à laquelle on participe sereinement en militant déjà pour l’embrigadement consenti, la sursocialisation, la mise aux normes, la pacification des conflits" (p. 78), alors, donc, encore une fois, ce livre aurait une pleine utilité pour le militant. Mais voilà. Ce livre constitue une énième charge contre l’écologie critique militante.
Nos deux vaillants porte-flingues de l’avant-garde – éclairée comme il se doit ! – procèdent à une fastidieuse séance d’auto-congratulation (les seules citations présentées clairement renvoient à leurs seuls travaux, façon de montrer que l’histoire de la critique est intimement liée à leur histoire intellectuelle…). Passons sur le fait que nos deux illustres phares de la pensée anti-industrielle procèdent à un massacre en règle sur tout ce qui n’est pas issu de leurs propres réflexions critiques anti-capitalistes. Passons sur le fait qu’ils estiment ne pas avoir à justifier de ce "nous" qui leur permet de juger, trancher, dépecer, éviscérer la pensée d’autres auteurs… Pauvre lecteur, tu te dois de connaître la plus infime variation de leurs épanchements intellectuels, des méandres de leurs passés glorieux, pour pouvoir apprécier la légitimité et la pertinence de leurs jugements ! Et des jugements, ce livre en fourmille ! Au point que l’on a l’impression de feuilleter une compilation des meilleurs extraits de la littérature anti-écolo ! Un festival du maniement du sabre (très émoussé !) : le chapitre XVIII (on ne saisit d’ailleurs pas l’utilité du découpage entre le chapitre précédent et le suivant…) constitue un bel exemple. Rien n’échappe à leur férocité (sans humour, ce qui rend la lecture encore plus insupportable !) : le gauchisme, la décroissance, les décroissants, les militants (forcément ignares : même pas situationniste ou post-néo-situationniste), les Verts, etc.
Au final, ce qui aurait dû constituer une réflexion pertinente se dilue dans des récriminations, une juxtaposition de discours décousus, de déclamations (souvent un peu ridicules), un foisonnement d’images (qui révèlent heureusement quelques riches pistes). Cela ressemble parfois à une poésie de Léo Ferré : alternant dimensions prophétiques et jugements hâtifs, caricatures et excès, saillies verbales aussi… Mais voilà, n’est pas Léo Ferré qui veut et peut… Il en ressort un banal sentiment de rancœur, de violence à l’égard de compagnons de routes, de frères ennemis…
Ce livre soulève trois objections majeures. 1) La dénonciation se construit à partir de la seule critique du discours catastrophiste. Mais elle ne dit rien de la réalité effective de la catastrophe. L’école apocalyptique (p. 49) est caricaturée dans le seul but de nuire à un auteur. Or, comment évacuer le contenu même du discours catastrophiste à ce point ? Soit ce discours est construit sur une réalité effective et il convient, malgré tout, de prendre en considération l’essence de son message ; soit ce discours est creux car il ne recouvre aucune réalité historique. On en vient même à douter de l’existence même de la catastrophe : à ce point instrumentalisée par l’infâme capitaliste, ne serait-ce qu’une simple illusion, créée de toute pièce par quelques projets machiavéliques et animée par les idiots utiles de la décroissance ? Dans ce cas, les catastrophistes ne sont effectivement que des pitres au service du capitalisme. Rions donc avec nos deux Charlots des comiques troupiers-écolos de la décroissance. 2) La dénonciation aboutit à une critique stérile de la volonté émancipatrice du discours catastrophiste. Selon nos Abbott & Costello de la nuisance, la position catastrophiste produit un renforcement effectif du contrôle technocratique des organismes du contrôle social –derrière lesquels opère bien sûr la main invisible du capitalisme. Or, le discours catastrophiste – notamment chez Günther Anders – produit un réflexe émancipateur de l’individu, dans la mesure où il l’amène à mesurer sa propre intégration au sein du système productif (le travail, mais aussi dans ses relations sociales intimes). Aucune réflexion sérieuse sur l’intérêt réflexif d’une telle posture. Les propositions alternatives sont réduites à néant – avec leurs animateurs (p. 29, 33, 46…). 3) Enfin, s’il faut admettre avec les auteurs qu’une administration du désastre ne sert à rien non plus (au pire, on pourrait espérer que le capitalisme vert produirait un monde encore un peu viable...), alors que reste-il à faire ? Nous sommes aujourd’hui soumis à un ordre consumériste et techniciste libéral ; demain, nous serons soumis à un ordre vert consumériste et techniciste : aucune possibilité d’y échapper... Que faire ? La réponse se trouve sans doute dans la prochaine production de nos Bogdanoff de la critique éclairée... Mais il n’y a aucune démonstration valide réfutant les théories d’un Günther Anders sur la réalité de l’apocalypse nucléaire. Vaniteux vains ! Rien de rien…
Bruno Villalba