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Un nouvel art de militer. Happenings, luttes festives et actions directes

Sébastien Porte et Cyril Cavalié, éditions Alternatives, Paris, 2009, 144 p., 25 euros

2010, par Mikaël Chambru

Un nouvel art de militer fait partie de ces ouvrages journalistiques qui viennent régulièrement annoncer l’avènement de "nouveaux militants". Une nouvelle génération qui a décidé de bousculer les routines contestataires, ce qu’ils appellent le "militantisme à la papa" (grèves et distribution de tracts le matin, pétitions et manifestations l’après-midi), pour inventer des formes d’action collective considérés comme inédites et plus efficaces par les journalistes. Pour cela, ils misent sur la non-violence, l’humour et le spectaculaire. Que ce soit Jeudi noir qui squatte des immeubles vides pour dénoncer le manque de logements, La pelle et la pioche qui organise des pique-niques dans les supermarchés pour dénoncer les profits de la grande distribution, les Déboulonneurs qui barbouillent les panneaux pour dénoncer l’invasion publicitaire, ces collectifs sont devenus des professionnels de l’activisme médiatique... à tel point que certains de ces activistes en ont fait leur activité professionnelle, créant leur propre société pour sous-traiter des actions médiatiques contre rémunération. La CGT et ATTAC ont déjà eu recours à leurs services.

C’est à ces collectifs que s’intéressent ici les journalistes Sébastien Porte et Cyril Cavalié. Ils signent là un véritable travail d’investigation qui va bien au-delà du simple reportage. A travers leur regard et leur expérience personnelle, ils proposent une vision globale sur l’émergence de ces mouvements contestataires en France depuis une dizaine d’années. L’ouvrage débute par un rappel de la conjoncture politique et sociale, ainsi que par une présentation des traits caractéristiques communs d’organisation et d’action de ces collectifs (pp.7-12). Six pages très instructives, même si les deux auteurs prennent par endroit trop peu de distance par rapport aux discours véhiculés par les acteurs sociaux, discours qui eux-mêmes s’emparent des travaux universitaires à des fins de compréhension et de légitimation (1). Ce manque d’attention conduit alors les auteurs à une certaine fascination vis-à-vis de ces mouvements et à la célébration d’une prétendue nouveauté. Citons par exemple, "l’organisation en réseau, sans hiérarchie ni chef", qui dans la pratique n’est pas forcément gage de davantage de démocratie que la bureaucratie et la hiérarchie explicite (2) ; "la culture du réseau renforcée par l’usage généralisé d’Internet", affirmation qui est empreinte d’une forme de déterminisme technique corrélative d’une idéologie émancipatrice (3) ; "les nouvelles pratiques militantes", pas si nouvelles que cela puisque les mouvements sociaux opèrent par emprunt, invention et réinvention des standards pour façonner leur répertoire d’action collective (4)...

Au-delà de ces critiques, cette ouvrage reste une véritable mine d’informations sur les mouvements contestataires : histoire et analyse des différents collectifs regroupés par chapitre thématique, mais aussi fiches techniques pour devenir un parfait "nouveau militant" (communication non-violente, techniques de blocage et de résistance, méthode pour définir un plan d’action, attitude à avoir en cas d’arrestation...). Au fil des pages, on découvre le récit, en mots et en photos, des actions les plus mouvementés de ces dernières années, des dégonfleurs de 4x4 aux faucheurs d’OGM, en passant par les barbouilleurs d’enseignes et les sauveteurs de riches. L’ouvrage est quasiment exhaustif sur le sujet. Rien de surprenant quand l’on sait que Sébastien Porte et Cyril Cavalié suivent ces actions sur le terrain depuis plusieurs années. Les deux auteurs se sont aussi aventurés à cartographier la "nouvelle galaxie militante", un document qui a le mérite de donner l’aperçu à un temps T de la multitude des collectifs à l’œuvre aujourd’hui, et ce malgré quelques oublis, erreurs et autres limites inhérentes à ce type d’outil. On y notera par exemple la présence des clowns activistes, qui ne se reconnaissent pas forcément dans cette famille très vague que sont les "nouveaux militants", et qui apprécient encore moins d’être rangés dans cette case.

Par ailleurs, et bien qu’ils célèbrent un peu précipitamment la nouveauté de ces mouvements contestataires, les deux auteurs n’en jettent pas moins un regard lucide sur l’efficacité à moyen terme de l’activisme médiatique de ces collectifs. Ainsi, à la fin du livre, ils restent prudents sur la durabilité de ces formes de mobilisation et vont jusqu’à avertir les acteurs sociaux des dangers inhérents à ce type de mobilisation. "Symptôme d’une époque où la contestation en marge n’est plus audible, les activistes sont obligés pour se faire entendre de jouer avec la société du spectacle en rivalisant de créativité. Mais en retour, la société du spectacle pourrait bien neutraliser en son sein ceux qu’elle comprend avant tout comme des adversaires." Perspicaces, les deux auteurs semblent avoir perçu la complexité des interdépendances entre les journalistes et les "nouveaux militants", interactions qui ne se résument pas à la question du "qui instrumentalise qui". Car, même si ces derniers sont parfois capables de bousculer l’agenda médiatique, ils ne restent pas moins, le plus souvent, tout aussi prisonniers de leur couverture médiatique (5). Il est en effet plus difficile qu’il n’y paraît, et que pourrait le laisser croire cet ouvrage, d’utiliser les médias sans leur être assujettis.

Un nouvel art de militer n’en reste pas moins un livre très bien écrit par Sébastien Porte et illustré à merveille par les clichés de Cyril Cavalié. En plus d’être un véritable abécédaire sur les mouvements contestataires, le travail des deux auteurs invite au fil des pages le lecteur à une réflexion de fond sur notre modèle de société et sur les types de mobilisation à mettre en œuvre pour la transformer. Ce livre fait ainsi écho à un dossier que notre revue avait consacré au renouvellement des formes de contestation en 2004 (6).

Mikaël Chambru

(1) NEVEU Erik, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, Paris, 2005, 126 p., "Repères".
(2) MATHIEU Lilian, "Un ’nouveau militantisme’ ? A propos de quelques idées reçues", in ContreTemps, 4, novembre 2008, <http://www.contretemps.eu/socio-fla...> .
(3) NEVEU Erik, "Médias, mouvements sociaux, espaces publics", in Réseaux, n° 98, Hermès Science Publications, Paris, 1999, pp. 17-86.
(4) TILLY Charles, "Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne", in Vingtième Siècle, n° 4, Les Presses Sciences-Po, Paris, 1984, pp. 89-104.
(5) CHAMBRU Mikaël, Médias et mobilisations sociales : l’irruption des "désobéissants" dans l’espace médiatique dominant, mémoire de recherche, sciences de l’information et de la communication, Grenoble : Institut de la communication et des médias (ICM), 2009, 112 p.
(6) JOSSIN Ariane et PIGNOT Sonia (sous la direction de), "Du Grand Soir aux petits matins. Approches du militantisme", in EcoRev’, n° 18, autonome 2004, <http://ecorev.org/spip.php?rubrique122> .