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Des héros ordinaires

vendredi 27 février 2009, par Simon Persico

Eva Joly et Maria Malagardis, Des héros ordinaires, éditions Les Arènes, 2009, 201 p., 19 €

Certaines réalités méritent d’être hurlées au visage. En voici trois exemples :
1. “Inamovible président depuis plus de quarante ans d’un pays [le Gabon] où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, Omar Bongo serait [...] le détenteur de soixante-dix comptes en banque et de trente-neuf propriétés en France” (p. 165).
2. Depuis 2000, “140 millions de tonnes de déchets [industriels nocifs], soit deux fois la taille de l’Everest par année” (p.50), ont été déposées clandestinement dans des décharges illégales de la région napolitaine. Ces déchets étaient issus de la production industrielle du Nord, puis cachés, avant d’être transportés et enfouis par les camorristes, les mafieux locaux, devenus entrepreneurs capitalistes à succès.
3. L’existence des paradis fiscaux “priverait chaque année les États de 255 milliards de dollars de rentrées fiscales.[...] L’ambitieux programme de l’ONU pour mettre fin à la pauvreté dans le monde nécessite de débloquer ’seulement’ 195 milliards de dollars” (p.38).

Ce sont ces réalités que l’ouvrage d’ Eva Joly et Maria Malagardis met en lumière. Ou plutôt, il nous mène à la rencontre de ceux qui refusent ces réalités. Car ce livre passionnant présente le combat de dix “héros ordinaires” contre la dérégulation financière en Europe. Un combat de longue haleine, rarement couronné de réussite, et mettant à rude épreuve les vies personnelles.
Le lecteur découvre ainsi Maria Nicolaeva, journaliste bulgare, menacée de mort après avoir dévoilé un scandale de développement immobilier dans un parc naturel, mais toujours opposante farouche à la criminalisation des élites politiques et économiques de son pays. Il découvre aussi Daniel Lebègue, ancien haut fonctionnaire, désormais directeur de Transparency International, ONG de lutte contre la corruption et les paradis fiscaux, qui intente actuellement un procès contre trois chefs d’État africains pour détournement de fonds publics.
Toutes ces rencontres font des Héros ordinaires un livre concret et extrêmement convaincant. Sans compter Eva Joly, qui aurait sa place dans ce livre si elle n’en avait été l’auteure, ce sont dix militants qui nous montrent l’exemple d’un “engagement absolu, quand l’inacceptable devient insupportable” (p.18).

Le principal reproche que l’on peut adresser à ce livre est de ne pas assez faire le lien entre les différents portraits. Ces Européens sont presque tous engagés dans la lutte contre la corruption financière et on s’aperçoit au fil des pages que certains fréquentent des structures similaires, dans la société civile ou dans les organisations supranationales (comité de lutte anticorruption de l’OCDE, groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe...) . Dès lors, il aurait été intéressant que les auteures expliquent plus précisément le fonctionnement de ces différentes structures et le rôle que les citoyens croisés au fil des pages y jouent. Car on comprend bien que la clé vient d’une action coordonnée des États. C’est la raison pour laquelle Eva Joly appelle à la constitution d’une “justice supranationale, au niveau européen” qui doit “bannir les paradis fiscaux en imposant leur boycott absolu par les banques et les entreprises” (p. 190).

Le point fort de ce livre est de montrer clairement en quoi la lutte contre ces “trous noirs de la finance mondiale” est indispensable pour résoudre les crises environnementales, sociales et économiques. Les phénomènes de corruption et de dérégulation ont évidemment des conséquences catastrophiques sur l’environnement – comme dans le cas des déchets italiens – ou la cohésion sociale. Les Européens présentés par Eva Joly ont tous compris l’intrication de ces problèmes, au contraire des majorités actuelles dans leurs pays respectifs ou au sein de l’Europe. Cela les pousse à agir. Et cela accentue l’admiration ressentie pour ces “héros”, que l’on a bien du mal à trouver “ordinaires”.

Simon Persico