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L’après consumérisme
vendredi 20 novembre 2009, par ,
« Dans un premier temps, l’informatisation a eu pour but de réduire les coûts de
production. Pour éviter que cette réduction des coûts entraîne une baisse correspondante du
prix des marchandises, il fallait, dans toute la mesure du possible, soustraire celles-ci aux lois
du marché. Cette soustraction consiste à conférer aux marchandises des qualités incomparables
grâce auxquelles elles paraissent sans équivalent et cessent par conséquent
d’apparaître comme de simples marchandises.
La valeur commerciale (le prix) des produits devait donc dépendre davantage de leurs
qualités immatérielles non mesurables que de leur utilité (valeur d’usage) substantielle.
Ces qualités immatérielles - le style, la nouveauté le prestige de la marque, le rareté ou
"exclusivité" - devaient conférer aux produits un statut comparable à celui des oeuvres d’art
: celles-ci ont une valeur intrinsèque, il n’existe aucun étalon permettant d’établir entre elles
un rapport d’équivalence ou "juste prix". Ce ne sont donc pas de vraies marchandises.
[...]
La lutte engagée entre les "logiciels propriétaires" et les "logiciels libres" (libre, "free", est
aussi l’équivalent anglais de "gratuit") a été Le coup d’envoi du conflit central de l’époque.
Il s’étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation de richesses premières - la
terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs,
constitutifs de la culture du quotidien et qui sont les préalables de l’existence d’une société.
De la tournure que prendra cette lutte dépend la forme civilisée ou barbare que prendra la
sortie du capitalisme. »
André GORZ, "Le travail dans la sortie du capitalisme"
alias "La sortie du capitalisme a déjà commencé", EcoRev’, 28 (novembre 2007)
La consommation peut-elle progressivement
répondre aux enjeux de l’écologie dans le
cadre d’un capitalisme vert ?
Difficile d’acquiescer à ce propos lorsqu’on
analyse le consumérisme tel qu’il s’est
construit au sein de l’économie de marché.
Difficile d’imaginer que l’économie capitaliste
puisse renoncer ne serait-ce que
partiellement au profit généré par le
consumérisme et donc résoudre la contradiction
entre une consommation intégrant
des normes écologiques qui transforme
fortement le mode de production et ce
besoin de profit.
Le productivisme, le fétichisme de la
marchandise et la rareté sont en effet au
cœur des besoins fondamentaux de l’économie
capitaliste alors que l’usage,
l’abondance de la société de l’intelligence
font partie intégrante d’une économie dont
le moteur serait l’usage et non la consommation.
Consumérisme et productivisme
Le mode de consommation de ce début du
XXIème siècle est construit pour répondre
aux intérêts de l’économie de marché
capitaliste : satisfaire aux besoins de
l’appareil productif productiviste en perpétuelle
mutation. Dans le même temps
celui-ci est à l’origine d’une crise écologique
sans précédent.
Ses mutations successives ont pour objectif
essentiel de rechercher l’optimum de rentabilité.
C’est dans ce but que chaque process
de production est segmenté et dispatché
sur l’ensemble de la planète.
Ce mécanisme est facilité par la révolution
informationnelle qui avec l’automatisation
et la robotisation amplifie considérablement
l’effet du fordisme. En outre cette révolution
informationnelle permet de produire des
quantités toujours plus considérables de
marchandises à consommer avec des quantités de travail toujours moindres. Il en
résulte que le coût du travail par unité de
produit ne cesse de diminuer et le prix de
revient des produits de baisser. Le taux de
profit ne cessant de régresser, le capital
exige compensation.
De plus la compétitivité forcenée qui sévit
au sein du capitalisme oblige ce dernier à
mettre en œuvre des subterfuges afin de
maintenir son taux de profit, voire de
l’accroître. Ces subterfuges concernent tant
la gestion des marchés financiers
(subprimes) que les règles imposées aux
consommateurs (via par exemple une multiplication
des contrats liant le
consommateur au producteur).
Par ailleurs, l’appareil productif capitaliste
industriel et son corollaire le productivisme
– outre son adéquation permanente
à la recherche du profit immédiat et à
l’accumulation de capital - conduit les
travailleurs à ne rien produire de ce qu’ils
consomment et à devoir forcément passer
par le marché pour satisfaire leurs besoins.
