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Pour sauver la planète, sortez du capitalisme

vendredi 27 février 2009, par Stéphane Sitbon-Gomez

Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Le Seuil, 2008, 152 p., 14 €

C’était il y a trente-six ans, dans les colonnes du Nouvel Observateur. Un journaliste spécialiste des questions économiques surprend alors ses lecteurs en remettant en cause les dogmes de son époque et en initiant les premières enquêtes environnementales. Pendant plusieurs années, avant même de théoriser l’écologie politique, Michel Bosquet (pseudonyme d’André Gorz), se donnera comme tache de vulgariser les premiers pas de la réflexion écologiste, s’appuyant notamment sur les travaux de son ami Ivan Illich. Certes Le Monde de 2009 ne ressemble pas à L’Observateur des années 70, la radicalité de la question écologique ne se pose pas de la même manière et ses réflexions nouvelles n’auront pas le même impact théorique.
Pourtant, pour la deuxième fois consécutive, Hervé Kempf surprend la galaxie écologiste et au-delà. Dans son essai de 2007, Comment les riches détruisent la planète, il reprenait le fil de son premier ouvrage sur L’Économie à l’épreuve de l’écologie (1991) et vulgarisait les travaux de l’économiste Thorstein Veblen, qui au 19e siècle analysait la place prise par le besoin de comparaison sociale dans le développement d’une consommation ostentatoire comme cause de l’emballement de la machine productiviste et de la dégradation de nos écosystèmes. Il montrait ainsi que la crise écologique n’est pas le fait d’une humanité désincarnée qui partagerait une équivalente responsabilité. En interrogeant nos modes de vie, il décrivait particulièrement les pratiques de certains groupes ou classes (les “riches”, ou “super-riches”) qui orientent et influencent plus que tous les autres un système de consommation dont les effets sont dévastateurs.

Le propos de son second ouvrage est plus vaste. Sorti en pleine crise financière (fin 2008), il nous rappelle que le capitalisme n’est pas un simple produit de ses règles que nous pourrions modifier ou ajuster. La critique qu’il mène est anthropologique ; mais au lieu de la dérouler de manière purement théorique, il s’appuie sur des exemples tirés de ce qui fait aujourd’hui notre quotidien ou de ce que les médias produisent comme pensée majoritaire. Il vise clairement à sortir les écologistes de tous poils d’une vision réduite aux “petits gestes”, sous-produit verdâtre qui propose de changer la peinture sans modifier la structure de nos habitudes. Il s’attaque aussi à la définition des concepts, citant Polanyi et Braudel. Notre mode de vie est d’abord le produit du triomphe d’une idéologie et de la réduction de l’individu à un consommateur privé de tout lien social et concentré sur un unique objectif d’accumulation sans fin. La théorie de la décroissance n’est pas loin, mais surtout l’idée d’un “revenu maximal admissible”, qui plafonnerait (par l’impôt) à environ 30 fois le revenu médian les revenus de plus riches. Une revendication qui gagne du terrain ces derniers mois (cf. notre kit militant : “Sauvons les riches“).

Bien sûr, comme tout ouvrage grand public, certains raccourcis pourront choquer les exégèses et les spécialistes. On peut regretter que certaines critiques ne soient pas plus profondes ou que l’analyse ne prenne pas le temps d’être plus nuancée sur des questions comme la prostitution, ou le besoin d’accumulation d’objets par les classes moyennes. Le partisan des énergies renouvelables trouvera sans doute sa remise en cause des éoliennes trop brutale et injuste. Alors qu’on avait connu Hervé Kempf en spécialiste de l’investigation environnementale dans les colonnes de son quotidien, dans ses chroniques ou dans ses ouvrages d’enquête comme La Guerre secrète des OGM, son propos est ici celui d’une vulgarisation toutefois efficace et nécessaire.

À l’heure où la planète entière semble s’extasier devant la peinture verte – qu’elle se nomme “relance écologique” ou “croissance verte” - en oubliant que l’écologie est d’abord une remise en cause radicale des fondements de l’accumulation et du culte du progrès, cet essai permet à tous ceux qui ne sont pas spécialistes des théories écolos de saisir la réalité des enjeux. Le capitalisme productiviste et dépensier n’est pas compatible avec une société écologique. L’écologie n’est pas une théorie des petits gestes au quotidien, mais une vision globale et une remise en cause radicale de nos modes de vie et du système capitaliste que certains voudraient seulement aménager. Une façon de rappeler, à l’heure où la crise financière déploie ses effets, que les causes des crises plus globales que nous connaissons (environnementale, sociale, des ressources, sanitaire…) ne se trouvent pas dans les conduites individuelles de chacune et chacun, mais dans notre capacité à bouleverser ce que Gorz appelait déjà "la mégamachine". Le livre d’Hervé Kempf vient le rappeler, à un moment crucial ; celui des choix pour en sortir.

Stéphane Sitbon-Gomez