Ceci permet de justifier l’ouverture des
magasins le dimanche, les travailleurs étant
sensés ne pas avoir d’autre loisir que la
consommation dans les galeries marchandes.
Consumérisme et mode de vie - les aventures du fétichisme de la marchandise
Afin de maintenir un taux de profit
maximum, le capitalisme, par des méthodes
de plus en plus sophistiquées, a été amené
à marchandiser l’ensemble de l’espace de
vie des citoyens. Publicité et marketing ont
permis de créer de nombreux besoins artificiels
et de toujours mieux capter les désirs
afin de les adapter aux exigences du
productivisme.
Dans ce processus, les multinationales en
viennent à instrumentaliser la création artistique
allant même jusqu’à faire animer ses
galeries marchandes par des artistes de
rue - au point d’engloutir les deniers
espaces de pure créativité. [1]
Il s’agit pour l’économie de marché de
conférer aux marchandises (biens ou
services) une valeur symbolique, sociale
voire érotique, de diffuser une "culture de
la consommation" qui mise sur 1’individualisation,
la singularisation, la rivalité, la
jalousie, bref sur ce qu’André Gorz a appelé
la "socialisation antisociale" [2] - soulignant
que le but est avant tout de vendre
des marchandises transfigurées en oeuvres
d’arts par la propagation de normes esthétiques
symboliques et sociales qui doivent
être volatiles, éphémères. Ainsi le capitalisme
consumériste détourne la création et
le désir en pulsions d’achat canalisées.
À cela s’ajoute une baisse considérable de
la durée de vie de très nombreux biens de
consommation courants, que ce soit par la
création d’une obsolescence artificielle
interdisant toute réparation ou par
l’absence ou la grande pénurie de pièces
de rechange, soit par la création d’un effet
de mode ou l’introduction de gadgets qui
incitent fortement au renouvellement rapide
des biens.
Le matraquage psychologique des grandes
marques - pour lequel les enfants sont une
cible privilégiée - a donc très souvent pour
objectif la création de besoins de produits
futiles et inutiles, voire nuisibles.
Simultanément les grandes enseignes se
dotent de services financiers qui incitent au
surendettement.
Consumérisme et rareté
L’économie de la connaissance (cf. textes de
A. Munster et F. Gollain dans ce numéro)
accroît en permanence le pourcentage
immatériel du process de production
(logiciels, design, marketing, publicité, etc.)
dont dépend de plus en plus la rentabilité
des marchandises. Or, tout ce qui est
traduisible en langage numérique
immatériel, reproductible et communicable
sans frais devrait tendre irrésistiblement à
devenir un bien commun gratuit et non rare, un bien commun universel accessible
à tous et utilisable par tous, ce qui est
incompatible avec le principe de rareté
indispensable au capitalisme.
Pour lutter contre cette opportunité, le
capitalisme post-fordiste, celui de "l’économie
de la connaissance", s’évertue
inlassablement à privatiser ce bien commun
à l’aide de brevets (dont certains ne sont là
que pour perturber ou même empêcher la
mise sur le marché des innovations
gênantes !) et de droits d’auteurs.
Mais simultanément l’aire de la "gratuité"
s’étend irrésistiblement : l’informatique et
l’Internet minent le règne de la marchandise
à sa base. [3]
En résumé, il n’est pas inique de parler de
consommation aliénée dans la mesure où
l’économie capitaliste engendre la baisse
tendancielle de la valeur d’usage et incite
à se demander si un certain mode de
consommation ne nous écarterait pas en
réalité de la satisfaction, du rapport à nous-mêmes
et à l’autre - quand la publicité ne
cesse de manipuler les notions de bonheur
et de liberté.
"Dans la "société de l’intelligence" le capitalisme
se perpétue donc en employant une
ressource abondante - l’intelligence humaine
– et produit de la rareté y compris la rareté
de l’intelligence. Cette production de rareté
dans une situation d’abondance consiste à
dresser des obstacles à la mise en commun
des savoirs et des connaissances. Les
changements fondamentaux nécessaires
pour "une autre consommation" exige la
levée de ces obstacles." [4]
Usage : contre-consumérisme
Passer d’un processus de détournement de
l’intelligence par le consumérisme à un
processus de création de richesses (au sens
de la notion d’usage, voir ci-après) basé sur
une intelligence collective - dont la culture
serait un axe majeur - nécessite de remettre
en question à la fois la publicité, le principe
des brevets et l’orientation de la
recherche - toujours plus tournée vers les
profits.
Des pratiques en cours ainsi qu’une littérature
importante et précise indiquent qu’il
est possible d’engager une transition vers
un autre modèle d’organisation socioéconomique
permettant de dépasser ce
consumérisme délétère afin de lui
substituer la notion d’usage de biens et de
services ; sans pour autant définir avec
précision les valeurs, la nature des besoins,
des désirs et des intérêts ; sans distinguer
faux et vrais besoins, besoins authentiques
et besoins factices ; sans s’affranchir du
processus démocratique.
Est-il possible d’engager cette transition, de
moraliser le consumérisme tout en restant
dans l’économie de marché comme certains
le laissent entendre ?
Il ne paraît pas raisonnable de proposer
une éthique de la consommation, une
moralisation du capitalisme qui ne serait
pas en contradiction avec une valorisation
de l’usage (cf. les pseudos concepts de
Capitalisme vert et autre Développement
durable).
De la même manière, il ne semble pas
possible d’imaginer des mesures qui ne
feraient pas l’articulation entre production
et consommation, locales et mondiales.
Dans ce contexte, la notion de biens
communs introduite par Hervé Le Crosnier
lorsqu’il analyse le mouvement des logiciels
libres est fondamentale [5] ; surtout
lorsqu’il ajoute que "les problèmes posés
par la propriété sur la connaissance, la
capacité à mobiliser "l’intelligence
collective" […] sont des questions organisatrices
essentielles de l’économie du monde
à venir" - une économie propre à passer de
la consommation à l’usage.
Cette mobilisation de l’intelligence
collective laisse entrevoir l’utopie concrète
dont il est fait état ici. Plus généralement
cela amène à penser que :
"[…] la construction, la maintenance et la
gouvernance des biens communs créés par
les communautés concernées, sont des
éléments clés de ces nouveaux mouvements
sociaux".
Dans cette logique l’eau, l’air, la terre et le
vivant sont des biens communs ne pouvant
être soumis aux intérêts privés dans la
mesure où ils satisfont les besoins sociaux
et constituent des ressources essentielles - garantes de l’équilibre environnemental. Il s’agit :
– de redonner au territoire agricole sa
vocation de production non polluée et
d’espace rural aménagé dans le respect de
la nature, et de faire gérer par des services
publics, les transports, l’eau, l’énergie,
l’éducation et la santé,
– de concilier le désir et le plaisir de
bénéficier de biens et de services essentiels
tout en participant au bien-être général, à
la protection de l’environnement et au
respect des générations à venir plutôt que
de chercher à mettre en place une manière
de consommer responsable et assagie,
– de favoriser le concept d’usage de
biens et de services écologiquement soutenables
contre celui du consumérisme,
– de s’appuyer entre autre sur la philosophie
qui préside à l’élaboration des
logiciels libres, de contribuer à cette
mutation dans une logiciarisation [6] de
toutes les activités humaines dans laquelle
les techniques d’information et de communication,
le numérique et l’Internet sont
des contributeurs indispensables (c’est
pourquoi tout doit être mis en oeuvre pour
que l’accès et l’usage de l’Internet soient
gratuits).
Il s’agit de remettre en phase production et
usage.
Internet et le numérique, la mise en réseau
des compétences, le partage des savoirs
donnent sens à l’intelligence collective et
accroissent le nombre de contributeurs
créateurs de richesses. Ces contributeurs
ont déjà fait la preuve de leur capacités tant
dans les domaines du logiciel libre que de
la création de molécule (remède contre le
paludisme) ou dans les domaines de l’alimentation
biologique, des médecines
douces, qui oeuvrent en faveur de l’environnement
et du renforcement du lien
social : "Des foules connectées en temps
réel peuvent résoudre des problèmes
complexes mieux que le meilleur des
experts." [7]
Généralisées, ces initiatives pourraient
participer à l’avènement d’une société de
l’usage.
Abondance plutôt que rareté
Dans ce contexte en émergence, le dogme
de la concurrence et de la compétitivité
entre spécialistes ou entre entreprises est
un non sens en terme de créativité, mais
une justification pour la recherche du profit
maximum.
Il est incontestable que l’Internet ouvre de
formidables potentialités créatrices que
souhaite s’approprier le capitalisme en
pratiquant la politique des brevets afin de
rendre rare ce qui est abondant :
– soit en s’appropriant des savoirs et
des connaissances qu’il n’utilisera pas afin
d’offrir sur le marché les produits les plus
rentables pour lui ou principalement en ne
finançant que les recherches susceptibles
de déboucher sur un brevet rentable - ce
qui pose inévitablement le problème de la
maitrise démocratique de l’orientation de la
recherche,
– soit en spoliant des populations en
vue de la certification à son profit de leur
richesse - comme par exemple pour les
semences de l’oignon violet de Galmi au
Niger,
– soit plus gravement en souhaitant
s’approprier des systèmes biologiques
(OGM, génome humain),
– soit en bridant le marché pour le
conserver le plus longtemps possible à son
seul profit comme le fait Microsoft.
Outre l’action militante qui dénonce en permanence ces pratiques, l’organisation à
but non lucratif Creative Commons se
consacre à diffuser dans la légalité et le
partage les travaux créatifs. Les échanges
entre pairs (peer to peer), dans les
domaines culturels, artistiques, sont dans la
nature profonde de l’Internet et ouvrent de
formidables perspectives dont le téléchargement
sans contrepartie financière directe, la
diffusion des oeuvres sans intermédiaires
devenus inutiles et inefficaces, la création
de type collaboratif sans restriction.
L’ère de l’abondance pointe son nez car
l’Internet est prometteur :
– il incite à l’expression créatrice de
chacun, expression souvent étouffée par
les règles du marché et la configuration
organisationnelle des entreprises qui ne
pousse qu’à la consommation,
– il offre la possibilité de se faire
connaître aux créateurs sans forcément
avoir à passer par les fourches caudines du
marché.
Le nouvel environnement issu des TIC
oblige donc à repenser la propriété intellectuelle
car tous les arts sont touchés : la
musique, le cinéma, la littérature, etc. De
nouvelles pratiques émergeront inexorablement
et mettront à mal ceux qui veulent
encore s’octroyer le monopole financier ou
artistique de l’art.
Dans la mesure où la création de toute
nature peut s’exprimer sans intermédiaires
financiers ou marchands se pose bien
évidemment la question de la rémunération
des créateurs dont le travail doit trouver
compensation - l’usager ayant un accès
gratuit aux œuvres.
De même que, face à la décision de donner
un accès gratuit à l’éducation, la santé et
l’information à tous les citoyens, une
solution avait été trouvée par le Conseil
National de la Résistance pour rémunérer
les médecins des hôpitaux publics, les
professeurs de l’Éducation nationale ou les
personnels de la radio et de la télévision
publique, une solution doit être trouvée
pour permettre aux créateurs, de musiques
ou de films par exemple, d’être rémunérés.
Le revenu social garanti tel que préconisé
par André Gorz pourrait être une
solution. [8]
Passer du consumérisme à l’usage, changer
de paradigme est possible. Il s’agit de
promouvoir les opportunités d’abondance
offertes par l’économie de l’intelligence
– conçue dans le cadre de ce
nouveau paradigme - au détriment de la
rareté, base fondamentale de l’économie
capitaliste.
Rupture : produire ce que l’on consomme [9]
Il faut une "rupture avec une civilisation où
on ne produit rien de ce qu’on consomme et
ne consomme rien de ce qu’on produit." [10] Il ne s’agit pas pour autant de substituer
l’austérité à la créativité, la beauté, l’imagination,
le plaisir, l’inventivité ou de
codifier ces notions de manière dogmatique.
L’autoproduction et l’autoconsommation
sont à tort souvent considérées comme
ridiculement archaïques. Or si un autre
monde est possible, c’est en partant du
niveau local avec des circuits alternatifs,
dans le cadre d’une économie plurielle
basée sur la mobilisation de l’intelligence
collective. Ce n’est que grâce à un système
de production de proximité, adapté au travail
immatériel et au développement humain, ce
n’est qu’en changeant la production et le
travail lui-même qu’on peut changer la vie et
l’essentiel de nos consommations.
Il ne s’agit pas de tout relocaliser, mais
seulement de revenir à une échelle humaine
en donnant un cadre à une relocalisation de
la production (jardins bios, artisanat, réparations,
formation, création, services, etc.).
Par exemple en :
– encourageant et favorisant les
pratiques communautaires pour la production alimentaire, énergétique,
l’habitat ou le transport, mais sans chercher
à l’imposer.
– développant une culture du "Do it
yourself" qui pourrait s’étendre à des
populations entières, être coordonnée à
l’échelle planétaire par l’interconnexion
d’ateliers communaux d’autoproduction
high-tech, auto-organisée en réseaux de
coopération, d’assistance mutuelle, de
diffusion permanente d’innovations et
d’idées.
– généralisant l’usage d’outils tels que
l’imprimante 3D [11] qui permettrait la
fabrication de proximité de pièces défectueuses,
faciliterait les réparations,
prolongerait l’espérance de vie de
nombreux biens et réduirait l’empreinte
écologique.
Par ailleurs ce type de matériel pourrait
être à l’origine d’un grand nombre de
nouvelles pratiques et être un support
pertinent de la construction d’intelligences
collectives. Vu sous cet angle il devient
possible de bénéficier globalement des
innovations locales déjà en œuvre dans
différentes parties du monde et d’aller à
terme jusqu’à fabriquer nos propres réfrigérateurs,
téléviseurs, téléphones mobiles,
ordinateurs, etc.
On ne dira jamais assez que la principale
force productive mise en œuvre dans l’autoproduction
high-tech est universellement
disponible, gratuitement accessible et
inusable : c’est l’inventivité humaine mise
continuellement à la disposition de tous
sous la forme de logiciels libres.
La sortie du consumérisme est possible
On l’aura compris, sortir du consumérisme
ne nécessite en aucun cas une croissance
économique mesurée par le produit
intérieur brut (PIB), indicateur issu de la
révolution industrielle - sensé désigner une
pseudo amélioration du niveau de vie
associée à une notion de progrès. Nous
avons vu précédemment combien ces
hypothèses de travail étaient dénuées de
fondement. [12]
La sortie du consumérisme n’est pas non
plus la récession économique perçue
comme une diminution plus ou moins
prolongée de l’activité économique toujours
mesurée par le PIB.
Penser s’appuyer sur ces concepts de croissance
et de récession pour sortir du
consumérisme serait croire pouvoir
moraliser le capitalisme, ce qui est une
absurdité.
La sortie du consumérisme pourrait
s’appuyer sur la décroissance, si elle n’est
pas perçue ni définie comme l’inverse de la
croissance (car dans ce cas elle ne serait
qu’une autre référence au PIB - marqueur
du consumérisme).
Il serait manifestement nécessaire pour plus
de compréhension de trouver un terme
nouveau qui tiendrait compte de la finitude
des ressources naturelles et de la nécessité
de les préserver, de réduire notre empreinte
écologique, nos dépenses énergétiques
tout en favorisant l’épanouissement
humain ; un terme qui serait en opposition
avec le développement durable qui
"[…] ignore ce qui n’est ni calculable ni
mesurable, c’est-à-dire la vie, la souffrance,
la joie, l’amour, et [ dont] sa seule mesure de
satisfaction est dans la croissance (de la
production, de la productivité, du revenu
monétaire…). Conçu uniquement en termes
quantitatifs, il ignore les qualités de l’existence,
les qualités de solidarité, les qualités
du milieu, la qualité de la vie, les richesses
humaines […]. Sa démarche balaie les trésors
culturels et les connaissances des civilisations
archaïques et traditionnelles ; le
concept aveugle et grossier de sous-développement
désintègre les arts de vie et
sagesses de cultures millénaires." [13]
Dans la société de l’intelligence, le
numérique et l’Internet - qui permet la mise
en commun des savoirs et des connaissances,
la participation à la socialisation
d’un grand nombre d’innovations – sont incontournables : l’ouverture sur le monde,
l’échange, l’accès à l’information,... sont
incontestablement un plus pour l’humanité
dont il serait ridicule de se passer. Dans ce
cadre la mobilisation universelle des intelligences
collectives est indispensable. Il
s’agit de faire disparaître la fracture
numérique pour que chacun puisse offrir et
bénéficier des savoirs et savoir-faire
proposés alors par l’ensemble de la
population mondiale en dehors de la
logique et des règles du marché ; d’autant
plus que démocratiquement des régulations
sont possibles pour lutter contre les
perversions. [14]
"Il y a bien sûr une toute petite frange de
l’écologie qui croit possible le retour à la
bougie ou le retour à la terre de toute la
population, mais ce n’est qu’une vue de
l’esprit […], une alternative […] doit être
adaptée à notre réalité actuelle, aux potentialités
du numérique comme aux contraintes
écologiques. On ne sortira plus de l’ère de
l’information à l’ère de l’écologie et du
développement humain, c’est dans ce cadre
qu’il faut penser une écologie de l’avenir
avec une relocalisation des productions".
[15]
Mais sortir définitivement du consumérisme
n’est possible qu’en redonnant aux citoyens
la maitrise de la production et de leur
propre travail : cela passe par une réappropriation
de soi, un réinvestissement des
désirs et envies dans d’autres référents
culturels.
[1] "Ailleurs. Le Witz contre le Mall" (2009, juilletseptembre).
Entrevue avec Bernard Stiegler. Propos
recueillis par Jean Marc Adolphe in L’art d’être
ensemble, cahier spécial publié avec Mouvement, 52,
p. 4-11, coédition les éditions du Mouvement/Lieux
Publics, Centre national de création. Sur le site
Mouvement.net. Consulté le 24 août 2009.
http://www.mouvement.net/pdf/LIEUX_PUBLICS_2009.pdf
[2] André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête du
sens, Galilée, Paris, 1988, p. 63-66.
[3] André Gorz, "Le travail dans la sortie du capitalisme",
in EcoRev’, 28, novembre 2007, p. 9- 15.
[4] André Gorz, L’immatériel. Valeur, capital, connaissance,
Galilée, 2003, p. 81
[5] Hervé Le Crosnier (2009, 27 avril). "Leçons d’émancipation
: l’exemple du mouvement des logiciels
libres", sur le site ATTAC. Consulté le 24 août 2009.
http://www.france.attac.org/spip.php?article9864
[6] André Gorz, L’immatériel. Valeur, capital, connaissance,
Galilée, 2003.
[7] Joël De Rosnay, La Révolte du pronet@riat, Fayard,
2006, p. 143, sur le site Pronetariat.com. Consulté le
27 août 2009. http://www.pronetariat.com/livre/
[8] André Gorz, Misères du présent. Richesse du
possible, Galilée, 1997.
André Gorz, L’immatériel. Valeur, capital, connaissance,
Galilée, 2003.
[9] Voir l’article de Jean Zin dans ce même numéro,
également sur le site JeanZin.fr. Consulté le 27 août
2009.
http://jeanzin.fr/index.php?post/2009/07/14/Relocalisation-
mode-d-emploi
[10] André Gorz, "Le travail dans la sortie du capitalisme",
in EcoRev’, 28, novembre 2007, p. 9- 15.
[11] Voir à ce sujet les articles de Rémi SUSSAN,
Daniel KAPLAN et Hubert GUILLAUD sur le site
InternetActu.net. Consulté le 27 août 2009.
http://www.internetactu.net/2009/06/24/les-enjeux-dela-
fabrication-personnelle/
http://www.internetactu.net/2009/05/07/repenserlinternet-
des-objets-33-industrialiser-linternet-ouinternetiser-
lindustrie/
http://www.internetactu.net/2008/03/10/la-gratuite-estelle-
lavenir-de-leconomie/
[12] "Des chiffres et des êtres", EcoRev’, 31, hiver
2009.
[13] Edgar Morin, "Rompre avec le développement" in
Transversales, nouvelle série, no 2, p 9-10, 2002.
[14] cf. les modes de régulation de Wikipédia,
http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikipédia:De_l’interprétation_
créative_des_règles
[15] Jean Zin (2009, 12 avril). "La révolution numérique
est-elle soutenable ?", sur le site JeanZin.fr. Consulté
le 27 août 2009.
http://jeanzin.fr/index.php?post/2009/04/11/Larevolution-
numerique-est-elle-soutenable